Interview : Marie-Christine Saragosse, Présidente Directrice Générale de France Médias Monde

« Le groupe France Médias Monde est constitué de médias pour lesquels l’information constitue l’épine dorsale des contenus : France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya. Nous appliquons la règle des « 3R ». La « Réactivité », d’abord : nos auditeurs et téléspectateurs doivent être informés de façon immédiate de l’actualité au niveau international. Néanmoins, l’urgence de l’information ne peut nuire à l’exactitude des faits et à un traitement respectant la déontologie de l’information : cela nécessite de la« Rigueur ». Le « Recul », enfin, permet à travers l’expertise de positionner les faits dans le temps, sans omettre les enchaînements historiques, souvent nécessaires à leur compréhension. Je pense que cette règle des « 3R » permet à un média d’être « Référent ». Toute la culture de notre groupe est là… »
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Marie-Christine Saragosse

« Mon parcours professionnel est lié à l’enfance. J’ai grandi dans la ville de Cannes où j’ai été nourrie à « la mamelle » du cinéma. J’ai aussi découvert la télévision à l’âge de 7-8 ans. Pour moi, une lucarne magique avec ses fictions, ses documentaires, ses informations, ses débats d’idées… J’ai pensé, au départ, devenir journaliste, quand je suis arrivée à Paris, après avoir passé le concours de Sciences Po. Mais un de nos maîtres de conférence nous a dit : « Vous mesdemoiselles, qui êtes là pour trouver un mari, et vous messieurs qui êtes là pour faire l’ENA ». Cette phrase a piqué mon orgueil et mon esprit de compétition. Après l’obtention de mon diplôme à Sciences Po, j’ai fait l’ENA, où je me souviens avoir vu cette fiche de poste à la sortie intitulée« SJTI », personne ne savait ce que c’était. Il s’agissait du service juridique et technique de l’information (les services du ministère de la Communication). Et j’ai foncé ! C’était le premier poste créé à la sortie de l’ENA pour l’audiovisuel. En sortant du SJTI, après un bref passage à RFI, j’ai travaillé à l’action audiovisuelle extérieure de la France au cabinet de la Ministre déléguée à la Francophonie, puis à la direction du même nom au ministère des Affaires étrangères. Par la suite, j’ai rejoint TV5 à la direction générale déléguée, puis à la vice-présidence en 2001… »

Le 7 octobre 2012, Marie-Christine Saragosse est nommée Présidente directrice générale de l’Audiovisuel Extérieur devenu, France Médias Monde en 2013…

 

Marie Cornet-Ashby : La notion de « chaînes de référence » s’applique à l’ensemble du groupe France Médias Monde…

Marie-Christine Saragosse : D’abord merci pour ce compliment, et je partage bien sûr votre point de vue ! C’est vrai pour France 24, jeune et très réactive qui a cultivé la rigueur et le recul. RFI est une radio d’expertise, depuis longtemps et constitue une référence reconnue dans l’actualité internationale et africaine. Monte Carlo Doualiya est une radio qui a plus de 40 ans : on l’écoute dans le monde arabe pour « connaître la vérité », ce sont nos auditeurs qui le disent. Je trouve que c’est important pour notre pays et ses médias internationaux d’avoir la réputation de délivrer des informations objectives, équilibrées, pointues et qui accordent une large place aux débats contradictoires.

 

M. C-A. : Vous parlez souvent de tolérance, c’est une valeur essentielle pour vous ?

M-C. S. : Oui, la tolérance est essentielle pour nos médias : c‘est tout simplement le respect de l’Autre. A France Médias Monde, 66 nationalités collaborent, avec 14 langues de travail, et cette richesse culturelle est un atout ! France 24, RFI et MCD sont diffusées en français, en anglais et en arabe. Il y a aussi toutes les autres langues de RFI : le persan, le russe, le vietnamien, le khmer, le mandarin, le brésilien, le portugais, le roumain, l’espagnol, l’haoussa, le kiswahili. Toutes ces origines et ces cultures se rencontrent et croisent leurs regards. Cette pluralité est un garde-fou à la mono pensée.

