Être intermittent du spectacle aujourd’hui : entre passion, désillusions et crainte de l’avenir

Les secteurs du spectacle, de l'audiovisuel et du cinéma font rêver. Ils attirent de plus en plus de jeunes, persuadés qu'ils arriveront à allier plaisir et carrière. Qu'en est-il vraiment sur le terrain pour les intermittents qui ne sont ni à la tête des affiches, ni stars des écrans ? Est-il facile de vivre de sa passion ? Qu'est-ce qu'être intermittent du spectacle en 2012 ?
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UN « STATUT », UN TYPE DE CONTRAT SPÉCIFIQUE OU UN RÉGIME D’INDEMNISATION DE CHOMAGE ?

Dans le langage courant, tout le monde parle du statut intermittent, mais certains, comme Claude Michel, secrétaire général adjoint de la CGT spectacle, le contestent : « Il n’y a pas de statut intermittent, c’est un abus de langage. Les artistes et techniciens du spectacle sont des salariés, comme les autres, qui travaillent par intermittence et qui bénéficient d’un régime spécifique de l’Unedic* ».
Pascal Foy, responsable Missions Entreprises d’Audiens** définit un intermittent du spectacle selon quatre critères : « C’est un artiste ou un technicien du spectacle, qui est salarié sur une fonction non permanente (donc en CDD), qui alterne l’emploi et le non-emploi (inhérent au secteur), qui a de multiples employeurs et qui, selon certaines conditions, bénéficie d’un régime d’assurance chômage particulier ».

Pour Pôle Emploi Spectacle, qui comptabilise les allocataires ayant bénéficié d’au moins une journée d’indemnisation, le nombre d’intermittents du spectacle est de 106 619 (0,8% de plus que 2009). Pour Audiens, qui comptabilise ceux qui ont travaillé au moins un jour dans ce secteur et qui sont donc déclarés à l’organisme en retraite complémentaire, ce nombre, en constante évolution depuis 10 ans, est d’environ 296 000 en 2010.

En général, les intermittents indemnisés sont ravis du système et souhaitent rarement devenir permanents. Les raisons évoquées : la peur de la monotonie du travail et le refus d’un salaire moins intéressant pour un travail régulier. Un chef déco, menuisier dans le cinéma affirme : « Le statut c’est bien, tous les Français devraient être intermittents ! » Un réalisateur TV ajoute : « Il faut s’estimer heureux d’être intermittent. Quand tu fais le ratio intérêt du boulot / temps passé / rémunération / liberté, il n’y a rien de mieux !» Ce que confirme un comédien-réalisateur de cinéma Anglais : « En France, dès que tu travailles un certain nombre d’heures, on estime que tu mérites d’être protégé en tant qu’artiste. Entre temps, tu prépares, ça aboutit à des choses, tu vis de ton art. C’est incroyable, ça n’existe pas ailleurs. Il y a ici un vrai respect vis-à-vis des artistes et de l’art. C’est une des raisons pour lesquelles je ne suis pas rentré en Angleterre ».

Un comédien conclut qu’il est normal d’être indemnisé : « Le travail, ce n’est pas uniquement quand on joue, c’est la recherche d’emploi, le travail des textes, les castings, faire sa bande démo, enrichir son réseau, etc. »

PROFIL TYPE DE L’INTERMITTENT DU SPECTACLE

Si Claude Michel explique qu’il est extrêmement difficile d’établir un constat général sur les intermittents du spectacle car « il y a beaucoup de branches et de métiers, selon si on travaille dans le cinéma, l’audiovisuel ou le spectacle vivant, selon si on est artiste ou technicien… » Toutefois, les données d’Audiens et du Pôle Emploi Spectacle permettent d’avoir un profil-type de l’intermittent.

