Virus 1 – Audiovisuel 0

État des lieux, à travers le monde, de la situation de notre secteur laminé par les conséquences de la distanciation sociale. 
Ces règles de distanciation sociale paraissent-elles tolérables ? © DR

Si le nombre d’habitants de cette planète qui ignorent l’impact du Covid-19 est aujourd’hui bien faible, il est assurément nul parmi les lecteurs de ce magazine, et plus généralement les acteurs de l’audiovisuel. On pense bien sûr aux domaines du spectacle et de l’événementiel, culturel et sportif, mais loin de s’en tenir là, c’est l’ensemble des productions qui est mis à l’arrêt, pour un temps (in)certain. Le phénomène est mondial, avec des répercussions très variables pour les professionnels selon leur pays de résidence. Faisons un petit tour d’horizon de la santé du monde de la vidéo au printemps 2020.

 

Commençons avec l’exemple d’un Français intermittent du spectacle : Mathieu Samin, technicien son et régisseur général en musique actuelle, avec ce statut depuis une quinzaine d’années. « Du jour au lendemain, tous les événements, concerts et spectacles prévus ont été annulés ou reportés à une date inconnue, incluant l’essentiel des festivals qui font de l’été la période d’activité la plus forte. »

Il est question que bon nombre d’entre eux soient décalés à l’automne, qui pourrait ainsi être une période très chargée avec peut-être même une pénurie de main d’œuvre, mais « d’ici là, bien malin celui qui pourra prédire la situation ». Mathieu redoute que les règles sanitaires qui vont s’imposer soient délicates à mettre en place dans ce secteur : « Nous avons été les premiers impactés, nous serons les derniers à reprendre. »

D’ici là, les sociétés de production tentent de mettre en place le dispositif du chômage partiel pour les contrats qui étaient signés et les allocations du Pôle Emploi viennent protéger ceux qui en bénéficient. Les intermittents du spectacle jouissent des aides de l’État qui les tiennent pour l’instant à l’écart de soucis financiers trop importants, qui n’épargnent en revanche pas les indépendants. La situation est en effet plus critique pour les auto-entrepreneurs et directeurs d’entreprises ou de sociétés de tous types, qui représentent une partie non négligeable du paysage audiovisuel français et mondial.

 

Regardons du côté de nos voisins les plus proches, comme nos amis anglais, avec les exemples de Johno Verity et Tom Seward, tous deux opérateurs de prise de vue, sur des tournages variés pour le premier et essentiellement des captations sportives pour le second. Pour eux aussi le choc a été brutal. Johno : « en deux jours tous mes jobs ont été annulés, et ce jusqu’à aussi loin que je puisse voir », Tom : « toutes mes missions sont tombées à l’eau, de celles à la journée aux événements majeurs comme l’UEFA Euro 2020 ou les Jeux Olympiques de Tokyo, reportés en 2021. »

Ils estiment leurs pertes entre trente et quarante mille euros chacun, qui vont partiellement être compensées par le gouvernement, à hauteur de quatre-vingts pour cent de leurs revenus plafonnés à 2 200 € pendant trois mois. Mais comme bon nombre d’indépendants se versent un faible dividende, le montant risque d’être très faible pour beaucoup d’entre eux. En attendant, Johno a réussi à obtenir l’autorisation de filmer les rues désertes de Londres et s’est mis à créer des films d’animation (en technique de stopmotion) pour proposer aux entreprises un autre moyen de communiquer sans contact social.

 

Les Suisses ont vécu un confinement moins drastique. Ils ont gardé le droit de travailler si leur activité leur permettait de respecter une distance sociale de deux mètres et de réunir des groupes de moins de cinq personnes. Mais, comme le nuance le réalisateur Jonathan Viey : « En réalité il n’y a plus de travail, il ne se passe plus rien. Mon agenda est vide, le néant. » Situation similaire pour Steeve Morales de Switch Productions, spécialisé dans la captation vidéo d’événements sportifs et de congrès : « c’est le silence, plus de mails, plus de téléphone, rien. » Il évalue ses pertes à plusieurs centaines de milliers de francs (à peu près l’équivalent en euros), « argent qui ne pourra pas être investi pour que nous continuions à avancer comme nous le souhaitions, ce qui impactera directement les industriels auprès desquels nous voulions nous équiper ».

C’est une réaction en chaîne, puisque les budgets en communication des entreprises risquent d’être réduits par la crise et ne financeront donc pas de nouvelles productions vidéo. Et dans tous les cas, cela prendra du temps, comme le décrit Jonathan : « si on reprend contact avec les clients en juin, cela veut dire au mieux shooting en juillet, facture en août et paiement en septembre. » Il faut donc pouvoir tenir sur sa trésorerie et avec le soutien de la Confédération, qui heureusement est très réactive et propose des aides rapides à obtenir. Dans l’immédiat, Jonathan fait des vidéos pédagogiques à l’hôpital et Steeve a mis son équipement bénévolement à disposition pour créer des lives de battles de break dance, certes avec une équipe archi-réduite et les danseurs en visio, mais un excellent moyen de ne pas se laisser abattre.