 

M. C-A. : France Médias Monde est un groupe international…

M-C. S. : La dimension internationale du groupe est nourrie par un très grand réseau de correspondants implantés dans toutes les régions de monde. Nos grands reporters viennent en renfort sur le terrain en cas de nécessité. Les journalistes de terrain sont de plus en plus souvent confrontés à des risques. RFI en a payé le prix…Et la menace est permanente : elle se déplace, s’élargit en termes de territoires, mais aussi dans les formes qu’elle prend. La France a obtenu que l’Assemblée générale de l’ONU fasse du 2 novembre, date de l’assassinat de nos deux reporters au Mali, la journée internationale de lutte contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes. Au cours des trois dernières années, des centaines de journalistes ont été tués, très peu de crimes seulement ont été élucidés.

 

M. C-A. : Avez-vous des moyens en interne pour préparer les journalistes de terrain exposés aux risques ?

M-C. S. : On sait que le risque zéro n’existe pas dans nos métiers. On sait aussi qu’aucun reportage ne vaut une vie. Donc il faut se protéger, en permanence. Des stages existent déjà. Nous en avons créé un nouveau en interne, afin de mutualiser nos expériences. Le monde a changé : avant, être journaliste, c’était bénéficier d’une certaine neutralité. Aujourd’hui, c’est être une cible. On oublie, souvent, que l’information n’est pas libre partout… Les risques peuvent être sanitaires, sexuels, psychologiques, vitaux. Il faut oser en parler.

 

M. C-A. : Avez-vous ressenti des difficultés dans votre carrière exceptionnelle, du fait d’être une femme ?

M-C. S. : J’ai eu de la chance. Je suis tombée sur des « patrons » exigeants et indulgents. Ils m’ont laissée être passionnée et réactive ! Et l’indulgence, c’est lorsqu’on apprécie quelqu’un avec ses défauts. On ne m’a jamais coupé les ailes…

 

M. C-A. : Peut-on dire que certaines valeurs vous guident…

M-C. S. : Le travail d’abord ! Et les êtres humains en général, même si je me suis engagée un peu plus sur le combat des femmes. Concrètement, les comités exécutifs qu’il m’a été donné de présider sont paritaires. A TV5, lorsque je suis partie, les disparités salariales hommes-femmes, étaient réduites à 4%. Nous avons le même objectif à France Médias Monde. Et le volontarisme, c’est que chacun prenne conscience de l’existence de quelque chose d’anormal quand on discrimine quelqu’un. Je pense que l’être humain transporte des stéréotypes. S’il prend conscience que cela n’est pas normal, les choses évoluent. Je peux intervenir pour aider à des prises de conscience, mais elles sont déjà bien réelles dans notre groupe.

 

M. C-A. : Y a-t-il une chaîne du groupe que vous aimez plus que les autres ?

M-C. S. : Non ! Je les aime chacune pour des raisons différentes.

 

M. C-A. : Depuis votre arrivée, il y a eu beaucoup de changements …

M-C. S. : Oui, « AEF » a laissé place à « France Medias Monde », et derrière ce changement, il y en a eu beaucoup d’autres : des grilles de programmes aux habillages, en passant par les signatures et la charte graphique, sans parler de l’organisation interne du groupe.

 

M. C-A. : Vous repositionnez les chaînes et leurs contenus et, avec des signatures fortes et audacieuses…

M-C. S. : Ce n’est pas un hasard si la nouvelle signature de RFI revendique qu’elle est la radio « des voix du monde ». RFI compte 12 rédactions linguistiques en plus du français et accueille sur ses antennes les questions et les analyses d’auditeurs de très nombreux pays qui offrent à la langue française tous ses accents. La diversité des origines et des cultures est, en effet, une autre caractéristique du regard français que nous portons sur le monde. Les regards croisés, le débat, la confrontation des points de vue sous-tendent nos lignes éditoriales. Derrière le mot diversité c’est encore celui d’altérité que l’on trouve. Toujours le respect de l’autre, notre égal, guide notre traitement de l’actualité et notre curiosité pour les êtres humains partout dans le monde. Mettre l’humain au cœur de nos programmes est notre objectif. L’altérité passe évidemment par l’égalité des femmes et des hommes, encore bien loin d’être une réalité dans la plupart des pays où nous diffusons. La liberté et l’égalité, des valeurs universelles chères à la République française, ont inspiré la nouvelle signature de France 24 : liberté, égalité, actualité. Et si nous avons « caché » le troisième terme, c’est qu’être au plus près des faits, rendre compte de la marche du monde, c’est au fond notre façon d’être « fraternels » pour nos téléspectateurs.

