Voyage au cœur de l’audio de «Valérian» – Préparation avant le tournage (1ère partie)

"Valérian et la Cité des mille planètes" est un film hors du commun, notamment pour une production française. Nous nous sommes intéressés au travail effectué sur le son par Stéphane Bucher, ingénieur du son de Luc Besson. Stéphane Bucher dirige également la société A4 Audio et collabore avec EuropaCorp depuis plusieurs années.
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Stéphan Faudeux : Présentez-nous votre entreprise…

Stéphane Bucher : J’ai créé la société de location A4 Audio il y a une dizaine d’années. L’idée de départ était de se réunir à plusieurs ingénieurs du son et de pouvoir louer notre propre matériel. Un principe associatif qu’adoptent certains ingénieurs du son qui se réunissent pour pouvoir disposer du matériel nécessaire et avoir ce qu’il faut pour les tournages en termes de moyens techniques.

Très rapidement, j’ai souhaité que cette entreprise se développe, et j’ai décidé de l’ouvrir à la clientèle, que ce soit pour la fiction, bien entendu, puisque c’était mon cœur de métier, mais également toute la partie documentaire, institutionnelle, publicitaire. Il y a maintenant un an, nous avons décidé également de commencer à vendre des équipements et créé un département vente. Aujourd’hui, 80 % de notre activité, c’est de la location ; nous sommes arrivés l’année dernière à quelque 20 % de ventes. Nous avons pour cela utilisé le canal de vente Internet.

 

S. F. : Quels types de marques proposez-vous ?

S. B. : Nous avons la chance que les grandes marques nous suivent ; Aaton est extrêmement présent dans notre milieu, Sound Devices aussi ; enfin toutes les marques de micros que l’on connaît : Schoeps, Sennheiser… Nous tentons pour l’instant de conserver une taille plutôt moyenne. Notre vrai cœur de métier, c’est la location ; tout ce qui est vente commence doucement. Si l’expansion se fait, nous serons alors obligés de réfléchir à un autre type de structure. Pour l’instant, nous nous cantonnons à 100-120 références sur la vente. Mais notre vrai de cœur de métier reste vraiment la location.

 

S. F. : Comment expliquez-vous ce pic d’activité, est-il « classique » en comparaison avec les autres années ?

S. B. : Absolument pas, je ne pense pas que cela soit classique. Déjà, c’est vrai, avec la multiplication des chaînes, avec les petites vidéos sur Internet, ne serait-ce que sur YouTube, nous avons tout un tas de productions qui, aujourd’hui, produisent pour ce canal. Évidemment, nous sommes quand même dans une activité en pleine expansion et il arrive, bien sûr, que les ingénieurs du son s’équipent par eux-mêmes. Dans ces cas-là, ils ne font pas appel à nos services. Mais lorsqu’on va vers du haut de gamme, les équipements restent tout de même extrêmement chers. Pour ce faire, les ingénieurs du son se tournent automatiquement vers les sociétés de location. Il y a trois grandes sociétés sur le marché. Je dirais qu’il y a largement de la place, il y a de quoi travailler à trois, cela se passe très bien.

 

S. F. : Combien de personnes travaillent au sein de A4 Audio ?

S. B. : Nous sommes cinq salariés. Je suis l’actionnaire majoritaire et j’essaie de partager mon temps entre A4 Audio et mon métier principal, qui est ingénieur du son. Quand je ne travaille pas, je viens ici pour superviser et donner les grandes lignes, vérifier que tout fonctionne bien.

 

S. F. : Vous avez travaillé comme ingénieur du son sur Valérian et la Cité des mille planètes, le dernier film de Luc Besson…

S. B. : Effectivement, je suis ingénieur du son pour Luc Besson depuis maintenant trois ans. J’ai commencé avec lui sur Lucy. Je connais EuropaCorp depuis plus de cinq ans, Valérian est mon dixième film pour cette société. Je connaissais Luc avec la casquette de producteur, en fait ; j’ai tourné notamment les séries Taken, Days to Kill, des comédies, mais majoritairement des films d’action. Un beau jour, l’ingénieur du son de Luc m’a dit qu’il souhaitait se spécialiser dans le montage son, passer en postproduction et que le jour arriverait où il faudrait trouver quelqu’un pour pouvoir le remplacer. Lors de Lucy, ils m’ont contacté pour travailler avec lui. Voilà comment tout a commencé.

