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Un Diamant pour restaurer les joyaux du cinéma – Partie 1

À l’occasion d’un atelier de présentation de la dernière version du logiciel de restauration Diamant, nous avons pu découvrir cette activité passionnante qui fait le grand écart entre l’intelligence artificielle et la pellicule.
Interface du logiciel de restauration Diamant d’HS-ART. © DR

 

Nous avons rencontré Walter Plaschzug, créateur d’HS-ART (l’entreprise éditrice du logiciel), Basile Glaize, responsable d’Avantcam (distributeur en France de Diamant), Didier Bufflier, responsable du laboratoire ArchivLAB de la RTS, et Aurélien Grand, restaurateur. Dans cette partie, prennent la parole Walter et Basile. Aurélien Grand répondra ensuite à nos questions pratiques (deuxième partie).

 

1• Entretien avec… WALTER PLASCHZUG, CRÉATEUR D’HS-ART

Walter, peux-tu nous raconter la naissance de Diamant ?

Diamant est né il y a vingt ans dans le cadre d’un projet universitaire européen de recherche publique nommé « Esprit », axé sur les archives cinématographiques, à l’occasion de la célébration du centenaire du premier film en 1994. Je ne suis pas originellement un professionnel de la production de film. J’ai étudié à l’université technique et commencé ma carrière dans les grands réseaux informatiques bancaires, avant d’intégrer l’institut de recherche autrichien en charge du projet à l’origine de Diamant, en tant que coordinateur. Nous étions en relation avec des entreprises françaises, dont la société de production audiovisuelle Neyrac Films, premier testeur de l’algorithme. Le projet universitaire s’est arrêté sur un résultat prometteur, mais encore éloigné d’un produit commercial.

En 1998 j’ai créé mon entreprise autour d’un outil de vérification des droits de films, pour une société privée de télévision allemande. Parallèlement, nous avons repris le développement du logiciel de restauration. Une fois finalisé, l’outil dédié aux droits TV a été cédé à notre client. Nous avons présenté une première version de l’application Diamant à l’IBC en 2005, qui est alors devenu notre unique activité. L’application était complètement différente de ce qu’elle est devenue aujourd’hui.

Des concurrents sont apparus en Angleterre et aux États-Unis, quatre entreprises se partageant le marché de la restauration qui était alors principalement dédié à la postproduction. Les films étaient à cette époque tournés en pellicule, puis scannés et numérisés en haute qualité pour la réalisation des effets spéciaux. Le travail consistait à nettoyer les poussières et défauts issus du scan.

Avec le tournage en numérique, le travail en postproduction s’est progressivement arrêté. La concurrence s’est donc orientée sur notre segment de marché, et s’est renforcée ; certains ont disparu. Notre force vient de notre positionnement initial qui est resté celui de la restauration des archives. Aujourd’hui, notre petite société de sept personnes représente la moitié du marché, qui reste une activité de niche.

 

Commercialisez-vous du hardware pour accompagner Diamant ?

Certaines parties de l’application bénéficient de l’accélération GPU des cartes graphiques Nvidia, mais nous proposons également une version light pour les ordinateurs Apple sur lesquels les cartes de ce fabricant ne sont pas disponibles. On essaie de conserver notre indépendance par rapport au matériel, mais la restauration en haute résolution reste « gourmande ». Pour cela, nous nous appuyons sur les compétences de partenaires locaux comme Basile Glaize en France, qui maîtrise la partie hardware et connaît les besoins des clients.

 

Votre solution a-t-elle des liens avec d’autres logiciels, pour l’étalonnage par exemple ?

Nous échangeons avec les éditeurs de logiciels d’étalonnage tels que Blackmagic Design ou Assimilate, l’éditeur de Scratch, pour assurer à nos clients un workflow complet compatible avec les logiciels d’étalonnage du marché, mais ce ne sont pas des relations fixes.

 

Comment débute le travail de restauration d’un film, quel est le workflow ?

Le travail au sein de Diamant débute idéalement après le scan et la numérisation du film. Certains utilisateurs partent d’un ancien scan dont il faut parfois légèrement adapter la vitesse. L’étalonnage du film peut être fait avant ou après, en fonction des habitudes des clients ainsi que des spécificités des films à traiter.