Une autre valeur, insuffisamment comprise hors de nos frontières, est présente dans notre appréhension des événements qui bousculent le monde : la laïcité. C’est à dire la neutralité de l’Etat à l’égard des confessions religieuses ou de l’absence de confession, la séparation des convictions privées et de la sphère publique de la société, qui du même coup est distincte d’une simple somme de communautés. Cette vision universaliste et laïque du monde, est un signe distinctif fort de nos médias, en particulier en langue arabe. Monte Carlo Doualiya revendique ainsi d’être « Sur la même longueur d’onde » que ses auditeurs arabophones épris de liberté, d’égalité et d’universalité.

 

M. C-A. : Votre stratégie de développement intègre les nouveaux supports ?

M-C. S. : La première étape pour nos médias est de se rendre accessible : câble, TNT, satellite, ADSL, nouveaux médias… Les sites ne sont plus une nouveauté ; la révolution est dans la mobilité avec, les téléphones intelligents et les tablettes. La croissance sur ces outils est en pleine expansion. L’autre tendance, c’est le participatif avec les plateformes et les réseaux sociaux. Les jeunes générations veulent de l’immédiateté. YouTube, Facebook ou Twitter nous offrent ainsi d’autres ouvertures. Aujourd’hui, nos trois chaînes rassemblent près de 8 millions de fans sur Facebook. RFI est d’ailleurs la première radio d’information française sur ce réseau social.

 

M. C-A. : Vous accordez une place importante aux partenariats ?

M-C. S. : Oui, nous sommes partenaires de plus de 300 événements chaque année, partout dans le monde ! Nous menons également des opérations spéciales, comme la « Caravane de France 24 » – elle sillonne régulièrement les routes du monde, en prise direct avec le réel et avec nos téléspectateurs sur les différents continents –  ou les « barnum » de RFI où les émissions se délocalisent sur le terrain en public.

 

M. C-A. : Peut-on parler de synergies entre les chaînes ?

M-C. S. : Oui, au niveau du groupe, toutes les directions sont transverses, sauf les rédactions. Il nous arrive aussi de mutualiser les invités ou certaines émissions. Nous préparons également des outils de gestion des contenus prévisionnels et de suivi pour la production dans toutes les langues et sur tous les supports, qui seront déployés en interne en 2015. Nos réseaux de correspondants, quant à eux, sont distincts, sauf exception, en raison des différences de langues, mais aussi des exigences du direct, valables pour chacun de nos médias. L’idée est de capitaliser sur le « tout » pour cultiver l’identité et la singularité de « chacun » des médias.

 

M. C-A. : Auriez-vous un souhait quant à une problématique que vous rencontrez ?

M-C. S. : Ne faut-il pas, afin de financer l’ensemble des besoins du secteur audiovisuel public français, fondamental pour la cohésion de notre société, diminuer l’écart de la redevance énorme qui existe par rapport aux taux pratiqués au Royaume-Uni et en Allemagne ? Si une telle mesure permettait notamment de lancer une version en espagnol de France 24, ce serait essentiel en termes de rayonnement pour la France. Il en va de même pour RFI et le lancement de sa rédaction en mandingue au Mali…

 

Marie-Christine Saragosse est en lice pour recevoir le trophée Satis Mediakwest de la personnalité de l’année. Ce Trophée viendra récompenser un professionnel du secteur des medias et divertissement (cinéma, télévision, nouveaux médias) pour son implication dans l’utilisation de la technologie comme source de développement et de créativité.

 

Les autres personnalités sélectionnées sont :

– Jacques Bled, Fondateur de Mac Guff

– Julien Coulon, Co-fondateur de Cedexis

– Mathieu Gallet, Président de Radio France

– Cécile Gonfroid, Responsable de la division technologie de la RTBF

– Caroline Raveton, Directrice des systèmes d’information à l’Agence France Presse

– Gilles Sallé, PDG d’AMP VISUAL TV

– Francis Tellier, Président de Host Broadcast Services (HBS)

 

Le public est invité à voter en ligne à partir pour l’une de ces personnalités via le lien : http://buff.ly/10rdOYb