Les solutions Shure HF numériques pour le tournage : réelle alternative ?

Jusqu’ici plutôt timide sur le marché des solutions HF adaptées au tournage, Shure vient d’enrichir sa gamme HF Axient Digital avec le double récepteur numérique portable ADX5D. Intrigué par cette nouveauté, nous avons choisi de nous lancer sur le terrain avec une solution entièrement basée sur les produits du constructeur américain.
L’écran du récepteur Shure ADX5D est suffisamment grand et lumineux pour être lisible en toute circonstance. © Benoît Stefani

 

Outre le récepteur ADX5D, elle comprend ainsi les émetteurs ceinture ADX1 et ADX1M et les micros cravates TL47 et TL48. Et pour aller plus loin sur certaines fonctionnalités spécifiques, Ludovic Sardnal, directeur technique Shure/RF Venue chez Algam Entreprises, répond à nos questions.

Même si Shure est toujours resté présent sur le marché broadcast avec des produits comme les micros d’interview (SM63, VP64) ou encore mixettes de reportage (FP31, FP31A, FP32 et FP33), force est de constater que dans le domaine du sans-fil portable, le constructeur US s’était jusqu’à présent tenu à l’écart : « Il y a bien eu une tentative d’incursion timide avec un système portable sur la base de la série UHF-R analogique », nous confie Ludovic Sardnal, directeur technique Shure/RF Venue chez Algam Entreprise : « Mais il faut reconnaître que le récepteur ne correspondait pas aux exigences des preneurs de son, et aux besoins du marché en général. »

Alors que des marques comme Wisycom, Zaxcom, Audio Ltd, Lectrosonics, Sennheiser sont déjà implantées, Shure revient donc plus tardivement que ses concurrents sur le marché du HF portable, mais apporte des fonctionnalités innovantes comme le Diversity de fréquence ou la détection des interférences, des possibilités qui proviennent de l’expérience du constructeur sur les gammes HF numériques (ULX-D et QLX-D) largement validées en sonorisation (musique, théâtre et comédies musicales) ainsi qu’en plateau.

 

Un double récepteur moderne

Récepteur numérique double canal, l’ADX5D travaille sur la bande UHF. Il s’agit d’un modèle dit « True Diversity » doté d’un total de quatre récepteurs, chaque canal disposant bien de deux récepteurs distincts pour chaque antenne. La version testée évolue dans l’espace 470 à 636 MHz, ce qui correspond à une confortable largeur de 166 MHz que l’on retrouve d’ailleurs à l’identique sur les émetteurs fournis. Voilà de quoi être à l’aise pour trouver des fréquences libres quel que soit la région où l’on tourne… L’ensemble est disponible en version enfichable qui trouvera sa place soit dans une caméra broadcast dotée d’un module slot-in, soit dans un châssis grâce à différents types de panneaux arrière (Sub D-15 broche Sony ou Sub D-25 SuperSlot /Unislot).

Pour le test, nous optons pour le panneau arrière doté de deux sortiesTA3 mini-XLR et d’une entrée Hirose pour l’alimentation et pour l’exploitation en sacoche. Notons qu’il existe également un bloc accu qui vient se greffer sur le récepteur si l’on souhaite qu’il soit autonome en énergie. En examinant le récepteur, on est immédiatement intrigué par les trois ports d’antenne SMA. Renseignement pris, les deux premiers servent à la réception radio, tandis que le troisième est dédié au réseau ShowLink, le système Shure qui permet la communication entre émetteur et récepteur dans la bande des 2,4 GHz, une approche que l’on connaît déjà chez d’autre constructeurs comme Zaxcom et son ZaxNet.

