
Alors que certains réalisateurs explorent des formats inédits ou dynamiques, les professionnels de la postproduction, de la projection et de la photographie doivent s’adapter à cette évolution, parfois au prix de défis logistiques et techniques. Comment analyser cette mutation, ses origines, ses implications et quelles sont les pistes pour un meilleur encadrement des pratiques ?
Le patrimoine cinématographique comme point de départ
La multiplicité des ratios d’image n’est pas une nouveauté dans le monde du cinéma. Comme le souligne Éric Chérioux, directeur technique de la CST (Commission Supérieure Technique de l’Image et du Son), des formats variés comme le 1.33, le 1.37 ou le 1.66 étaient déjà largement utilisés à l’époque du 35 mm. Ces formats dits patrimoniaux, hérités de la pellicule, continuent d’influencer les choix esthétiques des réalisateurs et directeurs de la photographie aujourd’hui.
Cependant, l’avènement du numérique a rationalisé les standards de projection autour de deux formats principaux : le flat (1.85) et le scope (2.39). Ces deux ratios, correspondant à la taille des écrans de cinéma, dominent les salles, bien que des formats intermédiaires ou hybrides continuent d’émerger. « Certains pays plébiscitent plutôt le scope, ce qui est le cas de la France, et d’autres le flat, notamment aux États-Unis. Mais on peut trouver les deux ratios dans la plupart des pays », explique Éric Chérioux.

Le numérique : un outil de liberté ?
Avec l’arrivée du cinéma numérique, le DCP (Digital Cinema Package) a permis de s’affranchir des limites physiques de la pellicule. Techniquement, tout ratio peut désormais être projeté, à condition d’être intégré dans un flat ou un scope. Cette liberté technique a ouvert la voie à une explosion de formats, mais elle a également généré de nouvelles complexités.
Pour projeter les films dans les meilleures conditions possibles, des recommandations de nommage de fichier existent et des ratios obligatoires sont désignés. L’ISDCF (Intersociety Digital Cinema Forum) fait de la recommandation de bonne pratique sans caractère obligatoire sur la convention de nommage du fichier dans le DCP. Chaque fichier, à l’intérieur du DCP, va avoir un nom correspondant à des caractéristiques qui lui sont propres (image et son). Chaque film peut présenter différentes versions de fichiers (CPL – composition playlist) et le projectionniste va sélectionner celui qui correspond aux caractéristiques techniques de la salle dans laquelle le film va être projeté.
Pour renseigner le projectionniste, il faut au moins renseigner le titre du film, le type de film (long, court, docu…), le format du son, s’il s’agit de 2K ou 4K puis le ratio. Mais Éric Chérioux rappelle que « cette convention de nommage ne revêt d’aucun caractère obligatoire ».
- Standards et flexibilité
Le numérique autorise des ratios exotiques ou dynamiques. Toutefois, les normes comme la NF S27-100 en France n’exigent que deux macros obligatoires dans les projecteurs : le flat et le scope. D’autres formats, comme le 1.78 (16/9e), souvent utilisé pour la télévision, ou le 2.2, hérité du 70 mm, sont conseillés mais non imposés. Cette souplesse peut être à double tranchant : si elle favorise la créativité, elle complique aussi l’uniformité de la projection. Un troisième cas peut être rencontré, il s’agit du ratio full container (C) qui correspond à du 1.90. Ce dernier ne devrait être utilisé que lorsque l’on utilise des mires. Il correspond à la totalité de la matrice. Il n’y a pas d’écran en salle à ce ratio-là. « Aucun cinéma n’a de ratio C, le projectionniste va alors devoir faire ce qu’on appelle du try and test », précise Éric Chérioux.
- Ratios dynamiques
Certains films récents explorent des changements de ratio au sein d’une même œuvre. Si cela enrichit le récit visuel, cela pose des défis techniques majeurs. Par exemple, un film qui alterne entre flat et scope peut nécessiter des ajustements manuels en salle, entraînant des déformations ou des soucis d’affichage des sous-titres.
Des défis pour la projection et la postproduction
L’utilisation de ratios exotiques ou dynamiques pose des problèmes techniques notables pour les exploitants de salles et les équipes de postproduction. Lorsqu’un ratio inhabituel est utilisé, les projecteurs doivent être configurés manuellement, ce qui demande du temps et des compétences spécifiques. Comme l’explique Éric Chérioux, les ratios non standards nécessitent souvent la création de macros dédiées, un processus complexe et coûteux.
Les sous-titres peuvent être mal positionnés si la macro n’est pas correctement réglée, ou si le ratio utilisé n’est pas bien anticipé en postproduction. Cela peut entraîner des décalages ou des coupures de texte, impactant l’expérience du spectateur. « Les sous-titres peuvent être générés soit par le serveur soit par le projecteur. Suivant la manière dont le sous-titre est généré, il ne va pas se positionner au même endroit, notamment si la macro n’est pas bonne », souligne Éric Chérioux. Avec des ratios exotiques, il n’est pas possible de contrôler le rendu de l’image du film projeté dans les salles.

