Le Cloud, entre beau temps et intempéries

C'est dans les locaux de CANAL+, à Boulogne-Billancourt, que s'est tenue, jeudi 3 octobre, la seconde édition de l'atelier/rencontre organisé à l'initiative de la société Mesclado, en partenariat avec la SMPTE. Le thème des présentations portait cette fois sur les implications des services en Cloud appliqués à l'ingénierie des systèmes vidéo pour le domaine de la post-production et du broadcast. L'auditoire présent était composé de représentants de chaines de télévision françaises et européennes, de prestataires techniques et de fournisseurs de solutions matérielles et logicielles.
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En ouverture de cette session, sponsorisée par Aspera (acteur présent sur ce marché émergeant), c’est François ABBE, président fondateur de Mesclado, qui a ouvert les débats, donnant le ton avec une introduction inspirée faisant référence à la proximité de la porte de Saint-Cloud… ( priez pour nous ! ). Après un mot d’accueil de Frédéric Brochard, directeur technique édition de CANAL+, c’est donc sous ces augures que les participants se sont progressivement immergés dans les arcanes de ce paradigme technologique qui déstabilise les approches traditionnelles des équipes d’ingénierie en charge de la conception de nouveaux systèmes économiquement compétitifs. Désignant, de manière générique, le recours à des ressources de stockage et de traitement numériques mises à disposition par des fournisseurs tiers et accessibles en ligne, le Cloud reste un sujet à teneur polémique car il évoque immanquablement l’externalisation de moyens de productions et l’effet induit d’out-sourcing de certaines activités d’ingénierie et de maintenance, notamment. Passant outre cette réticence compréhensible, ce workshop avait pour objectif de partager les témoignages et retours d’expériences d’acteurs des domaines broadcast et médias numériques impliqués dans la course au « toujours plus, toujours plus vite… avec toujours moins de moyens ».

C’était là une occasion bienvenue de relire avec attention la définition du terme Cloud Computing (CC) donnée dans une publication du National Institute of Standards and Technology (NYST) en septembre 2011: « modèle d’industrie numérique mettant à disposition en ligne des services accessibles à la demande, utilitaires, personnalisés, en haute disponibilité, sur des ressources informatiques mutualisées – de types réseaux, serveurs, stockage, applications et services – qui peuvent être rapidement mobilisées et libérées au moyen d’interventions minimisées sur un système de gestion optimisée du fournisseur ». Dans les années 2000, les grands acteurs des industries IT et web que sont Microsoft, Amazon et Google, ont successivement employé le mot Cloud et la représentation graphique en forme de nuage, pour évoquer la présence de services numériques dématérialisés hébergés dans une entité technique tiers accessible en réseau. Même s’il n’est pas avéré qu’une terminologie commune soit unanimement reconnue aujourd’hui sur le sujet, cette définition dégage, à elle seule, des principaux axes de réflexion qui doivent guider tous ceux qui partent à la découverte de ce qui pourrait devenir, à terme, un écosystème alternatif – selon les uns – ou prédateur – selon les autres – pour les industries numériques des médias.

Première présentation au programme de cette matinée : une liste top-ten de référence des 10 principaux critères incontournables pour évaluer la qualité d’une offre de services dans le Cloud. Cet inventaire de thèmes diversifiés couvre l’étendue des préoccupations des professionnels concernés ; et devrait permettre de mieux structurer les argumentaires des fournisseurs, comme les interrogations des clients et prospects qui doivent amener à un choix de solutions et de services. Il y est bien sûr question des bénéfices économiques : avec un allègement des investissements matériels et logiciels, moins de charges salariales, et une réduction du taux d’occupation des systèmes et des équipes opérationnelles grâce à des possibilités d’automatisation qui peuvent être étendues. Quelle interopérabilité avec les formats et standards de codage en vigueur ? Quelle capacité d’intégration avec les systèmes d’information internes en activité pour la gestion des activités ? Quelle localisation géographique est acceptable pour entreposer des données qui peuvent être critiques pour la vie de l’entreprise ? Comme les fichiers nobles de haute qualité des programmes commerciaux assujettis au copyright. Prendre en compte les clauses réglementaires qui imposent parfois une réplication des données avec des stockages distants de plusieurs centaines de kilomètres. Est-il acceptable que la confidentialité des données privées soit assujettie à la législation intrusive du Patriot Act américain ? Quelles clauses contractuelles sur la qualité des services liées au SLA (Service Level Agreements) ? Quels sont les bilans avérés des incidents techniques répertoriés sur l’exercice écoulé ? Quelle méthode de protection et cryptage des données ? Quelle durée d’interruption annuelle se cache derrière un taux de disponibilité à 99,99% ? Inclut-il les temps de maintenance ? Sous quelles conditions peut-on redimensionner des ressources ?