En pratique, Shure utilise ici le protocole normalisé ZigBee réputé pour sa sobriété en énergie et son efficacité afin de remonter vers l’utilisateur les infos de l’émetteur comme l’autonomie restante, ici précisément exprimée en heures et minutes : plutôt rassurant. On pourra également entièrement piloter les émetteurs à distance (fréquence, puissance d’émission…) sans déranger le comédien ou le journaliste. Une fois alimenté via le port Hirose, il me faudra patienter un peu moins de dix secondes pour que l’ADX5D démarre…

Pour le test, les émetteurs arrivent non syntonisés sur le récepteur et je saisis l’occasion pour me lancer un petit défi : effectuer un scan des fréquences disponibles suivi d’une synchronisation par infra-rouge sans lire le mode d’emploi ! Après quelques tâtonnements dus à la difficulté de trouver les ports infrarouges, le pari est réussi. Un bon point donc pour l’agencement des menus de configuration et la navigation qui s’opère facilement, notamment grâce à l’écran Oled de taille respectable qui reste bien lisible, même en plein soleil.

En poursuivant mon exploration, je m’aperçois que ce récepteur propose de nombreuses options comme le crytpage AES 256 bits pour la confidentialité, ou encore la fonction « Talk Switch » inspirée du « Push To Talk » de Wisycom qui permet au journaliste ou à l’acteur de parler directement à l’équipe en basculant vers un circuit audio alternatif. Je repère également des options avancées comme le changement de fréquence en cas d’interférences ou le mode Diversity de fréquences (voir interview de Ludovic Sardnal). Pour la partie audio, les deux sorties disponibles sur mini-XLR TA3 offrent une plage permettant de travailler en niveau micro, ligne ou de basculer en numérique au format AES3.

 

Les émetteurs ceintures : classiques ou compacts

De taille standard, l’émetteur ceinture ADX1 adopte un robuste boîtier métallique plutôt classique avec une trappe qui laisse apparaître l’accu et les boutons d’accès aux réglages. L’écran Led est toujours visible et le switch on/off situé sur le dessus est toujours accessible, même lorsque la trappe est fermée, ce qui est une bonne chose, notamment en utilisation sacoche où l’on doit souvent éteindre ou fermer l’émetteur servant de liaison avec la caméra.

Le modèle testé est équipé d’une connectique TA4 pas très standard sur le marché européen, mais Shure propose alternativement une version Lemo plus courante sous nos latitudes. L’alimentation repose sur un accu propriétaire de type SB910 dont l’autonomie constatée sur le terrain atteint les huit heures à 10 mW, un chiffre qui varie évidemment en fonction de la puissance d’émission qui pourra être réglée sur 2, 10 ou 40 mW. On apprécie la jauge d’autonomie calculée en heure/minute qui renseigne plus précisément que les traditionnelles indications sous forme de barres. Notons que les contacts externes permettent éventuellement d’effectuer la recharge directement sur les chargeurs SBC compatibles, sans enlever l’accu ce qui permet de gagner du temps lorsqu’on exploite de nombreux émetteurs.

Plus petit et plus récent, l’ADX1M propose un design bien différent par rapport à son grand frère. Le boîtier monobloc tout en rondeur est moulé dans un plastique répondant au doux nom de Ultem PEI, un matériau choisi par le constructeur pour ses bonnes performances en matière d’isolation thermique. Aussi large que le modèle standard, sa hauteur est ici réduite à six centimètres. Il y a plus petit sur le marché, mais ce qui peut vraiment changer la vie au quotidien, c’est l’absence d’antenne apparente qui facilitera le placement de ce petit émetteur, surtout lorsque l’on doit le dissimuler sous des vêtements. D’autre part, l’antenne étant à l’intérieur, elle se trouve naturellement protégée de tout contact avec le corps et isolée de la transpiration qui peut faire chuter les performances d’émission.

Autre originalité, il n’y a pas ici de compartiment qui habituellement protège les boutons et l’accu, ce dernier étant astucieusement monté sur glissière. Quant aux boutons permettant les réglages, on les retrouve disposés tout autour du petit écran central sur les faces supérieures et inférieures de l’appareil. Les concepteurs ayant dû adopter des boutons plus raides à l’enfoncement pour éviter les manipulations accidentelles, la circulation et l’accès au menu est ici moins aisée que sur le modèle standard, mais rien de très gênant au final, d’autant plus que l’ensemble peut être piloté depuis le récepteur ADX5D.

