Production : et maintenant ?

En attendant le FIPADOC 2022 qui se profile du 17 au 23 janvier prochain, retour sur une table ronde 2021 qui présentait une série d’aides et dispositifs financiers passés en revue sous un angle européen, français et régional…
Lucia Recalde, chef d’unité à Europe Creative Media. © DR

En janvier dernier, dans le cadre de ses journées professionnelles, le Fipadoc a proposé une table ronde consacrée aux plans de relance pour le secteur audiovisuel.7

Deux intentions politiques émergent particulièrement. Tout d’abord, tant au niveau national qu’européen, les mesures présentées accompagnent les entreprises vers une transition compétitive numérique et écologique (désormais l’une va toujours de pair avec l’autre).

Ensuite, il est aussi question de maintenir une cohésion et une diversité culturelle. Ces deux approches défendent deux visions, peuvent paraître différentes mais sont ô combien nécessaires, si ce n’est complémentaires…

 

Les annonces au niveau européen

Pour soutenir l’ensemble du secteur, la Commission européenne a, en décembre dernier, adopté et revalorisé plusieurs plans d’actions comme Europe Creative, InvestEU, Horizon 2020 et les fonds de relance et de résilience mis en œuvre par les États membres.

Lucia Recalde est intervenue en tant que responsable du bureau de Creative Europe Media pour détailler les mesures prises par la Commission.

Elle salue l’augmentation importante du budget du programme voté pour 2021/2027 à hauteur de 80 % par rapport au budget initial. Europe Creative sera doté en effet de 2 milliards et 524 millions d’euros pour la nouvelle période contre 1,45 milliard d’euros. Media bénéficiera de 58 % de cette enveloppe financière (Europe Creative est composé de deux programmes, Culture et Media sans compter un volet transectoriel, ndlr). Ces accords politiques reflètent la prise de conscience des conséquences désastreuses qu’ont et qu’auront les effets de la crise liée au Covid-19 sur les secteurs audiovisuel et cinématographique.

Le plan d’action européen tend sensiblement vers les mêmes orientations prises nationalement. « Il se structure autour de trois volets : la reprise – pour aider les entreprises à surmonter la crise dans l’immédiat et soutenir la liquidité et l’investissement –, la transformation à moyens termes – pour assurer la compétitivité et relever les défis de la transformation numérique et verte – et en dernier, permettre à l’industrie et aux citoyens d’avoir des moyens d’exploiter la diversité de l’Europe comme un atout fondamental », rappelle Lucia Recalde.

Le premier volet, celui de la relance, promet de manière essentielle « d’assurer aux entreprises l’accès à tous les soutiens qui vont être mis en œuvre au niveau européen.En réponse à ces défis, nous proposons de mettre en place une plate-forme d’investissement capital/risque qui devrait renforcer la capacité financière des entreprises de production et de distribution indépendante. L’objectif est de leur permettre de conserver leurs droits et de pouvoir élaborer des stratégies de distribution et d’exploitation du contenu car c’est en préservant ces actifs que l’on pourra préserver l’autonomie créative et la force de frappe au niveau de l’Union Européenne », commente le chef d’unité.

Le second volet, qui concerne la transformation de l’industrie audiovisuelle à terme, « va encourager les entreprises des médias en créant une infrastructure de données avancées et d’audiences qui permettront d’héberger des contenus plus adaptés aux besoins et aux attentes du public, ce qui semble important pour pouvoir relever les défis des grandes plates-formes ».

Le marché émergent de la XR ne sera pas non plus laissé sur le bas-côté puisqu’elle annonce la création d’une coalition pour structurer la filière et « mettre en avant les savoir-faire technologiques où l’Europe devrait jouer un rôle de premier plan avec une stratégie plus détaillée qui sera présentée d’ici à la fin de l’année ».

Côté environnemental, Lucia Recalde annonce « la création d’un label vert, un travail pour mieux mesurer les émissions de gaz à effets de serre et des outils pour faciliter les échanges ».

Enfin, le troisième volet insistera sur la diversité culturelle en « lançant un dialogue avec les industries audiovisuelles pour faciliter l’accès des contenus à travers les frontières de l’Union et favoriser l’accompagnement des talents, élément essentiel du système par des actions de mentorat et de prise en compte de la diversité ».

 

Les perspectives européennes…

Pauline Durand-Vialle, qui vient d’être élue présidente du Comité consultatif de l’Observatoire européen de l’audiovisuel pour un mandat de deux ans, faisait partie des intervenantes invitées lors de la table ronde de la manifestation. Cet organe est composé de trente-neuf organisations européennes et internationales représentant les diverses branches de l’industrie audiovisuelle et comprenant la Fédération européenne des réalisateurs de l’audiovisuel (Fera), dont elle est aussi déléguée générale. Il existe depuis 1992 et représente le « seul observatoire capable d’offrir un aperçu comparatif de ce qu’il se passe en Europe, pouvant couvrir jusqu’à quarante-et-un pays différents grâce à ses équipes de recherche et estimer l’impact de la crise sur notre secteur en Europe ».

