Fort d’une filmographie qui totalise une quarantaine de films, le chef opérateur Eric Gautier alterne les longs métrages à gros budget et les productions indépendantes. Depuis ses premières images sur La vie des morts d’Arnaud Desplechin, en 1991, il a acquis une notoriété qui lui a notamment ouvert des portes à l’international. Il a ainsi supervisé la photo de Carnets de Voyage de Walter Salles puis d’Into the Wild de Sean Penn. Avec Grace de Monaco, Eric Gautier signait sa première collaboration avec Olivier Dahan…
Le réalisateur a convaincu Eric Gautier rejoindre le projet en lui présentant sa vision du cinéma et le traitement qu’il souhaitait. « L’action se déroule en 1962, et nous souhaitions, avec le réalisateur, restituer le rendu Technicolor des années 60, en particulier celui des images des films d’Hitchcock. J’aime beaucoup le style ” théâtral ” de Robert Burks, son chef opérateur. La pellicule s’est donc imposée naturellement et dans la continuité de la démarche, le format anamorphique cinémascope qui apporte un côté glamour et princier. C’était définitivement pour moi et Olivier Dahan le bon format pour faire ce film qui raconte une histoire de princesse !», explique Eric Gautier.
Du côté de la prise de vues …
« Pour la pellicule, il ne reste que Kodak. J’ai opté pour des pellicules sensibles une image glamour: j’ai utilisé la Kodak 5207 (250 ISO) pour les extérieurs, j’aime son rendu de couleurs saturées et j’ai utilisé des 500 ISO pour les intérieurs et la nuit : nous avons retenu la 5219, qui possède un contraste fort et la 5230, dotée d’un beau rendu colorimétrique et très plus douce.
Nous avons utilisé des optiques série G Panavision et le 24-290 mm optimo anamorphosé d’Angénieux avec 2 caméras Arricams (Lite et Studio). J’ai par ailleurs employé des filtres. Le travail de filtrage au tournage est très différent d’un filtrage en phase d’étalonnage, la diffusion des contrastes et des couleurs ne fonctionnent pas de la même manière, du coup, le rendu du décor et des profondeurs, par exemple est très différent. J’aime bien travailler avec des combinaisons de filtres, j’utilise notamment des promist et des soft classiques. »
Les lieux de tournage…
Le tournage s’est étalé sur plusieurs mois et dans différents endroits.
« Pour les extérieurs, nous avons peu tourné à Monaco car l’environnement est trop urbanisé, nous avons été sur la côte d’Azur du coté de Grasse, Nice Menton et en Italie , à côté de la frontière.
Les salons historiques du palais ont été tournés à Gênes. Pour les intérieurs des appartements privés, nous-nous sommes installés pendant un mois en Studio à Anvers, mais nous avons tourné aussi, en plein hiver, en décor naturel dans l’ancien parlement de Bruxelles les intérieurs des bureaux où ont lieu les réunions politiques. Il a donc fallu beaucoup de lumière pour recréer une ambiance lumineuse ensoleillée et raccorder ces décors avec le soleil méditerranéen. Cette localisation en Belgique s’est imposée pour des raisons de co-production.
La multiplicité des lieux et l’éclatement de la continuité du scénario n’était pas des plus simples à gérer mais j’ai une bonne mémoire visuelle, puisque je cadre toujours… Et, je prends des notes techniques que je regroupe sur une fresque où je colle des dessins du film avec des blocs de description donnant des informations sur les contrastes, les filtres, la lumière… ».
Si vous deviez nous parler de 2 séquences?…
« Le plan où Grace de Monaco découvre qu’elle a été trahie par sa belle soeur a été assez complexe à mettre en place mais le résultat est là…
L’action se situe au moment d’une réception dans le Palais avec une ambiance de nuit forte en contraste. La caméra steadicam, manipulée par Joerg Widmer, suit Nicole Kidman qui déambule parmi les invités puis qui fait demi tour, l’idée était de retranscrire l’impression d’une descente aux enfers puis d’un resaisissement en s’appuyant principalement sur la narration de l’image. Ce plan a nécessité pas mal de travail pour que le visage de l’actrice garde la patine « Grace Kelly » de bout en bout. Nous avons mis en place un système de lumières de déplaçant, s’éteignant et se rallumant pendant le tournage. Il nous a fallu une journée de répétition pour régler ce plan … Mais le lendemain matin, en une prise l’affaire était réglée ! », détaille Eric Gautier.
« J’apprécie également le caractère narratif de la scène de huis clos où Nicole Kidman est au centre d’une pièce et où on lui amène les traîtres. Cette scène à l’esprit shakespearien a été tournée dans une salle de musée à Gènes. Lorsque nous sommes arrivé sur les lieux, Olivier Dahan et moi avons été très déçus par l’ambiance lumineuse, j’ai donc décidé d’occulter toute la lumière. Nous-nous sommes retrouvés dans une pénombre avec pour source lumineuse centrale le lustre. Une caméra à l’épaule et un surdécoupage développent une rupture narrative. Les zones de pénombre de la scène dégagent un sentiment de claustrophobie. C’est un bel exemple de la complicité créative que peuvent développer le directeur photo et le réalisateur.»
Après le tournage…
« J’affectionne de tourner en pellicule et sans monitoring… Je laisse venir l’imaginaire tout en sachant où je vais. Sans écran contrôle, des accidents peuvent enrichir l’image : un reflet, une surexposition sur un arrière plan… La facilité de contrôle du numérique a un défaut : on essaie de trop perfectionner l’image. Je garde le travail de contrôle pour l’étalonnage et là, pour cette étape, le numérique prend tout son sens. A cette étape, nous sommes passé sur un master 2K, cette résolution a apporté de la douceur, une sorte de rondeur aux images.
J’ai consacré 3 semaines à cet étalonnage ce qui a représenté beaucoup de travail … (NDLR : Par exemple, sur Mai d’Olivier Assayas, Eric Gautier avait passé une semaine).
Pendant cette phase, je travaille généralement l’image dans sa globalité, je nuance les noirs, je les colore. J’ai me suis appuyé sur le talent de l’étalonneuse Isabelle Julien, avec qui je collabore régulièrement et j’ai recherché des ambiances très différentes entre les séquences…
Dotée d’un budget de 25,2 millions d’euros, Grace de Monaco est une co production française, belge (U films), américaine et indienne (YRF Entertainment) portée par Stone Angels, la société de Pierre Ange le Pogam.