Cross-media et transmedia… des termes nouveaux, pas si faciles à definir…
Pour Jérome Dechesne, directeur de l’Audiovisuel à la SACD, et Morgan Bouchet, directeur du Transmedia chez Orange, le crossmedia est un nouveau nom, pour finalement quelque chose qui existe depuis des années. Ce sont les mêmes contenus, diffusés sur des écrans différents : « C’est par exemple une œuvre qui est conçue pour une diffusion TV et qui va être projetée sur d’autres supports comme le web ou le téléphone mobile ».
Sébastien Lachaussée, avocat au barreau de Paris, expert en droit des nouvelles technologies, explique que ce n’est pas si simple. « Aujourd’hui, il y a de moins en moins de différence entre les projets cross-media et transmedia. Un contenu cross-media ce serait aussi, par exemple, une série télévisée pour enfant, qui serait déclinée en jeu vidéo et en application pour téléphone mobile. L’univers est le même, mais les projets et histoires sont séparés et les usages et supports sont différents ».
Dans ce cas de figure, Jérome Dechesne évoque, quant à lui, un transmedia historique, pour lequel « la déclinaison de l’œuvre initiale est une série d’adaptations. C’est le cas de « Nos enfants chéris », de Benoit Cohen. Le film, devenu une série, reprend l’histoire originale et la poursuit, 3 ans après sa sortie, avec les mêmes comédiens ».
Pour l’avocat, une œuvre transmedia est plus révolutionnaire et plus novatrice. « L’écriture et la genèse du projet sont multiples et impliquent une interaction avec le spectateur, soit en ligne, sur des réseaux sociaux, soit sur son smartphone. La forme d’écriture est faite pour utiliser, lors d’une même histoire, des univers et des supports variés. On est dans une sorte de laboratoire expérimental avec de nouvelles façons d’atteindre le public et de le faire participer à de nouvelles expériences.». Ce en quoi il est à l’unisson avec Jérome Dechesne : « Quand le projet est nativement transmedia, c’est là que l’évolution est réelle. L’auteur, ou les auteurs, conçoivent différents projets, au même moment, pour un même univers, avec l’idée de les diffuser en même temps, en parallèle sur différents supports. ».
D’un point de vue technologique, Morgan Bouchet rappelle que le transmedia implique de penser des œuvres spécifiques pour chaque écran, en fonction de leur différence de taille et de leur utilisation. « Pour le téléphone mobile, on peut prendre en compte la géolocalisation. Ces spécificités peuvent être intégrées à une histoire. Mais tout cela se pense en amont. On écrit l’histoire et chaque élément va atterrir sur tel ou tel écran. Les portes d’entrée sont aussi différentes d’un support à l’autre. Cela suppose de penser le scénario comme un jeu vidéo, avec tous les cas de figures possibles. C’était le cas dans le projet FANFAN2 par exemple»
http://www.refresh.orange.com/article/quinze-ans-aprs-fanfan-2-une-nouvelle-forme-de-narration-participative_159
Pas de droit d’auteurs sans protection préalable
Les projets cross-media et transmedia sont très complexes. Un groupe d’auteurs, venant d’univers très différents, collabore sur des œuvres à destination de plusieurs supports de diffusion. Comment maîtriser les problématiques liées à la propriété intellectuelle de ces projets ?
Jérome Dechesne, de la SACD, remarque que le cross-media, en termes de droits d’auteurs, ne pose aucun problème. L’œuvre et l’auteur restent les mêmes. La remontée des recettes s’intensifie avec la variété des écrans.
Concernant le transmedia, il en évoque trois différents, relevant de problématiques spécifiques : « Le transmedia historique relève de l’adaptation et dépend du régime classique du droit des auteurs. On achète au producteur les droits dérivés de la première œuvre. Le transmedia « marketing » sert à créer de la notoriété autour d’un événement. Par exemple, avant la sortie d’un film, on réalise un « teaser », un site Internet ou encore des forums de discussion. C’est de l’information virale ayant pour but de créer de la notoriété autour du film. On appelle aussi cela du marketing. Le transmedia « natif » lui, pose des questions, qui toutefois permettent d’être résolues, si l’œuvre est protégée ».
Une protection en deux temps
Pour protéger une œuvre transmedia « natif », les conseils de la SACD sont les suivants : procéder en deux étapes. Tout d’abord, il faut protéger la bible qui décline l’univers sur plusieurs supports. La protection de cette bible et de cet univers (par dépôt à la SACD, la SCAM ou par envoi de recommandé à soi-même) détermine un ou plusieurs auteurs désignés. Mais ce n’est pas suffisant. Il va s’agir ensuite de protéger chacune des différentes œuvres (film, jeu, site, forum, application…) qui vont composer l’univers transmedia et en déclarer les auteurs.