Pauline Durand-Vialle rappelle les principes fondamentaux de droit et de relations internationales concernant la sacro-sainte souveraineté des États : « La politique culturelle relève de la compétence des États. Ils sont totalement libres de la priorité des choix budgétaires de ses politiques, ce qui signifie que l’Union Européenne ne dispose que de compétences d’appui. C’est ce qui explique la manière dont les institutions européennes ont construit leurs réponses à la crise actuelle. »

Ainsi, l’Union Européenne propose trois volets dits de « recovery » différents pour l’audiovisuel dans son plan de relance :

Next Generation EU doté de 750 milliards d’euros qui est un mélange de subventions (390 milliards d’euros) et de prêts (360 milliards d’euros), disponible pour les États membres de manière exceptionnelle et temporaire ;

– Deux fonds d’aides proposés aux régions dont REACT-EU (Recovery Assistance for Cohesion and the Territories of Europe) avec 47,5 milliards d’euros disponibles comprenant 37,5 milliards d’euros alloués pour 2021 et 10 milliards pour 2022 répartis selon les répercussions socio-économiques de la crise et le FEDER, Fonds européen de développement régional qui aide les PME et soutient l’emploi ;

– Enfin, dans le cadre du budget européen général et des programmes de soutien, le quasi doublement des enveloppes des fonds Erasmus+ (de 15 à 26 milliards d’euros pour la nouvelle période 2021/2027) et Europe Creative.

 

Pauline Durand-Vialle commente : « Ces augmentations budgétaires sont de très bonnes nouvelles pour notre secteur. » Mais nuance en soulignant des « réalités et difficultés sociales au niveau local plus qu’inédites ». Son rôle sera de rappeler aux institutions leur manque de réactivité et leurs lourdeurs administratives.

« La tentation serait d’aller vers la concentration » mais Pauline Durand-Vialle rassure quant aux actions relevant spécifiquement de la diversité culturelle : « Le développement, la coproduction, la promotion et le soutien aux festivals est bien toujours inclus dans la base légale du programme. »

 

Quid de la politique hexagonale ?

Olivier Henrard, directeur général du CNC, a présenté des mesures d’urgence qui s’accentuent sur deux axes, d’une part « répondre à l’indépendance des auteurs, producteurs, diffuseurs pour assurer la souveraineté du secteur dans un contexte où ses mutations et ses fragilités ont été accrues par la crise » et, d’autre part, « savoir reconquérir les jeunes, aller là où ils consomment des œuvres ».

Pour compléter, il ajoute : « C’est l’ensemble de notre système que nous transformons pour renforcer tout le secteur du cinéma et de l’audiovisuel avec la revue générale de nos soutiens, la transposition de la directive européenne SMA (Services Medias Audiovisuels) avec les obligations d’investissements des plates-formes dans la création et la publication du décret SMAD qui fixe le contenu des obligations des plates-formes, le chantier de la chronologie des médias, celui des obligations des diffuseurs historiques et les négociations sur la rémunération des auteurs… ».

 

Les mesures d’urgence et de relance du CNC

Dès les tout débuts de la crise sanitaire, le CNC a permis d’« abonder les fonds de solidarité pour les auteurs mis en place par la Sacd et la Scam, la mobilisation anticipée des comptes de soutien automatique à hauteur de 30 % de ces comptes pour les producteurs, lancer un appel à projet dédié aux industries techniques et a maintenu les subventions pour les festivals annulés ».

Ensuite, concernant la reprise des tournages, Olivier Henrard a rappelé la mise en place « d’un fonds public doté de 50 millions d’euros complété par l’intervention d’assureurs mutualistes pour assurer les tournages contre les conséquences éventuelles liées au Covid-19 », tout en soulignant que cette garantie était une première dans le monde et le premier secteur à pouvoir en bénéficier.

Dans un second temps, c’est 26 millions d’euros qui ont été alloués à la production audiovisuelle notamment en direction des projets les plus fragiles portés par des infrastructures émergentes « pour soutenir les sociétés en croissance et pour préserver les capacités d’investissements ». Concrètement, ces aides se destinent à la production, à l’exportation et aux nouveaux talents et nouveaux auteurs.

Le CNC a permis pour la production une « majoration de 10 % des mobilisations de soutien automatique, le renforcement du soutien sélectif de 6 millions d’euros, des avances de 8 millions d’euros pour accompagner les sociétés les plus fragiles et la prise en compte des prêts à diffuser dans la liste des œuvres de référence pour le soutien automatique ».