Il y a plus d’hommes que de femmes : 63% selon Audiens. Ce pourcentage est plus élevé pour Pôle Emploi Spectacle (67,4%) qui décompose ses données : 70% pour les techniciens, 64,6% pour les artistes. Cependant, la féminisation des métiers techniques, notamment dans les medias audiovisuels, s’accroit, notamment grâce à l’arrivée du numérique et des matériels de tournage plus légers. Une journaliste reporter d’image affirme que même si les techniciens de l’audiovisuel et du cinéma restent très misogynes, « de plus en plus de femmes vont sur le terrain, seules, caméra au poing. »

Il y a à peu près autant d’artistes que de techniciens (50/50 pour Audiens, 52% de techniciens pour Pôle Emploi Spectacle) et une très forte concentration d’intermittents en Ile de France (48% pour Pôle Emploi Spectacle contre 52% pour Audiens). Concentration encore plus marquée pour les techniciens qui sont 58% en Ile de France. « Loin derrière suivent les régions Rhône-Alpes (7,8%), Provence-Alpes Côte d’Azur (7,5%), puis Languedoc-Roussillon (4,7%) et Midi-Pyrénées (4,7%) » d’après un rapport de 2010.

Enfin, l’âge moyen est de 40 ans. Pour Pôle Emploi Spectacle, l’âge moyen est de 39 ans (38 ans pour les techniciens, 40 ans pour les artistes). À noter que les moins de 25 ans représentent seulement 3,3 % et les plus de 50 ans 15,8%. Pour Audiens, l’âge moyen des femmes est de 40 ans, celui des hommes de 42 ans.

Unedic * : organisme qui gère l’assurance chômage. http://www.unedic.org/
Audiens** : Groupe de protection sociale dédié à la culture, la communication et les médias. http://www.audiens.org/
LE RÉGIME D’INDEMNISATION DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE ET LES RÉFORMES DE 2003
Les intermittents du spectacle sont indemnisés sous un régime particulier, régi par deux textes annexés à la convention d’assurance chômage de l’Unedic :
• l’annexe 8 pour les ouvriers et techniciens
http://www.unedic.org/article/annexe-viii-liste-relative-au-champ-d-application-de-l-annexe-viii
• l’annexe 10 pour les artistes
http://www.unedic.org/article/annexe-x-artistes-du-spectacle

Pour bénéficier de l’allocation chômage, il faut avoir travaillé 507 heures ou plus au cours des 319 derniers jours (10 mois et demi) pour les artistes et au cours des 304 jours (10 mois) pour les ouvriers ou les techniciens. La couverture sociale des Assedics durera ainsi 243 jours, soit environ 8 mois.

D’après le secrétaire général adjoint de la CGT spectacle, « le problème, ce n’est pas de rentrer, c’est de rester dans la durée, surtout depuis les réformes de 2003. Le phénomène s’est notamment aggravé pour les artistes. Beaucoup quittent leur métier vers 45/50 ans, parce qu’ils n’arrivent plus à trouver du travail. Ils deviennent rarement permanents, tombent très vite dans un système de fin de droits et sont obligés de se réorienter ».

Cette réforme de 2003, qui a diminué le temps attribué aux intermittents pour « faire leurs heures » a marqué les esprits. Un réalisateur TV témoigne « Au début, le statut était vraiment intéressant, mais au fur et à mesure, les taux d’indemnités ont baissé ainsi que le nombre de jours indemnisés ». Un caméraman ajoute : «Avant, je trouvais ça facile de faire mes heures, aujourd’hui, c’est plus compliqué. Faut avoir un réseau et jongler avec plusieurs productions, en ce qui me concerne, 20 à 40 dans l’année ».

Conséquence directe de ces annexes : beaucoup d’artistes et de techniciens ont été exclus du régime d’allocation. Suite à de nombreuses manifestations, de 2002 à 2004, le ministère de la Culture a créé un fonds, qui s’est ensuite transformé en Fonds de professionnalisation et de solidarité des artistes et techniciens du spectacle, destiné à sécuriser leur parcours. La gestion du volet professionnel et social a été confiée à Audiens, en complément du système d’indemnisation de Pole Emploi. « Ce fonds existe depuis 2007 et permet de les aider à faire un point sur leur carrière, à se relancer ou bien se réorienter » explique Pascal Foy.