 

Comment sont séparés les travaux d’étalonnage et de restauration ?

Il y a des zones de recoupement ; certains travaux d’étalonnage pouvant être faits dans Diamant, notamment la stabilisation de la lumière. Mais le traitement des pompages, de l’instabilité des couleurs sur les tons « rouges », par exemple, peut également être fait dans les logiciels d’étalonnage. En pratique l’équilibre des tâches est flexible.

 

Quelle est la force de votre produit ? Quelles ont été les orientations de recherche lors du développement ?

La base de toute opération de restauration, c’est une haute qualité de détection des mouvements et des objets : il s’agit de distinguer automatiquement les défauts parmi les autres objets mobiles. Un travail de qualité dans le traitement d’une poussière, par exemple, permet de définir la tâche et la mesure centrale. Pour faire évoluer nos produits, nous entretenons des liens étroits avec les instituts de recherche qui développent les nouveaux algorithmes et qui explorent les possibilités de l’intelligence artificielle. Nous avons déjà inclus dans la version 12 de Diamant des outils exploitant les premiers algorithmes d’IA.

 

Comment partagez-vous le travail entre les sept membres de votre équipe ?

Nous ne sommes pas à l’origine de tous les algorithmes que nous utilisons. Nous collaborons avec des universités, notamment celle de La Rochelle, qui est à l’origine de l’outil de détection de scratch, utile au traitement des lignes verticales par exemple. Notre équipe adapte ces algorithmes de base et l’interface utilisateur pour nos besoins, les modèles issus des instituts de recherche n’étant pas directement applicables au travail de restauration.

 

Quel est le profil de vos clients ?

Ce sont de grandes institutions, de grands studios aux États-Unis, comme Universal ou Sony Pictures, des laboratoires de sauvegarde des archives tels que l’INA en France et également de nombreux laboratoires d’archivage plus confidentiels. Nous travaillons également avec des sociétés de postproduction qui proposent leurs services aux grands possesseurs de droits cinématographiques.

 

Comment commercialisez-vous vos produits ?

Nous éditons le logiciel « général » Diamant, actuellement en version 12. Lorsque certains clients comme l’INA nous le demandent, nous proposons des adaptations spécifiques, concernant une carte vidéo, par exemple.

 

 

2• Entretien avec… BASILE GLAIZE, FONDATEUR D’AVANTCAM

 

Basile, quelle est ton histoire avec Diamant ?

J’ai commencé à travailler avec Diamant qui était diffusé en Inde au moment où on lançait Scratch d’Assimilate en France. Il y avait une relation entre les équipes d’Assimilate et de Diamant pour préparer des documents sur Scratch avant de les envoyer sur Diamant avec une certaine industrialisation du travail. Je représentais Assimilate en France qui m’a conseillé de me rapprocher d’HS-ART. Deux cents Diamant étaient utilisés en Inde.

J’ai débuté ma collaboration avec Walter Plaschzug, sans vendre un seul Diamant pendant deux ans. On a fait des démos et des tests chez les clients, particulièrement chez Digital Factory. Après trois mois de tests, ils ont choisi un autre produit de la marque Pixel Farm. Mais grâce aux nombreux retours des clients, Diamant a complètement changé de style pour devenir un produit hyper simple, tout en conservant sa fiabilité.

Éric Martin responsable technique de l’entreprise Dubois (aujourd’hui Technicolor) a investi dans un Diamant. Tous les postproducteurs ont suivi, parmi eux Eclair et Digimage. C’était la période d’or, le CNC ayant décidé de subventionner la restauration des films français. Toute une équipe de professionnels, comme Aurélien, s’est formée à la restauration sur Diamant.

Quand le CNC a décidé la fin des subventions, tous les prestataires ont arrêté, à l’exception d’Hiventy. Cela a abouti à des situations assez tristes, la restauration du film Napoléon d’Abel Gance sera peut-être faite à l’étranger, des savoir-faire disparaissent et les capacités de production de la France diminuent. Moi je pense que c’est beaucoup d’argent perdu. Aujourd’hui, on travaille sur les derniers films qui ont bénéficié des subventions de l’année dernière. Les restaurateurs ont du travail pendant quelques mois et peu de visibilité ensuite.

 

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Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #36, p. 48-52. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.