Blackmagic Cinema Camera 6K, prise en main

En digne héritière, la Blackmagic Cinema Camera 6K se différencie commercialement de ses trois sœurs de la série Pocket, même si design et ergonomie restent très proches. Similitudes et différences en situation.

 

Il y a un peu plus de dix ans naissait la première caméra de Blackmagic Design. Annoncée en avril 2012 au NAB de Las Vegas, la Blackmagic Cinema Camera était un Ovni cubique à la frontière entre HDSLR et caméscope. Le capteur de 2,5K d’une taille hybride entre le format micro 4/3 (qui a fait le succès de la série GH de Panasonic) et le super 16 mm, pouvait être illuminé par des optiques EF ou micro 4/3 grâce à une monture interchangeable. Des difficultés de construction avaient imposé un délai d’environ un an entre son annonce et sa commercialisation. Son plus grand atout était d’offrir aux cinéastes aux budgets limités la possibilité de filmer en Raw à l’instar des caméras de cinéma numérique Red ou Alexa, pour un budget qui est passé de 2 995 dollars lors de son annonce à 1 995 dollars en avril 2013.

Certains utilisateurs étaient dans l’attente d’un nouveau boîtier cubique. Cependant la forme actuelle présente une facilité d’exploitation indéniable type « shoot & go ». Pour accessoiriser plus finement la BMCC 6K, des rigs et des cages sont proposés par des fabricants spécialisés tels que Tilta avec le Camera Cage for BMCC 6K Advanced Kit.

 

Le codec de la Blackmagic Cinema Camera 6K est le Blackmagic RAW. © Blackmagic Design

Similitudes et différences

Fabriquée en fibre de carbone polycarbonate composite, la BCC6K ressemble à un appareil photo dopé aux amphétamines d’une largeur de 18 centimètres et d’un poids de 1 135 grammes sans objectifs ni accessoires. Le logiciel de la caméra est d’une grande simplicité de prise en main. Commun à toutes les caméras Blackmagic (Ursa inclus), il est manipulable via les différents boutons stratégiquement positionnés sur le boîtier et le grand écran tactile HD de 5”. La grande nouveauté est la monture L et le capteur Full Frame 6K.

Assumant sa destinée cinématographique, l’unique format d’enregistrement est le Blackmagic Raw (BRAW), à l’exclusion des formats Apple Prores disponibles sur les Pocket. Cette segmentation de gamme se retrouve avec la Blackmagic Ursa Mini Pro 12K également « Raw only ». La caméra peut être augmentée des accessoires Blackmagic Pocket Camera Battery Pro Grip et du viseur Blackmagic Pocket Cinema Camera Pro EVF dont la compatibilité avec leurs appareils ravira les possesseurs de caméras Pocket qui pourront avantageusement compléter leur parc. Côté accessoire, les très accessibles reports de commandes Blackmagic Focus Demand ou Blackmagic Zoom Demand peuvent être associés à la Blackmagic Cinema Camera 6K en USB-C.

 

Budget

Proposée à 2 355 euros, la BMCC 6K est équipée d’un filtre passe bas optique (OLPF), mais est dépourvue de stabilisateur et de filtres neutres. La nouvelle monture série L est une des explications de cette absence du fait de la faible distance entre la monture et le capteur (cf. ci-après). Un filtre neutre électronique réglable aurait pu être adapté mais en impactant le tarif de la caméra. Il est très proche de celui de la Pocket Cinema Camera 6K Pro (2 325 euros), équipée du même écran LCD de 1 500 nits (facilitant le travail dans des conditions de forte luminosité) d’un capteur Super 35 et d’une monture EF équipée de filtres neutres motorisés. La BMPCC 6K G2 (1 825 euros), avec le même capteur et la même monture que la 6K Pro, est dépourvue de filtres neutres et d’écran haute luminosité. Le capteur de la BMPCC 4K (1 175 euros) est un modèle 18,96 mm x 10 mm (4/3) avec monture micro 4/3 active.

 

Alimentation

La batterie du BMPCC 4K est un modèle LP-E6 annoncé pour une durée d’une heure qui s’avère dans la pratique une valeur maxi. Les BMPCC 6K et la BMCC 6K utilisent la NP-F570. Le boîtier Pocket Camera Battery Pro Grip et ses deux batteries supplémentaires sont compatibles avec la BMCC 6K et s’avèrent rapidement indispensables pour éviter de trop nombreux changements de batterie lors des tournages. L’alimentation secteur utilise une connectique 2-pin. Un kit de câbles est proposé pour adapter des batteries D-Tap ou tout modèle procurant une tension entre 12 et 20 V.