S’agissant de l’exportation, le CNC s’est engagé au « renforcement de la diffusion des œuvres audiovisuelles françaises à l’international, au renforcement du fonds de soutien exports à hauteur de 2 millions d’euros et à la mise en place d’une nouvelle organisation qui va rassembler l’ensemble des acteurs de promotion à l’international de nos œuvres audiovisuelles ou cinématographiques ».

Enfin, pour notre jeunesse créative, le CNC a créé une « nouvelle aide qui accompagne pendant un an des auteurs sur un travail au long court » et a assuré que tous les nouveaux talents créateurs de contenus, orientés nouveaux formats, plates-formes, réseaux sociaux, jeux vidéo… seraient davantage soutenus par les aides de l’institution.

 

Du côté des organismes de gestion collective… la réaffirmation du droit d’auteur

Jean-Noël Tronc, directeur général de la Sacem, porte-parole de l’association France Creative et président du Gesac, Groupement Européen des Sociétés d’Auteurs dont sont membres la Sacem, la Scam ou l’Adagp (Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques) a pour sa part, rappelé que « nous sommes dans un pays d’Europe, si ce n’est le pays d’Europe où les pouvoirs publics ont fait le plus sur le plan financier pour accompagner le secteur culturel ».

Il estime néanmoins des pertes à hauteur de 30 milliards d’euros avant l’été 2020 rien que pour l’économie française et de plus de 250 millions d’euros de droits d’auteur pour ses membres. Face aux grands gagnants de cette crise, les plates-formes SVOD dont « aucune des grandes plates-formes dominantes aujourd’hui n’est plus européenne… », il insiste sur le modèle spécifique de la gestion collective à protéger avec la « préservation et le renforcement d’un modèle culturel français et européen dont le modèle fondamental du droit d’auteur avec le fameux droit proportionnel à une rémunération mais surtout cette indépendance qui est la garantie pour l’auteur de pouvoir vivre de sa création ».

À ce titre, la directive SMA et sa transposition dans le droit français restent « un facteur d’espoir en créant les conditions d’un marché plus équilibré ». France Créative a prévu d’organiser au début du mois d’avril prochain les premières Assises des Industries culturelles et créatives. Faire du secteur de la culture dans son ensemble, un moteur de relance européenne et française sera au cœur des discussions…

Bruno Boutleux, directeur général de l’Adami, a aussi enregistré une forte baisse des perceptions de l’organisme. L’Adami a pu dégager 11 millions d’euros en 2020 pour les artistes-interprètes et les filières de leurs secteurs. Il a fait part de ses inquiétudes à propos d’Audiens, la caisse de solidarité sociale du secteur qui a et va enregistrer des centaines de millions de pertes de cotisations, « il y aura un effet boomerang à un moment donné ». Il a mis également en évidence le manque à gagner d’1 milliard d’euros à cause de la piraterie sur l’année 2019 signalée par l’Hadopi (d’après une étude du cabinet PMP, ndlr), aspect qui gagnerait à être amélioré ! Il interpelle surtout à anticiper de futures crises pour renforcer la capacité de résilience de tout le secteur…

En ce qui concerne la Scam, son directeur général, Hervé Rony, a indiqué avoir dégagé 1 million d’euros dont 850 000 pour l’audiovisuel et les documentaristes, particulièrement touchés. Plus concrètement, il a déploré la « lenteur avec laquelle les auteurs ont pu accéder au Fonds de solidarité nationale, mis en place par le ministre de l’Économie, Bruno Lemaire, prorogé jusqu’en juin, pour des raisons d’ergonomie du site et du Siret que les auteurs n’avaient pas » et « l’incohérence concernant le refus du Gouvernement et du Parlement d’exonérer de l’impôt sur le revenu, les aides des sociétés civiles alors que les aides publiques le sont ».

Il prône enfin pour l’avenir, un audiovisuel public qui resterait très solide face aux enjeux qui attendent le secteur et insiste sur le renforcement d’un maillage et d’une proximité régionale…

 

La préservation du modèle européen…

Les mesures mises en place par le CNC, l’Union Européenne et les organismes de gestion collective réussiront-elles à préserver leur modèle face aux plates-formes Netflix et consorts, à rattraper, disons-le, leur retard face à une industrie désormais plus que mondialisée et éclatée ?

Alors même que la tentation serait d’aller vers un repli sur soi et un protectionnisme pour protéger nos systèmes, les grands défis de l’avenir résident dans l’affirmation d’une réponse collective, solidaire, garantissant la cohésion des États membres de l’Union Européenne et préservant leurs diversités culturelles. Le Brexit et la pandémie liée au Covid-19 ont ralenti les réponses de l’Union mais les dispositifs d’aides nouvellement votés et dotés de budgets importants prouvent, au-delà des effets d’annonce, la volonté d’atténuer les conséquences de cette crise sur le terrain localement et affichent de réelles ambitions structurantes pour l’avenir…

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #41, p. 58-61. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.