Moins puissant que le modèle standard, l’ADX1M offre une puissance HF réglable sur 2, 10 ou 20 mW pour une autonomie affichée de six heures trente à 20 mW, ce qui reste correct pour un modèle compact et… numérique.

 

No gain !

Une fois les deux émetteurs synchronisés, le premier réflexe est de chercher le réglage du gain, inexistant sur cette gamme numérique. Sans faire appel à un système de réglage automatique qui réduirait la dynamique, Shure utilise comme certains fabricants de micro numérique une technologie de gain ranging qui met en jeux deux préamplis associés à un convertisseur double. Le résultat est assez bluffant : sur une voix parlée ou chantée, même en hyper proximité, depuis le plus léger des murmures jusqu’au plus tonitruant des hurlements, pas le moindre souffle ni la moindre saturation.

Il convient par contre d’adapter le gain sur l’enregistreur, mais ça fait tout de même un étage de moins à gérer. La qualité de son est bonne, la dynamique plus élevée que sur un système analogique et le rendu est évidemment dépourvu des artéfacts éventuels liés à l’utilisation d’un compander.

Concernant la portée et la fiabilité de la liaison HF, les protocoles de test en la matière restent délicats à effectuer, mais en termes de distance, de franchissement d’obstacles, de parois ou de cloison, les solutions Shure ont tenu la comparaison par rapport à un système à modulation analogique haut de gamme type Wisycom.

Autre point intéressant, les deux systèmes ne se sont pas troublés l’un l’autre, ce qui tendrait à prouver que l’exploitation d’une configuration mixte (numérique + analogique) est envisageable au sein d’une même sacoche, même s’il faudrait sans doute tester ce type de configuration à plus large échelle.

Autre point positif, durant le tournage, je n’ai pas été dérangé par des problèmes de phase ou de retard ou entre les liaisons Shure (modulation numérique) et Wisycom (modulation analogique mettant en œuvre un traitement numérique). L’impression se confirmera plus tard en postproduction où l’examen attentif des formes d’onde dans Pro Tools ne laissera pas apparaître de déphasage visible ce qui prouve que la latence annoncée (environ 2 ms) est constante.

Par contre, il faut bien avouer qu’après quelques dizaines de minutes d’utilisation, le récepteur ADX5D, a tendance à chauffer sérieusement, mais c’est hélas un comportement connu dans le monde de la HF numérique et Shure garantissant le bon fonctionnement de l’unité jusqu’à 50°C, on pourra sans doute s’en accommoder…

 

À l’heure du choix

Évidemment, certains observateurs pourront souligner que beaucoup des fonctionnalités uniques apportée par Shure avec sa gamme Axient Digital prennent tout leur sens quand on déploie un manageur de spectre ou un gestionnaire de fréquence, ce qui suppose de travailler dans des situations où il est envisageable de poser un ordinateur, sur une roulante par exemple. De plus, les aficionados de la perche HF pourront être déçus car le 48 V, réservé à l’émetteur plug-on, n’est donc pas de la partie sur les émetteurs ceinture.

Au chapitre des regrets, on pourra en outre déplorer l’absence de possibilités d’enregistrement direct sur l’émetteur, une option qui devient vraiment utile dès lors que l’on souhaite sécuriser une prise lorsque les distances sont importantes, mais qui permet également de constituer un système embarqué autonome et léger lors d’une séquence en voiture, en kayak ou en ULM, à mettre en face des armés de Go Pro et autres Osmo…

Malgré tout, Shure ne manque pas d’arguments pour séduire les professionnels du tournage : la techno HF est robuste, la plage de fréquence proposée sur le récepteur est confortable et on la retrouve à l’identique sur toute la gamme d’émetteurs ce qui simplifie la gestion. Enfin, l’ergonomie est plutôt facile à vivre et le design de ce petit émetteur ADX1M dont l’antenne est intégrée devrait en séduire plus d’un…

 

Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #44, p. 24-30