 

Choix des formats et exploitation sur le terrain

L’utilisation de la caméra est très simple, le BRAW 12 bits étant l’unique choix, l’opérateur sélectionne un des huit niveaux de compression de la version à débit constant (de 3:1 à 12:1) ou à qualité constante (Q0 à Q5). Les résolutions disponibles sont très orientées cinéma, à partir du 6K Open Gate qui exploite la totalité du capteur (6 048*4 032 pixels) pour un maximum de flexibilité en postproduction. Les autres formats utilisent tous une zone fenêtrée du capteur.

Le 6:5 Anamorphic correspond à une division par deux du format cinémascope 2:39 pour une exploitation directe (sans crop) des images captées par des optiques anamorphiques. Ce mode utilise toute la hauteur du capteur (4 032 pixels), sur une largeur de 4 832 pixels. C’est également le cas pour les formats 6K DCI et 6K 2.4:1 sur des hauteurs respectives de 3 200 et 2 520 pixels.

Avec les modes Super 35, la largeur de champ est resserrée d’un facteur de 1,5 environ par rapport au plein format, que ce soit en Super 35 4:3 (un autre format permettant d’exploiter des optiques anamorphiques) ou 4K DCI (4 096*2 160). Les formats Super 16 16/9 et HD exploitent une partie très fenêtrée du capteur, avec un ratio qui atteint 3,5 entre le HD et le Full Frame. L’angle de champ obtenu avec une optique 50 mm plein format est alors équivalent à celui d’une optique 175 mm. En Open Gate, la cadence d’image maximale est de 30 images par seconde (36 ips en mode ralenti – off speed recording), elle passe à 60 images par seconde en 4K DCI. Le mode HD permet d’enregistrer des ralentis jusqu’à 120 ips (mode off speed recording).

 

Stabilisation, rolling shutter et capteur de mouvement

Stabilisation et réglage du rolling shutter avec les données Camera Gyro dans DaVinci Resolve. © Loïc Gagnant

Les capteurs qui « lisent » l’image de manière séquentielle ligne par ligne sont nommés capteurs à obturateur roulant (rolling shutter). Leurs défauts caractéristiques, présents sur la BMCC 6K et surtout visibles dans certaines conditions, se matérialisent par une déformation des lignes verticales de l’image lors de panoramiques rapides. Certains fabricants ont adopté une technologie dite global shutter (obturateur global) ou tous les photosites du capteur sont lus simultanément. Pour traiter au moins partiellement ce problème, ainsi que la stabilisation des images en postproduction, Blackmagic a intégré un capteur de mouvement (motion sensor) à la BMCC 6K. On peut activer la stabilisation de l’image en exploitant ces données avec le mode Camera Gyro disponible depuis l’inspecteur du logiciel DaVinci Resolve. Le résultat est très intéressant. Cette fonctionnalité est disponible également sur les modèles Pocket Cinema Camera 4K et 6K depuis la mise à jour du firmware en version 7.9 et DaVinci Resolve 18 uniquement avec le format BRAW.

 

Supports d’enregistrement

L’enregistrement sur carte en interne exploite un emplacement CFast type B, abandonnant le logement SD UHS‑II qui complète le CFast sur les modèles Pocket. Le port USB-C 3.1 Gen 1 permet l’enregistrement sur disque externe SSD. La captation en Raw est automatiquement complétée par l’enregistrement de fichiers proxys (H-264 8 bits 1 080p 420), idéaux pour les workflows de cinéma numérique. En Raw, de nombreux choix techniques fait par le chef opérateur à la prise de vue sont enregistrés comme métadonnées parallèlement aux signaux issus du capteur et peuvent être modifiés pour donner une grande marge de travail en postproduction. Il est possible d’enregistrer en mode vidéo, extended video ou Film (log), toute décision étant modifiable ultérieurement. L’utilisateur peut appliquer une LUT pour développer les images, et éventuellement intégrer une Show LUT préparée par un étalonneur.