Luc avait déjà évidemment en tête le projet de Valérian ; il nous en avait déjà parlé et précisé que ce projet nécessiterait plusieurs années de développement, non seulement par rapport au financement, qui était compliqué, mais également pour la mise en œuvre de cet énorme paquebot.

Nous avons démarré la production il y a maintenant plus d’un an, en janvier 2016, avec une très, très grosse partie de préparation.

 

S. F. : Comment, justement, cette phase de préproduction s’est-elle passée ?

S. B. : Tourner avec Luc Besson, c’est énormément d’anticipation. En fait, à partir du moment où Luc arrive sur le plateau et déclenche sa caméra, puisque c’est lui qui cadre, tout doit être prêt. Et il spécifie bien : « Vous avez tout le temps avant, mais à partir du moment où j’arrive sur le plateau. Moteur. Ça tourne. Il n’y a plus rien à faire, le plateau est à moi et aux acteurs ». Autrement dit, quotidiennement, une grande préparation doit se faire.

Le premier chapitre est celui des costumes. On comptait plus d’une centaine de costumes différents, et quand je dis une centaine, il y en avait en vérité bien plus ; je ne prends en compte que ceux des acteurs qui avaient effectivement du texte, un dialogue. Donc sur cinq mois et demi de tournage, c’était déjà extrêmement compliqué.

Pourquoi je parle des costumes ? Parce qu’il est nécessaire de pouvoir mettre des micros HF sur ces vêtements. De manière conventionnelle, sur un tournage classique, ce type d’équipement se fait sur le plateau au moment de l’arrivée du comédien. Il y a une mise en place, une sorte de répétition. Et puis une fois que tout est bien huilé, le maquillage, la coiffure, le son, peuvent accéder aux comédiens et nous plaçons les micros, etc. Cela n’existe pas avec Luc ! Quand l’acteur arrive, il est prêt. Il est absolument prêt ! Nous devions anticiper un équipement et nous dire que lorsque le comédien arrive, il est prêt à tourner.

Alors, sur un costume chemise-t-shirt classique, bien évidemment cet équipement se fait de manière extrêmement rapide. Là nous avions affaire à des costumes de… 2700 ! Tout cela a été discuté avec le costume-designer Olivier Bériot, qui avait parfaitement conscience de l’implication que pouvait avoir le choix d’un matériel, son incidence possible sur le son.

Nous avons tout de suite organisé une réunion. Olivier nous a dit : « Voilà, nous sommes dans l’ère du pétrole, et dans des matériaux qui sont automatiquement synthétiques. » Compliqué parfois pour nous d’équiper ces matières, dans le sens où elles font parfois du bruit. On risque alors d’entendre des froissements.

Nous avions notamment le costume principal, la combinaison spatiale de Valérian et Laureline que l’on appelle un Space Suit. Cette combinaison est constituée uniquement de matériau plastique, de caoutchouc. Première difficulté : comment placer un micro dans une combinaison spatiale et faire en sorte que celui-ci soit parfaitement utilisable au niveau sonore, sans avoir des problèmes de bruit ?

La deuxième chose, c’est qu’il fallait maintenant savoir comment arriver à placer ces micros. Ce premier costume était composé de toutes ces matières, mais aussi d’une collerette. Laquelle devait supporter une visière qui, fort heureusement, a été refaite entièrement en 3D par les professionnels de chez Weta Digital. Je dis « fort heureusement » parce que si jamais nous travaillons avec un système fermé, un peu comme un casque de moto, il n’y a pas d’air. Quand vous parlez, on ne vous entend pas ; quand quelqu’un vous parle de l’extérieur, on ne vous entend pas non plus.

