“Dheepan”, l’histoire d’une rencontre et d’un film

Eponine Momenceau est une artiste dans l’âme. Musicienne (elle a suivi un cursus d’études musicales au lycée et au conservatoire), passionnée par l’image (elle est diplômée de la Fémis section image), quand elle ne tourne pas comme directrice de la photographie, elle réalise ses propres films empreints d’une grande poésie. Sa réalisation Waves Become Wings est à l’origine de sa rencontre avec Jacques Audiard. Ce court métrage était en effet présenté au Palais de Tokyo. Monsieur Audiard l’a vu, l’a beaucoup apprécié et un jour a téléphoné à Eponine. Histoire d’une rencontre…*
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Encore fallait-il que ces deux là s’apprivoisent, apprennent à se connaître. Alors, ils vont beaucoup parler, regarder… Jacques Audiard recherchait quelqu’un avec un côté presque inexpérimenté ; plus encore, il désirait retrouver une certaine spontanéité, une certaine fraîcheur, il voulait être déstabilisé, recevoir de nouvelles propositions.

Les idées directrices de l’image du film se sont affinées lors des repérages en faisant des photos, en filmant les lieux. Ce fut une préparation intensive avec même des tests filmés dans les décors et des doublures. Le réalisateur n’a cessé de poursuivre une réflexion sur le scénario tout au long de la préparation avec les membres de l’équipe chefs de poste (son assistant, Eponine, sa scripte, son chef décorateur). Il se nourrissait de leurs idées et les impliquait dans tout le processus de création.

Pour Eponine, cette longue préparation fut assez éprouvante. Dès que le tournage a commencé, tout son travail s’est déroulé naturellement ; elle était sur la même longueur d’ondes que son équipe : Nicolas Eveilleau, assistant opérateur ; Marianne Lamour, chef électricienne et Edwin Boyer, chef machiniste. En fait, les recherches et tâtonnements d’avant tournage l’avaient nourrie ; elle avait pu ainsi intégrer tout l’univers du film, et quand l’heure de se jeter à l’eau est venue, elle savait nager.

Pour répondre aux désirs de Jacques Audiard, elle a choisi la Sony F55. Eponine considère que c’est une caméra légère, conçue pour filmer à l’épaule, ce qui était un argument « de poids », étant donné que l’opératrice a beaucoup utilisé ce mode de prises de vues. Par ailleurs, elle a beaucoup apprécié le rendu d’image de la Sony F55 qui l’a aidée à réaliser ce qu’ils imaginaient, elle et Jacques Audiard. Tous deux voulaient une image brute mais cinématographique, pas trop stylisée mais avec de la matière et du caractère, surtout pas une image numérique et clinique.

Eponine a utilisé des Lut contrastées pour obtenir un certain expressionisme avec des noirs très noirs et des blancs « qui pètent », bref une image qu’elle qualifie de « vivante ». Au total quatre Lut furent nécessaires : pour l’intérieur jour, pour l’extérieur jour, pour l’intérieur nuit et pour l’extérieur nuit.

Les références venaient aussi du cinéma asiatique avec des intérieurs très colorés ; il fallait donner une vision enchantée de la cité, que les personnages portent un regard exotique sur leurs lieux de vie en France. Eponine a adjoint des objectifs Cooke S3 à la Sony F55 pour ajouter des défauts à l’image, du flare et du vignettage. Elle a aussi utilisé un zoom Angénieux Optimo 24/70mm ; les mouvements de zoom étaient toujours très lents. Les focales les plus utilisées furent le 40 mm et le 50 mm. À l’épaule, le 35 mm eut ses faveurs. Détail, elle n’a utilisé l’Easyrig que pour la séquence finale de course poursuite. Les ouvertures de diaphragme les plus courantes se situaient autour de 2 ou 2.8 pour ne pas avoir trop de profondeur de champ. Eponine en profite pour souligner l’efficacité du travail de son assistant Nicolas Eveilleau. Elle a très peu filtré, si ce n’est de temps en temps, le zoom avec des diffuseurs Mitchell.

Les Lut définies au tournage ont suivi les images au montage. Lors de l’étalonnage avec Charles Fréville, la directrice de la photographie a choisi d’ajouter un peu de grain sur l’image et les références des Lut ont été reprises.

Une jolie aventure qui la porta sur les marches cannoises et aux César où elle fut nommée.

 

* Cet article est paru pour la première fois en intégralité dans Mediakwest #16, p.76

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