 

Sur le terrain : réglages et manipulations

Réglage de l’exposition via la fonction false color. © Loïc Gagnant

Quels outils sont proposés aux opérateurs par la Blackmagic Cinema Camera 6K pour préparer leur image ? L’autofocus est accessible via un simple bouton et il n’y a pas de suivi de mise au point continu. C’est un des facteurs qui orienteront certains utilisateurs vers des modèles concurrents pour la captation de reportages magazine ou d’actualité notamment. Dans des applications ou l’esthétisme et le traitement artistique de la profondeur de champ sont recherchés, les opérateurs ont besoin d’outils d’aide au suivi manuel de la mise au point. Le focus assist est paramétrable entre les modes peaking et colored lines. En tapotant sur l’écran, l’image est zoomée. Le réglage de l’exposition dispose d’un zebra réglable (hachurage de l’image selon des niveaux de luminosité), d’un oscilloscope « waveform » (Meters) entourée de barres verticales d’indication de sous et surexposition autour de l’histogramme RVB. Le mode false color superpose des couleurs désignant les sous et surexpositions, et les plages correctes pour les tons intermédiaires et la peau humaine. De nombreuses aides au cadrage (grilles, guides de zones sécurisées, lignes des tiers et d’horizon) sont facilement paramétrables. Les tournages en cadrage vertical sont facilités par la reconnaissance de l’orientation de la caméra enregistrée en métadonnée du fichier vidéo. Les aides au cadrage et toutes les inscriptions sur l’écran sont également automatiquement adaptées à cette façon de filmer de plus en plus habituelle.

 

Audio

Réglages audio de la Blackmagic Cinema Camera 6K. © Loïc Gagnant

Nous retrouvons la qualité des préamplificateurs audio des modèles Pocket sur la BMCC 6K. Les niveaux sont réglables via le menu accessible sur l’écran tactile. Pour pouvoir agir rapidement en cas de surmodulation inattendue, le menu de réglage audio est accessible directement en cliquant sur le vumètre. Les micros peuvent être branchés sur les connecteurs mini XLR avec pourvus d’une alimentation fantôme 48 volts ou la prise jack 3,5 mm. Des micros internes peuvent fournir des sources témoins pour synchroniser l’audio capté par les micros perches ou HF et l’enregistreur externe d’un ingénieur du son. Dans cette configuration, il est conseillé d’enregistrer un timecode commun aux médias de la caméra et de l’enregistreur audio. Des fabricants tels que Tentacle avec les mini boîtiers Sync E, Original ou Track E, ou Deity avec le TC-1 fournissent un signal de timecode qui sera automatiquement reconnu par la BMCC 6K acheminés par l’entrée MIC du boîtier à l’aide d’un câble jack 3,5 mm.

 

Le large moniteur aide à tous les réglages de la Blackmagic Cinema Camera 6K. © Loïc Gagnant

Sensibilité

Un des attraits des grands capteurs est leur sensibilité et leur dynamique. Celle de la Blackmagic Cinema Camera 6K est annoncée à 13,5 diaphs. Pour assurer une étendue de la sensibilité dans les basses lumières, une technologie est exploitée chez plusieurs fabricants : le dual ISO natif. Une caméra vidéo possède une valeur de sensibilité ISO native qui est celle où la caméra présente la meilleure image et la plage dynamique autour du gris moyen est la plus équilibrée. Dans ce cas, lorsque l’opérateur augmente la sensibilité de la caméra, un gain électronique est appliqué au signal vidéo, du bruit apparaît progressivement et la dynamique disponible diminue.

Le dual ISO consiste à modifier l’électronique associée au capteur de la caméra avec deux circuits différents dont le système de conversion en tension, des charges provoquées par la lumière est adapté à deux situations différentes : exposition normale pour l’une et travail en basse lumière pour l’autre. Différentes solutions de mise en œuvre sont déployées par les fabricants qui exploitent cette technologie.

Sur la BMCC 6K le choix de la sensibilité native du capteur est automatique selon la plage de sensibilité choisie : de 100 à 1 000 ISO, l’ISO natif de la BMCC 6K est de 400 ISO ; au-dessus et jusqu’à 25 600 ISO, l’ISO natif est de 3 200 ISO. La dynamique de 13,5 diaphs est constante dans la première plage d’ISO. Elle passe ensuite à 12,2 diaphs, une valeur qui reste constante jusqu’à 6 400 ISO avant de baisser progressivement pour les plus hautes valeurs de sensibilité.