L’idée fut de dire à Olivier que nous allions travailler avec un micro visible. Nous allions faire comme si c’était un vrai micro, quelque chose qui allait pouvoir se fondre dans le design. Les premiers tests ont été effectués assez tôt, nous avons utilisé un microphone DPA 40-60. Nous avons placé ce micro, mais nous avons commencé à nous demander si c’était vraiment la bonne idée. Nous redoutions un peu les réactions du réalisateur.

Nous avons alors procédé aux premiers tests et il s’est avéré que… cela ne marchait absolument pas ! Premier problème, lorsque vous placez un micro proche de la bouche, notamment proche d’une surface plate, vous avez ce qu’on appelle les effets de iBoost, c’est-à-dire toutes les hautes fréquences, les aigus sont décuplés, c’est un phénomène physique. C’était comme si vous mettiez sur votre chaîne hi-fi les aigus à fond… D’où une voix un peu bizarre…

Deuxième problème, comme cette capsule était en contact physique avec tout le costume, nous avions la transmission des bruits mécaniques. Les bruits de déplacements étaient directement transmis sur la capsule. Cela ne fonctionnait pas. Alors nous avons su que nous allions changer de capsule, nous allions prendre une capsule qui atténue légèrement les aigus. Nous allions la sortir complètement du costume, pour pouvoir éviter ce phénomène d’aigu extrêmement présent.

Nous avons ensuite décidé d’isoler cette capsule par rapport à la collerette avec un système que l’on appelle le « silent bloc ». Nous avons mis un caoutchouc qui, lui, était solidaire, donc attaché à la structure même ; le micro, lui, était uniquement attaché au caoutchouc. La seule liaison physique était donc ce petit caoutchouc, cette petite atténuation.

Nous avons maquillé ce micro, nous l’avons fait passer dans les ateliers de fabrication de manière à ce que, du point de vue de la couleur et de la forme, il s’adapte bien au costume. Et nous avons réussi ! Nous avons ainsi équipé trois tenues spatiales pour Valérian, et de même pour Laureline qui avait le même principe de collerette…

 

S. F. : Parlez-nous de la motion capture…

S. B. : Le deuxième grand challenge fut justement de travailler avec les équipes de Weta et d’ILM pour toute la partie qu’on appelle la « motion capture ». Nous nous sommes mis en contact avec ces équipes, car le film allait contenir des séquences avec des personnages qui seraient entièrement en motion capture, parleraient, auraient du dialogue.

La première chose qu’il faut savoir est que les équipes ont des tonnes et des tonnes d’ordinateurs, c’est phénoménal ! Tous ces ordinateurs calculent en temps réel la position, ainsi que les différents mouvements des personnages. Ce qui exige des racks, des ordinateurs énormes ; et tout cela, bien évidemment, fait du bruit…

Autre élément, la capture extrêmement précise des mouvements des visages. Ces professionnels placent ce qu’on appelle des « dots », des petits points sur les visages. Ils ont une caméra qui vient filmer les visages et les différents mouvements des différents muscles faciaux. Pour pouvoir enregistrer cette caméra, ils ont sur eux un petit enregistreur qui va conserver les images de cette caméra plutôt que de les diffuser « on air », ce qui impliquerait énormément de bande passante. Le système d’enregistreur est directement sur le personnage.

Nous nous sommes alors très rapidement rendu compte que leur système d’enregistrement avait des ventilateurs qui soufflaient très fort… Il s’agissait d’un nouveau principe d’enregistrement sur lequel ils n’avaient pas réfléchi, du moins n’avaient pas pris conscience de l’incidence qu’il pouvait avoir sur le son. Ils ont travaillé trois nuits entières sur le soft pour trouver un moyen d’arrêter les ventilateurs de manière automatique au moment du tournage. Au bout de ces trois jours de travail, ils ont pu effectivement accéder à notre demande. Au moment où Luc lançait le moteur, ils appuyaient sur une sorte de télécommande et tous les ventilateurs s’arrêtaient d’un seul coup, c’était super !