Pour en savoir plus : http://www.artistesettechniciensduspectacle.fr/

Claude Michel avance un autre problème : « L’emploi, ou du moins, certains emplois, ont été dépermanentisés, surtout à partir des années 80. Il y a encore chez de nombreux diffuseurs et producteurs qui travaillent régulièrement avec les mêmes personnes, un recours à l’emploi intermittent. Le problème c’est qu’il n’y a aucune obligation d’avoir plusieurs employeurs quand on est intermittent».

Ces « permittents » travaillent à temps plein pour leurs employeurs, ne sont payés que pour un certain nombre de jours et sont indemnisés par les Assedics le reste du temps. Les employeurs y gagnent et les salariés ont leur « statut », en étant souvent mieux payés que des permanents. Cette situation, très souvent dénoncée par les syndicats, engendre de nombreuses rancœurs chez les intermittents. « Il y en a beaucoup, ce n’est pas réglé. Secrétaires, monteurs, chargés de prod, dir. prod, rédac-chefs… Ca plombe le système ! C’est toujours les mêmes personnes qui bossent et qui ont des salaires incroyables » déplore une réalisatrice TV.

CONDITIONS DE TRAVAIL DE PLUS EN PLUS DIFFICILES

Dans toutes les branches et pour tous les métiers, les conditions de travail des artistes et techniciens de l’audiovisuel et du cinéma semblent aller en se dégradant : difficulté à trouver du travail et à faire ses heures, réduction des équipes et des tarifs, heures supplémentaires non payées, généralisation des forfaits… Vivre de l’intermittence semble de plus en plus compliqué, même si généralement, c’est dans les secteurs du cinéma et de la publicité qu’on s’en sort le mieux.

Une assistante-monteuse cinéma constate : « Les Assedics sont indispensables pour les techniciens du cinéma. Faire ses heures lorsqu’on est assistant-monteur ou monteur est un peu plus facile qu’un technicien de plateau, étant donné que généralement pour deux mois de tournage, il y a le double de montage. Mais j’aurais beaucoup de mal à vivre sans les Assedics, car beaucoup de films s’arrêtent en cours de tournage ou de post-production pour des raisons de budget ».

En télévision, pour le flux ou l’information, une personne occupe souvent plusieurs postes, ce qui contribue à embaucher moins et à dégrader les conditions de travail du salarié. Une Journaliste Reporter d’Image TV témoigne : « J’étais réalisatrice de magazines. Depuis 2005, je suis devenue JRI. C’est plus dur physiquement. Avant sur un boulot, il y avait 3 ou 4 personnes. Aujourd’hui, il y en a une ou deux. Et pour le même boulot, il y a de plus en plus de gens qui postulent. ». Un monteur truquiste constate que tout s’est dégradé très vite à partir du numérique : « Il y a 20 ans, nos métiers étaient très spécialisés, il y avait peu de gens sur le marché. Il fallait être très formé et « broadcast ». On vivait bien on avait du temps pour travailler et on était bien payé. Il n’y a plus cette notion de travail en équipe ». Un caméraman se plaint de la pression qu’il subit depuis l’arrivée des petites chaines : « Elles ont des petits budgets. Avant, je faisais une à deux émissions par jour, aujourd’hui, c’est le double. Je travaille deux fois plus dans la même journée pour le même salaire ».

Par ailleurs, même si les chaines se multiplient, la plupart d’entre-elles rediffusent des productions existantes, ce qui ne génère aucune embauche. Idem pour les festivals et les nouveaux médias, dont le nombre est en croissance permanente : il y a davantage de monde sur le marché et moins de gens qui travaillent.

Dans le spectacle vivant, le nombre d’entreprises et d’associations a aussi fortement augmenté depuis quinze ans. Toutefois, elles représentent bien souvent le désir d’un seul artiste, ou d’un petit groupe d’artistes, de mener à bien leurs propres projets artistiques, mais ne sont pas forcément synonymes d’emplois rémunérateurs. Un Président d’association de spectacle vivant témoigne : « Notre structure existe depuis dix ans sans recevoir de subventions. Nous tournons avec une dizaine d’intermittents, mais il est impossible de les rémunérer aux tarifs syndicaux (env. 160 euros brut le cachet). Ce n’est pas une volonté de notre part, mais c’est impossible financièrement. Ils vivent grâce à d’autres troupes et sur des projets alimentaires. Ils viennent défendre des projets artistiques avec nous, sans forcément être payés. »