Là encore, pour Jérome Dechesne, « Ce n’est pas la révolution. On connaît tous les statuts de chaque œuvre et on sait les protéger. L’essentiel c’est que chacune de ces œuvres soit protégée, en plus de l’univers principal. On a des outils pour ne pas paniquer devant les nouveaux médias. Les protections sont les mêmes qu’avant, il y a une filiation entre les œuvres du transmedia et les œuvres d’origine. Toutefois, tout ne va pas relever du régime « d’œuvre d’auteur » mais du régime juridique de chaque déclinaison ».
Qui est auteur ? quels sont ses droits ?
Ces deux questions, si simples soient-elles, sont au cœur des débats qui agitent les professionnels des nouveaux médias. En effet, il existe aujourd’hui une grosse différence entre le statut d’auteur de jeu vidéo, sous le régime du copyright, d’un développeur salarié ou d’un auteur, sous le régime du droit d’auteur.
Sont-ils au même niveau dans une œuvre transmedia et peuvent-ils avoir les mêmes droits ?
Selon Sébastien Lachaussée « En France, le droit d’auteur favorise moins les développeurs et auteurs de logiciels que les scénaristes. En général, si un développeur est embauché pour un jeu, un site ou un projet multimédia, tous ses droits d’auteur vont au producteur. Pour le scénariste, les droits d’auteurs sont sensés être gérés de la même façon que pour un projet plus traditionnel. Il touche des droits en amont, grâce à un minimum garanti, ou en recettes auprès des sociétés d’auteurs. Toutefois, il n’existe aujourd’hui aucune disposition légale qui peut déterminer qui sont les auteurs d’une œuvre transmedia et à quelle hauteur ».
Morgan Bouchet déplore cette réalité. Il ajoute que « si l’on peut facilement identifier l’auteur principal d’une œuvre transmedia, c’est plus difficile de le faire pour les co-auteurs, vu le nombre de collaborateurs et de supports. Il faudrait que les organisations actuelles clarifient le rôle de chacun. Si on prend l’exemple du « story architecte » qui crée l’arborescence et les pages du projet, c’est l’essence même de l’objet transmedia. Est-ce un auteur ? Aujourd’hui, la grande question d’un projet transmedia, c’est : qui est auteur ?».
Pour répondre à ces problématiques, le CSPLA (Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique) se penche depuis quelque temps sur le statut d’auteurs du jeu et l’ADIJ (Association pour le Développement de l’Informatique Juridique) a également monté des sessions de réflexion en 2011.
Quelle diffusion, pour quels droits d’auteurs ?
Les plateformes de diffusion d’un projet transmedia génèrent des audiences. Elles intéressent donc la publicité, qui elle-même génère de l’argent. Par conséquent, il existe des modèles de partage de revenus. Quels sont-ils ? Comment rémunérer un auteur de projet transmedia ?
Sébastien Lachaussée constate que « À part la VOD (ou VAD, vidéo à la demande), personne ne reverse de pourcentage de droits à l’auteur, car les recettes sur le Net sont faibles, même lorsque la publicité est présente. Et dans la majorité des cas, les sommes ne sont pas redistribuées aux auteurs. Parfois, les auteurs ont des accords de reversements des recettes mais en général, ce n’est pas très élevé. Le projet est en création chez You tube. Mais il y a peu de transparence sur les droits ». Toutefois, il ajoute que cette situation devrait évoluer en fonction d’un contrôle de clic. « Au début d’Internet, c’était une idéologie de payer des droits aux auteurs… Aujourd’hui, on progresse ». Morgan Bouchet ajoute que l’« on tend effectivement aujourd’hui vers des schémas mixtes d’acquisition de droits d’un diffuseur, associé à des micros droits d’auteur, calculés en fonction du nombre de visiteurs uniques et de pages vues ».
Jérome Dechesne précise enfin que, même s’il existe effectivement plusieurs modèles économiques de diffusion sur les nouveaux médias, des accords sont signés entre les sociétés d’auteurs et de nombreux portails Internet : Daily Motion, You tube ainsi que TF1, M6, FTV et les autres télédiffuseurs. « Des protocoles d’accord existent aussi avec les plateformes de VAD, qui nous font un reporting direct. Dans quelques années, les sociétés d’auteurs auront la liste de ce qui est diffusé, du nombre de clic exact, de la durée de visionnage des œuvres et il existera des critères beaucoup plus objectifs pour rémunérer les auteurs ».
Pour en savoir plus :
Article de Sebastien Lachaussée : transmedia, cross-media : un vide juridique ?
http://www.avocat-l.com/home/actualits/transmedia
Les sites de la SACD et de la SCAM : www.sacd.fr et www.scam.fr
Le site du Transmedia Lab d’orange : www.transmedialab.org/
Le site du CSPLA : www.cspla.culture.gouv.fr/
Le site de l’ADIJ : http://www.adij.fr/