La caméra fournit de très belles images en basses lumières comme vous pouvez notamment le constater en téléchargeant les images filmées par des chefs opérateurs de talent et mises à disposition en BRAW sur le site du fabricant. Les films réalisés de nuit comme ceux proposés via ces liens exploitent le peu de lumières fournies par les sources de la ville par exemple. Dans le cadre d’une captation en très basse lumières, d’autres modèles de capteurs et de caméras concurrentes sont plus sensibles que la Cinema Camera 6K.

 

Les Atem Mini pilotent la BMCC 6K. © Loïc Gagnant

 

Pilotage réseau ou via les mélangeurs Atem Mini

Sur les plateaux de cinéma, des workflows multicaméras adaptés de la production live sont de plus en plus régulièrement mis en œuvre. La BMCC 6K propose des fonctionnalités alternatives qui pourront trouver de nombreux usages. Depuis longtemps les caméras Blackmagic sont pilotables en bluetooth via smartphone ou iPad. La BMCC 6K et les Blackmagic Ursa Broadcast G2, Micro Studio Camera 4K G2, Studio Camera 4K Plus, 4K Pro, 6K Pro, 4K Plus G2 et 4K Pro G2 s’ouvrent au pilotage via Ethernet grâce à la nouvelle API Camera Control REST qui permet aux développeurs de préparer des outils de commande. L’enregistrement de caméras peut être lancé, la correction colorimétrique gérée et les fichiers transférés suivant les protocoles ftp, smb, http ou https.

Nous avons aussi testé la connexion de la caméra dédiée au cinéma numérique avec un Atem Mini. Le mélangeur connecté au réseau local, plusieurs caméras branchées en HDMI au mélangeur peuvent être pilotées via l’application Atem Software control. La colorimétrie des caméras peut être ajustée et les timecodes de toutes les caméras synchronisées à un TC horaire ou choisi par l’opérateur.

 

La monture L de la Blackmagic Cinema Camera 6K permet d’adapter de nombreux objectifs comme ici un Sigma Art 24-70 mm. © Loïc Gagnant

 

Monture L

Bien sûr, la conception d’une caméra, c’est l’élaboration d’un compromis et une proposition qui cible un certain public. Celui de la Cinema Camera est clairement annoncé. Blackmagic Design nous a confirmé que les utilisateurs de leurs caméras étaient demandeurs d’un modèle plein format. Pour exploiter pleinement ce capteur, la marque a décidé d’utiliser une nouvelle monture série L arborant un large diamètre de 51,6 mm. Ce standard de monture initialement développé par Leica est devenu en 2018 une alliance entre les fabricants Panasonic, Sigma, et Leica.

Blackmagic Design a rejoint l’alliance qui compte aujourd’hui huit membres avec Leitz, DJI, Samyang et Astro. Un site Internet dédié à cette monture vante les possibilités sans limites « L for limitless » de cette monture cross-formats qui autorise l’exploitation des optiques des divers fabricants exploités aussi bien pour des appareils plein formats qu’APS-C. Dans une caméra ou un appareil photo, le tirage optique ou la « flange focal length » (FFL ou flange focal distance FFD) est la distance entre la bride de l’optique (la monture) et le capteur. Sa faible valeur de 20 mm sur les montures L permet une conception simplifiée et moins coûteuse des optiques en évitant la conception de système de rétrofocus complexes.

Un autre grand avantage pour les utilisateurs disposant déjà d’un parc d’optiques qu’ils apprécient, c’est que les adaptateurs sont simples à concevoir, par exemple pour exploiter des montures PL ou EF que l’on retrouve pour ces dernières sur les Pocket cinema Camera 6K G2 et Pro. Les chefs opérateurs peuvent utiliser leurs optiques vintages au look très cinématographique ou au contraire des optiques très nets des gammes les plus modernes. Les optiques anamorphiques exploiteront au mieux le format 3:2 en open gate du capteur.

 

Conclusion

Les images de la Blackmagic Pocket Cinema Camera, en compagnie de belles optiques série L, nous ont vraiment plu. La puissance et la souplesse du BRAW sont très adaptées au cinéma numérique. Hormis le plein format et la monture L, cette caméra est une évolution naturelle dans la gamme Blackmagic. Elle laisse une place pour un modèle dont la taille et la forme se situeraient entre le boîtier de la BMPCC et ceux des modèles Ursa.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #55, p. 12-16