Comment améliorer le bilan carbone d’une production ?

Depuis janvier, toute demande d’aides au CNC doit être accompagnée de bilans carbone : un prévisionnel qui sera suivi d’un définitif. Comment réduire ses émissions et présenter des chiffres raisonnables ? Une conférence donnée par le CNC lors du Satis 2023 donne quelques solutions.
Avec France 2030, l’audiovisuel français vise à devenir un champion du secteur sur la scène internationale © Génération Numérique

 

Avec France 2030, l’audiovisuel français a un objectif : devenir un champion du secteur sur la scène internationale. Dans cette lignée, l’appel à projet de La Grande Fabrique de l’image a ouvert une enveloppe de 350 millions d’euros à 68 lauréats (studios de tournage, sociétés de postproduction et de VFX, instituts de formations). Mais cette volonté de produire plus ne peut se départir d’un engagement à produire mieux. « L’État investit. L’État accompagne. Mais cela ne peut se faire sans un volet environnemental fort », rappelle Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC lors d’une conférence tenue au Satis 2023.

Tous les maillons de la chaîne (production, postproduction, distribution, exploitation) doivent donc apprendre à réduire leurs émissions carbone et à gérer leurs déchets. Pour les y aider, le CNC a créé – dans le cadre de son Plan Action ! lancé en 2021 – un observatoire de la transition écologique. Son but : collecter et analyser des données sur l’impact environnemental de la filière afin de proposer des solutions. Après un audit sur la gestion des déchets des salles de cinéma mené en 2022, l’observatoire a tourné son regard vers les studios tournages.

 

755 tournages passés à la loupe

Sophie Jardillier, directrice adjointe des études et des statistiques au CNC. © Génération Numérique

Pour réaliser son étude « Diagnostic environnemental des studios de tournage », l’observatoire s’est entouré de trois acteurs du secteur : La Base et Flying Secoya, deux sociétés de conseil spécialisées dans l’industrie cinématographique, et Ekodev, experte en RSE et stratégie climat. Ensemble, elles ont interrogé, au cours de l’année 2023, douze studios répartis dans toute la France. « Ces studios ont connu 755 projets au long de la période étudiée. Et leurs profils sont assez hétérogènes – il y en a des plus ou moins grands – et leurs activités sont variées, du long-métrage à la publicité. Ils accueillent parfois des productions uniquement françaises et parfois un quart d’entre elles sont internationales », précise Sophie Jardillier, directrice adjointe des études et des statistiques au CNC.

Le consortium a passé en revue toutes les activités qui animent les studios : l’éclairage des plateaux, l’acheminement des décors, la restauration, les allers-retours des équipes de tournages, etc. « Le but était de faire un audit complet des émissions et des déchets. Pour les émissions de CO2, il y a eu certaines difficultés pour savoir quelle part était imputable au studio et quelle part était imputable à la production accueillie », détaille Sophie Jardillier.

Malgré cette difficulté, les résultats sont assez éloquents : au total, ces 12 studios ont produit 113 590 tonnes de CO2e (équivalent CO2) au cours de l’année soit les émissions de 12 621 Français. En moyenne, cela représente 150 tonnes de CO2e par projet, même si des disparités sont visibles entre les genres : une série émettrait 1 015 tonnes, tandis qu’un film plafonnerait aux alentours de 493 tonnes.

Quoiqu’il en soit, les chiffres globaux donnent une idée des points de pollution principaux : sur les 113 590 tonnes émises par les studios, 42 % sont imputables aux intrants (les biens et les services comme les décors et les costumes, et même la restauration), 40 % au transport du matériel et 12 % aux déplacements des équipes. L’observatoire donne alors quelques clefs pour limiter leurs impacts écologiques.

 

Réutiliser, recycler, trier

La totalité des intrants représente à elle seule 47 993 tonnes de CO2e, dont 61 % proviennent de la création des décors et des costumes. Mais au lieu de créer inlassablement, ne serait-il pas plus profitable de réutiliser les décors ou costumes déjà existants ? « L’idéal serait de favoriser les ressourceries et les recycleries spécialisées dans le secteur de l’audiovisuel », préconise Sophie Jardillier. La Ressourcerie du cinéma à Montreuil, par exemple, propose d’acheter ou de louer des matériaux issus de précédentes productions.

« D’autres solutions pourraient être envisagées. Nous pourrions nous rapprocher du RESSAC [réseau national des ressourceries artistiques et culturelles, ndlr]. Sinon, les studios pourraient proposer des entrepôts de stockage pour conserver les décors afin qu’ils soient réutilisés », ajoute Sophie Jardillier.