Liens sur la convention collective « spectacle privé non-subventionné » :
http://www.spectaclesnes.org/accords_a_telecharger/convention_collective.pdf
http://www.spectaclesnes.org/accords_a_telecharger/accords_de_salaires.pdf

Concernant les heures supplémentaires, les productions sont rarement prêtes à payer et la mode est au forfait. Une productrice TV avoue « Les journalistes réal. n’ont pas d’heures sup. Ils ont des piges fluctuantes et ils le savent. C’est seulement les techniciens qui nous font chier avec ça. Ils sont plus craints, il y a les syndicats derrière. C’est aussi plus difficile de négocier avec un 35/45 ans qu’avec un jeune ». Ce qui est confirmé par un monteur de 50 ans « Depuis 20 ans, je gagne le même salaire, 230 euros/jour. Mais les nouveaux acceptent d’être payés moins, parfois 80 euros/jour et ils sont ravis ».

Et comme les intermittents travaillent grâce à leurs réseaux, rares sont ceux qui osent réclamer, par peur de ne pas être rappelés. Depuis plusieurs années, en parallèle aux syndicats, des associations sont donc nées, représentant quasiment tous les corps de métiers. Certaines ont un véritable poids et interviennent auprès des producteurs. C’est le cas de l’ACIA* qui défend les droits des acteurs de complément (figurants et silhouettes).

Le constat de l’ACIA, qui existe depuis 4 ans, est le suivant : le statut des acteurs de complément est flou. Ils sont en annexes de la convention collective cinéma ou dans la grille des salaires techniciens de télévision. Nombreux sont les producteurs qui utilisent des barèmes fantaisistes pour les payer et qui ne respectent pas le Code du travail. Ici comme ailleurs, les heures supplémentaires ou les répliques de dernière minute non payées sont courantes. Selon un des responsables de l’ACIA : « Les comédiens n’osent pas réclamer par peur du black-listage. Ils doivent faire 43 cachets, c’est leur objectif. Ils deviennent donc des moutons ». Mal considérés sur de nombreux plateaux, les figurants n’ont souvent pas accès aux mêmes régies que les techniciens et les comédiens. Et pourtant, nombre d’entre eux sont là pour compléter leurs heures : comédiens, musiciens, artistes, techniciens… La figuration devient un moyen, pour les intermittents de tous métiers, de « faire ses heures ».

Site de l’ACIA* : http://www.aciafrance.org/
Point sur les conventions collectives du cinéma et de l’audiovisuel : http://afsi.eu/vie-pro/convention-collective-de-la-production-audiovisuelle-uspa

INTERNET, RÉSEAUX SOCIAUX, TÉLÉPHONE PORTABLE ET AUTO-ENTREPRENARIAT

En figuration, comme dans les autres métiers du spectacle, l’accès au travail est de moins en moins évident, notamment à cause d’Internet et des réseaux sociaux. En effet, tout le monde a désormais accès aux annonces, qui n’étaient réservées avant qu’aux professionnels. L’ACIA constate que, non seulement, n’importe qui peut faire de la figuration, mais souvent les productions préfèrent les gens qui ne viennent pas du spectacle : moins voire pas payés, ces figurants ne connaissent pas les conventions collectives et ne réclament pas leur dû. Ils ne rêvent que d’une chose : se faire repérer !

Le téléphone portable semble aussi avoir une incidence directe sur les métiers du spectacle. « Avant quand on voulait travailler avec toi, on t’attendait au moins 24h, aujourd’hui, si tu ne décroches pas tout de suite, t’as pas le boulot !». Cette réflexion, venant de plusieurs intermittents, est aussi valable pour les annonces du net, les mailing-list et les réseaux sociaux. Tout va vite, il faut être réactif et sur le qui-vive pour pouvoir travailler.