La CST réalise des mires de cadrage pour accompagner les projectionnistes. Le principe de la mire de cadrage est de projeter des valeurs qui permettent de créer une macro. Certains films sont encodés dans des formats incompatibles avec les standards de projection. Par exemple, un film tourné en 2.0 peut être inclus dans un flat ou un scope, mais cela peut entraîner des bandes noires ou une perte de résolution, selon les choix de postproduction.
Pour répondre aux défis liés à la multiplication des ratios et leur traitement au moment de la projection, certains professionnels appellent à une extension des normes existantes. Ajouter davantage de ratios obligatoires dans les standards comme la NF S27-100 pourrait faciliter la projection et offrir plus de flexibilité aux créateurs. Cependant, cela nécessiterait une mise à jour des équipements dans les salles, ainsi qu’un accompagnement renforcé des techniciens.
Concernant la définition des images, le ratio ne dit rien du nombre de pixels. Lorsque l’on a une œuvre en flat ou en scope, la taille de pixel est cohérente et homogène avec le 2K et le 4K. Mais pour les autres ratios, comment déterminer s’il vaut mieux créer un DCP en flat ou en scope pour s’assurer que la version projetée sera la mieux définie ?
Les plates-formes comme Netflix, qui produisent également pour le cinéma, proposent des règles spécifiques pour le basculement entre flat et scope, en fonction du nombre de pixels. Par exemple, un ratio de 2.0 peut être inclus dans le flat si la préoccupation première est le nombre de pixels. Le basculement pour passer du flat au scope se situe à environ 2.30, ce qui est assez contre-intuitif. Cette approche pragmatique, bien que complexe, pourrait inspirer des pratiques similaires dans l’ensemble de l’industrie.
Des tendances portées par les plates-formes OTT et les outils de production

L’essor des plates-formes de streaming, comme Netflix et Amazon Prime, a influencé les choix de ratios, en particulier avec l’émergence du 2.0, un format qui s’adapte bien aux écrans mobiles tout en offrant une esthétique cinématographique. Selon Julien Jakobowski, projectionniste au cinéma Ellipse, ce ratio est de plus en plus courant, même pour des productions destinées aux salles de cinéma.
Cette tendance s’explique également par les presets proposés par les caméras modernes, qui permettent de filmer dans une variété de formats sans contraintes majeures. Cependant, Julien souligne les incohérences qui peuvent en découler. Par exemple, certains films récents, comme Transformers : The Last Knight, utilisent jusqu’à cinq ratios différents sans justification narrative, ce qui perturbe l’expérience de projection et va parfois à l’encontre des principes fondamentaux du cinéma.
Le point de vue des directeurs de la photographie
Pour les directeurs de la photographie comme Pascale Marin, le choix du ratio est une décision artistique centrale, souvent discutée très tôt avec le réalisateur. Elle explique que certains décors ou mises en scène appellent naturellement des compositions plus verticales ou horizontales, influençant directement le format choisi. « C’est vraiment un choix artistique aussi crucial que le choix de la caméra et des optiques », insiste la directrice de la photographie.
Les discussions peuvent amener le réalisateur et son directeur de la photographie à réaliser des choix originaux. Pascale Marin souligne que certains réalisateurs optent pour des looks anamorphiques sans nécessairement utiliser le ratio correspondant. Par exemple, un tournage en anamorphique peut être finalisé en 1.78 ou 2.0, offrant un rendu visuel unique tout en s’adaptant aux contraintes de diffusion.
Pascale Marin a également récemment travaillé pour une série produite par Arte, Patience mon amour de Camille Duvelleroy, conçue en 9:16, format vertical adapté aux smartphones. Ce choix, bien que peu conventionnel pour un film de cinéma, reflète l’évolution des usages et ouvre de nouvelles possibilités. D’un point de vue narratif et artistique, ce ratio a permis de réaliser des plans originaux, et de servir la proximité que le spectateur peut avoir avec le personnage. « Des plans insatisfaisants à l’horizontal pouvaient l’être à la verticale. »
L’objectif est de permettre aux réalisateurs et aux directeurs de la photographie de pouvoir opérer des choix artistiques qui ne seront pas altérés au moment de la projection.
Un équilibre à trouver entre créativité et contraintes techniques
L’exploration des ratios dans le cinéma et l’audiovisuel reflète une dynamique positive, marquée par une quête constante de nouveauté et de liberté artistique. Cependant, comme le souligne Julien Jakobowski, cette évolution doit être accompagnée d’une meilleure coordination entre réalisateurs, directeurs de la photographie, équipes de postproduction et exploitants de salles.
Des initiatives comme la création de multiples versions DCP, adaptées aux configurations des salles, offrent une solution, mais à un coût élevé. À l’inverse, une meilleure sensibilisation des créateurs aux contraintes de projection pourrait éviter des incompatibilités ou des expériences de projection dégradées.
Les ratios d’image jouent un rôle fondamental dans la narration et l’expérience visuelle. Leur évolution, stimulée par les technologies numériques, témoigne de la richesse créative du cinéma contemporain, tout en posant des défis inédits aux professionnels de la chaîne de production. Pour l’industrie, le défi est double : soutenir l’innovation tout en garantissant une expérience optimale pour le spectateur, quels que soient les choix artistiques. Cela passe par une meilleure communication entre les différents métiers, des normes techniques plus adaptées, et une réflexion collective sur les usages futurs du cinéma et de l’audiovisuel.
Article paru pour la première fois dans Mediakwest #60, p.14-16