La fabrication même des décors et des costumes devrait porter une attention particulière aux matériaux utilisés. La peinture ou le métal sont respectivement responsables de 16 % et 13,6 % des émissions. « Il faut utiliser des produits responsables ou penser à recycler. Toutefois cela nécessite des structures de récupération adaptées », alerte Sophie Jardillier.

Les ordures générées par ces constructions et par la vie quotidienne du tournage se comptent également en tonnes : 4 344 tonnes soit la totalité des déchets produit par 7 490 Français en une année. « Les solutions sont simples à mettre en œuvre, et à coûts réduits. Il suffit d’optimiser le tri, de créer un tableau de gestion des déchets ou encore de composter », rappelle-t-elle.

 

Des repas locaux et écologiques

Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC. © Génération Numérique

Bien qu’elle ne représente qu’une heure dans la journée de tournage, la pause repas est aussi un grand pôle d’émission de CO2 puisqu’elle représente 15 % des émissions des intrants. Au regard des chiffres, les solutions à envisager sont relativement simples : « 36 % des émissions sont imputables aux repas au bœuf contre 2,5 % pour les repas végétariens. » Même si privilégier les repas sans viande semble être une bonne option, elle n’est pas la seule : « On peut penser à mettre à disposition des productions un agenda des cantines locales et écoresponsables qui ferait partie d’une guide de bienvenue des pratiques écologiques. Ou proposer une cantine et une régie internalisées qui suivent ces préceptes », suggère Sophie Jardillier.

 

Limiter ses déplacements

Les déplacements émettent 13 852 tonnes d’émissions de CO2e dont 80 % sont imputables aux déplacements quotidiens. Une première solution avancée serait alors d’arrêter les allers-retours entre les lieux de vie et les lieux de tournage. « En Île-de-France, on pourrait créer un partenariat avec les hôtels à proximité des studios. Sinon, il faudrait proposer des logements sur place. Bien évidemment, cette dernière solution est difficile à mettre en œuvre car, outre les coûts, elle obligerait à repenser intégralement les espaces », évalue Sophie Jardillier.

Et si les déplacements ne peuvent être évités, ils peuvent toujours se faire en favorisant les transports décarbonés. « On peut imaginer des accords avec la SNCF. D’autres solutions sont encore plus simples : l’installation d’un garage à vélos et de bornes pour les voitures électriques, l’organisation d’un covoiturage, ou louer des navettes qui font le lien entre la gare et le studio », énumère-t-elle.

Les autres types de déplacement sont le fret, c’est-à-dire l’acheminement des éléments nécessaires à la production via les camions. « Pour les éviter, il est nécessaire de centraliser les pôles audiovisuels afin de rassembler à un même endroit tous les partenaires liées à la production d’un film », développe-t-elle.

 

Réduire la consommation d’énergie

L’audit mené par l’observatoire du CNC portait également sur la consommation en énergie des studios. Au total, 12 098 MWh sont nécessaires à leur fonctionnement, l’équivalent de 2 542 foyers français. « Pour réduire la consommation, il faudrait bien évidemment revoir l’isolation de ces bâtiments. Malheureusement, c’est long et cher à mettre en œuvre. » Mais cela ne doit pas empêcher les productions d’accomplir des petits gestes qui pourraient faire la différence : « Nous pouvons penser à mettre en place des minuteurs avec arrêts automatiques pour le chauffage et les lumières et assurer le suivi de la consommation en temps réel pour agir de manière plus ciblée. »

 

Penser les studios de demain

La liste des actions à accomplir est donc longue. Mais celle-ci permettra l’émergence de studios nouvelle génération. « Le studio de demain doit avoir une vision complète des enjeux environnementaux et sociaux, il doit aussi assurer sa capacité à opérer dans un contexte de tension climatique et énergétique, et il doit inventer la coopération nécessaire entre les différents partenaires des films pour mener à bien sa mission », résume Sophie Jardillier.

Pour soutenir la totalité des professionnels du secteur, l’observatoire de la transition écologique du CNC continue ses études. À venir en 2024, un bilan carbone des studios d’animation et de production VFX, ainsi qu’une étude sur l’impact environnemental des studios de tournage XR qui viendra faire écho à celle sur les studios en prise de vue réelle présentée lors de ce Satis 2023.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #55, p. 116-117