 

Un peu plus loin à l’est, mais faisant partie de l’Union européenne, l’Autriche a elle aussi subi un confinement total mettant à l’arrêt les productions, mais bien moins long que celui établi en France. Ainsi, à la mi-avril les tournages pouvaient reprendre pour des équipes de moins de cinq personnes. Jakob Schweighofer de Whiteroom Productions se félicite d’avoir des projets confirmés pour l’été, mais pense malgré tout que la situation mettra certainement un an ou deux à revenir à la « normale ». Ses pertes annoncées sont déjà de quarante pour cent du chiffre. L’état autrichien compense une partie en aidant les salariés et les chefs d’entreprises à survivre à cette crise.

 

En Amérique du Nord aussi la distanciation sociale a été imposée, mais à des échelles adaptées aux différents lieux, les mesures n’étant pas les mêmes dans une mégalopole de plusieurs millions d’habitants et dans une petite ville. Pour Marc Dionne, à Vancouver : « Il reste autorisé d’aller tourner des images de nature, mais sans personnage dedans, donc cela limite les possibilités, ou alors il faut se filmer soi-même. » Mike Holmes, dans le Colorado, monte ses images de ces derniers mois, mais « sans nouveau tournage à venir cela va rapidement arriver au bout ». Et les deux n’ont aucune visibilité à long terme. Marc : « Si je pouvais prévoir quand la vie redeviendra normale je ne serais pas vidéaste ! »

Aux États-Unis la plupart des citoyens affectés par des baisses de revenus ont touché un chèque non reconductible de mille deux cents dollars (mille cent euros), qui ne couvrira bien sûr pas les pertes qui risquent de s’étaler sur une longue période, et ne mettra pas les gens à l’abri de la pauvreté dans un pays où la vie est chère. Le système canadien est plus protecteur, mais la plupart des aides étant conditionnées à l’absence totale d’entrée d’argent, Marc regrette que cela n’incite pas à effectuer de petites missions, car à moins de trouver un gros projet il est plus intéressant financièrement de rester inactif.

 

En dehors des pays « occidentaux » la situation s’annonce encore moins facile, car n’étant pas en mesure de faire face à de gros soucis sanitaires les règles de confinement y ont été particulièrement strictes, avec des capacités d’aides gouvernementales très réduites, voire inexistantes. Khurram Shahzad, monteur de documentaires pakistanais, a vu s’effondrer tous les projets prévus sur une année et s’inquiète déjà de la façon dont il va parvenir à nourrir sa famille, car « je n’ai pas de métier annexe me permettant de passer sur une autre activité le temps que l’audiovisuel reprenne vie ».

 

Grego Campi, réalisateur de films de snowboard argentin, a dû annuler tous les tournages prévus pour la fin de l’hiver de l’hémisphère nord et espère que les frontières rouvriront avant leur hiver pour lui permettre de filmer les athlètes internationaux dans les Andes. Malgré tout, il tente de relativiser la situation : « Notre force en Argentine, c’est qu’on est tellement habitués à la crise, on a les ressources pour s’en sortir ! »

Il n’est pas étonnant de constater que la crise économique touche la planète entière, avec pour tous un chiffre d’affaires de 2020 estimé à la moitié de celui des années précédentes, voire moins si cette situation devait durer. Cela engendre des répercussions individuelles variables selon les pays et les niveaux de protection qu’ils peuvent générer. Il reste donc à espérer que les activités reprennent au plus vite, dans l’audiovisuel comme dans le reste puisque notre secteur dépend fortement de la bonne santé de l’économie, à travers les entreprises qui commandent de la communication ou investissent dans la publicité et le sponsoring, jusqu’aux particuliers qui achètent des places de spectacles.

 

J’avais travaillé il y a fort longtemps avec un directeur de la photo originaire de Hong Kong, qui avait émigré au Canada après la rétrocession à la Chine. Il m’avait dit qu’au début des années 2000 il était devenu impossible de tourner un film à Hong Kong, pour la simple raison que tous les techniciens avaient basculé sur un autre métier du fait de la crise. Je souhaite que cette situation ne devienne pas le cas partout dans le monde.

 

Essayons de tenir autant que possible pour pouvoir nous relever de nos cendres au plus tôt, même si c’est évident que cela sera moins difficile pour les gens déjà bien installés dans leur métier, avec de la trésorerie, et qui perçoivent des aides de leurs pays. Alors courage à tous !

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #37, p. 58-60. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.