Autre plaie moderne du système : l’auto-entreprenariat. De plus en plus d’employeurs demandent ou proposent à des artistes ou techniciens du spectacle de facturer leurs services plutôt que de les salarier. Le Pôle Emploi Spectacle de Paris a d’ailleurs organisé en 2011 une table ronde ouverte pour alerter les intermittents sur les dérives de ce système. Pascal Foy, d’Audiens, est radical « C’est totalement illégal pour les artistes et soumis à condition pour les techniciens. Le régime d’auto-entreprenariat diminue la protection : pas d’Assedics, pas de congés payés, pas de retraite complémentaire, peu de sécurité sociale. Ca coûte moins cher aux employeurs et c’est moins compliqué, mais c’est un régime qui est réservé à une activité complémentaire ».

Cf Fiche pratique Régime d’entrepreneur individuel ou auto-entrepreneur d’Audiens.

LA MULTIPLICATION DES ÉCOLES ET L’EMPLOI ABUSIF DE STAGIAIRES

Les stagiaires ont toujours existé dans le secteur du spectacle, qu’ils viennent d’une école ou bien qu’ils apprennent le métier sur le tas. Les formations d’audiovisuel, de cinéma et du spectacle se sont multipliées depuis les années 80. À titre indicatif, Studyrama.com répertorie 136 filières audiovisuelles en France et 1529 en Art et Culture. Claude Michel de la CGT spectacle constate : « Les jeunes qui arrivent en grand nombre des écoles privées, parfois très chères, c’est un vrai problème. Il y a un effet de leurre gigantesque sur ces métiers, une attraction incroyable. Mais on ne sait rien de la qualité de ces formations et du devenir de leurs étudiants. Autre problème : les stagiaires. C’est un mal ancien : ils sont souvent employés au détriment de salariés, sans être défrayés ».

Un stagiaire d’une grande école d’audiovisuel, en région, témoigne : « Il y a des boîtes qui tournent avec des armées de stagiaires exploités. À mon premier, j’ai cadré et monté, mais je n’ai rien appris, ni rien touché. Pour mon deuxième, c’est différent. Je suis payé 400 euros par mois et j’apprends. Je cadre sur du long-métrage, par exemple. Mais mon école m’a couté 21 000 euros en 3 ans. J’ai un prêt que je dois rembourser le plus vite possible ». Un monteur ajoute : « Dans les boîtes de prods, il y a souvent un pro pour dix stagiaires. Même au planning ils ne sont pas formés. En production, c’est dramatique, je leur parle de régie et de logiciels, ils n’y connaissent rien ».

Une technicienne du cinéma se souvient : « J’ai commencé comme stagiaire à la mise en scène sur un long-métrage, non payée et extrêmement mal traitée sur le plan humain. On trouvait normal que je fasse des horaires incroyables, que je ne sois ni payée, ni défrayée, que je travaille les jours fériés, que j’utilise mon véhicule personnel pour faire le chauffeur sans être remboursée. On m’a gentiment expliqué que je ne devais pas me plaindre. Il fallait que je m’estime heureuse de faire du cinéma, parce que des centaines d’autres tueraient pour être à ma place ! »

FORMATION PROFESSIONNELLE, RETRAITE ET VIE PRIVÉE

Il ne semble pas facile d’évoluer dans le secteur du spectacle, car même si les formations sont nombreuses et accessibles, il faut s’organiser pour ne pas refuser du travail. Une réalisatrice se souvient : « J’ai voulu en faire une en son, mais c’était trop long à mettre en place avant une pige, alors j’ai appris sur le tas »… Un chef déco en cinéma s’étonne : « La formation ? Tu n’y as pas accès, sinon tu refuses du boulot ». Un réalisateur ajoute : « J’ai fait plusieurs formations techniques mais uniquement courtes et en juillet-aout pour ne pas me bloquer sur des boulots ».

Ainsi, même si de nombreux intermittents pensent qu’il est important de se former, ils préfèrent en général apprendre sur le tas ou profitent parfois d’une rupture dans leur carrière pour se réorienter.