Pour les gros ordinateurs qui, eux, se trouvaient en background, derrière sur la scène, nous avions construit tout un système d’isolateurs, des énormes plaques de deux mètres de haut que nous avions fait fabriquer et qui permettaient d’isoler et de garder le son, un peu comme le principe des mousses alvéolées en studio. Nous sommes toujours à l’étape de la préparation…

 

S. F. : Qu’en est-il des décors ?

S. B. : Les décors sont le troisième élément de la prépa dont s’occupait Hugues Tissandier. Nous avions au moins 60 à 70 % de vrais décors. Ce qui nécessitait évidemment un nombre impressionnant de plateaux. La Cité du Cinéma compte neuf plateaux ; nous en avons fait trois fois le tour avec, à chaque fois, des plateaux différents, dont un qui était entièrement en bleu. Ce plateau-là était une bulle bleue, le sol, les murs, le plafond, tout était bleu ! Pour les autres, c’était des décors réels.

Luc m’avait demandé quelque chose d’extrêmement précis en préparation. Il m’a dit : « Voilà, L’Intruder, qui est le vaisseau, est pourvu d’une intelligence, c’est un vrai personnage dans le film, il y a de vrais échanges qui se font avec Laureline, Valérian et le vaisseau. » Et il a demandé à ce que, pour ces dialogues-là, je puisse trouver une solution afin que le vaisseau leur réponde véritablement et qu’on puisse l’entendre dans tout le vaisseau… « Voilà, débrouille-toi avec Hugues Tissandier, je veux entendre la voix du vaisseau, tous les sons impeccablement. »

Nous avons travaillé ensemble pour trouver les solutions de diffusion. Je crois que nous avons placé une quarantaine d’enceintes visibles. Le dialogue se fait totalement en direct avec les acteurs lorsqu’ils dialoguent avec le vaisseau.

En postproduction, lorsque j’y suis retourné neuf mois après, ils m’ont dit que le fait d’intégrer ainsi du son dans le vrai volume du vaisseau procurait vraiment une réalité impressionnante, extrêmement difficile à reproduire par la suite en postproduction. Ils auraient aimé récupérer l’original, mais on n’a pas pu le faire parce que, bien évidemment, il y a souvent des changements de dialogue, notamment sur les voix off et on n’a pas pu le récupérer. Mais s’ils avaient pu récupérer l’original, ils l’auraient fait ; cela donne vraiment un réalisme impressionnant. Ce travail réalisé avec Hugues Tissandier était vraiment une demande spécifique de Luc.

 

S. F. : La préparation est terminée ?

S. B. : Non, le dernier point abordé en prépa avant de commencer concernait le monteur du film, Julien Rey. Luc voulait qu’il soit là constamment, tous les jours sur le plateau, et monte les séquences. Alors, il a fallu trouver une technologie qui permette, au moment où on tourne, d’enregistrer le flux vidéo sur un serveur, de mettre le son également sur ce serveur, que tout cela puisse matcher et partir en fibre optique directement chez Julien Rey en salle de montage.

Alors évidemment, il n’était pas question d’utiliser les fichiers originaux, mais au moins cela servait de canevas pour le montage. Une fois qu’on a tourné une séquence, une fois qu’on a fait les plans, Luc Besson demandait cinq minutes, partait en salle de montage, il regardait avec Julien Rey. Il revenait 10 minutes après et déclarait : « C’est bon, c’est monté. » Donc c’était quasiment à 98 % du tourné-monté pour toutes les séquences. C’est très impressionnant ! Il était rare, extrêmement rare, sur les cinq mois et demi, que Luc revienne en disant : « J’ai oublié un plan, on va le faire tout de suite. »

Le soir même, les fichiers sonores ou vidéo originaux étaient récupérés. Luc reprenait les fichiers originaux et une autre personne s’occupait de faire ce qu’on appelle une « conformation », c’est-à-dire de reprendre le canevas qui avait été fait, le premier montage conçu avec les images low res (low resolution), et reprenait au time-code pour pouvoir caler les bonnes images et procéder au montage. C’était un film quasiment tourné-monté !

 

* Extrait de notre article paru pour la première fois dans Mediakwest #22, p. 10-16. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité

La suite de cet article sera publiée en ligne jeudi prochain (20 juillet).