L’AFDAS* tient une place importante dans la formation professionnelle des intermittents. Elle propose quatre types de formations (plans de formation, DIF, CIF et périodes de professionnalisation) financées grâce aux contributions obligatoires versées par les employeurs d’intermittents. En 2011, elle répertorie 19 189 stages en France, dont 469 en CIF (formations longues et rémunérées). À noter aussi que le nombre d’heures de DIF utilisées a fait un bond remarquable entre 2010 et 2011 : + 65 %.

Pour Jean-Yves Boitard, Directeur du Département Intermittent du spectacle, « Le nombre d’intermittents qui demandent une formation s’accentue. Les conditions d’accès ne sont pas les mêmes que les conditions d’attribution aux allocations chômage. Nous pouvons financer des stages pour les intermittents qui ne sont pas ou plus indemnisés. Pour les personnes en difficulté professionnelle sur les deux dernières années, nous remontons sur 3 à 5 ans, pour tenter d’apporter une réponse positive à leur demande de formation ».

Les intermittents qui viennent en formation sont le plus souvent des artistes qui doivent travailler leur corps et leur voix ou des comédiens qui souhaitent s’entrainer devant la caméra. « Ces derniers sont aussi souvent en recherche de réseau ou de reconnaissance de leurs pairs, organisateurs des stages » remarque J-Y Boitard.

Bon nombre de techniciens viennent aussi suivre des formations courtes et indispensables à leur métier, soit pour se mettre à niveau sur du matériel ou des logiciels, soit pour des stages de sécurité obligatoires. Les femmes se forment davantage que les hommes (57%) et l’Afdas a reçu majoritairement des intermittents d’Ile-de-France en 2011 (76%) bien qu’ayant des points d’accueil sur toute la France.

Vers 40 ans, c’est aussi l’âge critique où l’on se pose des questions de fin de carrière, où l’on envisage des bilans de compétences. Un caméraman, fatigué par le métier, s’interroge. « Pour les vingt prochaines années, je réfléchis à autre chose… Faire une formation, devenir patron… J’aimerais retrouver le plaisir de travailler ».

AFDAS* Assurance Formation Des Activités du Spectacle : https://www.afdas.com/intermittents

Quant à la retraite, peu d’intermittents y pensent. Ils vivent au jour le jour, ce qui pose problème, car nombre d’entre eux ont des trous de carrière. Et même si le chômage leur permet de cotiser, c’est à des quotas minima. Par conséquent, leur pension de retraite est très faible et c’est souvent « un véritable choc en fin de carrière » comme le constate Pascal Foy, d’Audiens.

Concernant la vie privée, les avis sont partagés. Certains pensent qu’il est facile de s’organiser, car lorsqu’on est indemnisé, on a beaucoup de temps disponible pour sa famille. Mais d’autres se plaignent de ne pas avoir d’horaires et de ne pas pouvoir planifier à l’avance. Deux intermittents cinquantenaires témoignent : « Aujourd’hui, comme beaucoup d’intermittents, je n’ai plus ni femme, ni famille. C’est dur à comprendre, c’est tellement prenant ce boulot ! Quand t’es dans le milieu du spectacle, tu t’éclates, tu vois pas le temps passer ! J’ai déjà bossé 211h en 11 jours, avec 3h par jour pour manger et dormir ! »« Avant j’avais une maison de 200m2, j’étais marié… Aujourd’hui, je suis divorcé et je vis dans un studio, comme locataire. Faut tenir le coup ! »

Enième problématique : à l’heure où il est de plus en plus difficile de devenir propriétaire, l’achat d’un appartement ou une maison est quasiment impossible pour un intermittent qui ne peut pas présenter de revenus fixes à une banque. Les intermittents se sentent parfois rejetés par un système où ils doivent se battre sur tous les plans.

CONCLUSION

Même si les aspects négatifs évoqués par les intermittents du spectacle sont nombreux (conditions de travail difficiles, horaires à rallonge, manque de considération, stress, précarité, crainte de l’avenir), les avantages énumérés donnent toutefois à la plupart l’énergie nécessaire pour continuer : liberté, diversité du travail, autonomie, passion, créativité… Les intermittents de 2012 sont certes fatigués, mais ils continuent à rêver et à faire rêver.