Après une dernière évocation des clauses de sortie, c’est ensuite An DANG DUY, Chief Information Officer pour la compagnie Kantar Media, qui a exposé la stratégie de son groupe pour l’emploi de ressources en Cloud. Pour le stockage et le traitement de masse de ces études statistiques au service du développement des grands médias à l’échelle mondiale, Kantar fait appel aux différentes offres des principaux fournisseurs de Cloud public. Selon lui, une phase intermédiaire de virtualisation des postes de travail est bénéfique dans la progression vers le Cloud, et propice au dépassement des réticences de ceux qui voient dans ces technologies une perte d’influence au sein de l’entreprise. Une solution intégralement supportée sur le Cloud public apparait souvent moins complexe à élaborer qu’une solution mixte mêlant du Cloud privé.

 

La BBC était présente en la personne de Nick Pinks venu présenter une facette d’un développement technologique étonnant du département R&D : IP-Studio ou comment transporter plusieurs flux vidéo HD en temps réel sur internet grâce à un boitier interface nommé Stage-box qui optimise l’encodage avec compression. Une expérience à large échelle a permis cette année de transporter vers les locaux de la BBC les retransmissions vidéo HD simultanées de 6 concerts filmés dans une zone rurale à l’occasion du festival musical de Glastonbury (http://stagebox.tv). La table ronde suivante réunissait des expertises internationales autour de Benoît Maujean, responsable R&D chez Mikros Image : Adam Jakubowski, Technical Operations Manager chez Smoke & Mirrors (UK) et Jean Gaillard, directeur de IMD Group (UK/FR). Ces contributeurs ont apporté leurs visions technologiques, opérationnelles et économiques du modèle Cloud forgées par les expériences effectives de leurs entreprises.

Pour Adam Jakubowski, les services en Cloud exploités par des sociétés comme Mirriad ou Smoke & Mirrors apportent des solutions appréciables en termes de partage, de haute disponibilité, et de réduction des investissements en infrastructure interne. En France comme dans de nombreux autres pays, la société IMD assure l’acheminement des films publicitaires vers les chaines de télévision. Expliquant que les activités asiatiques de IMD sont exclusivement basées sur des services en Cloud, Jean Gaillard expliquait les bénéfices apportés par le recours au Cloud. Il mettait alors en évidence l’échelle d’accélération des processus de déploiement pour les liaisons de point à point, avec des unités exprimées en mois dans les années 2000, en semaines aujourd’hui, et une vision prospective en heures pour l’avenir avec la mobilisation de réserves techniques activables dans le Cloud.

Insistant sur les besoins mis à jour par l’organisation de production collaboratives, B. Maujean présentait alors les bénéfices d’une intégration orientée FIMS. Les acteurs des industries médias expriment massivement le besoin d’un nouveau modèle de conception pour l’architecture de leurs systèmes basés sur les technologies IT et les réseaux. Les instances internationales de l’EBU et de l’AMWA conduisent un projet commun appelé F.I.M.S (Framework for Interoperable Media Services) dont elles guident conjointement la Task Force. La vocation du projet FIMS (voir http://www.amwa.tv) est de promouvoir l’émergence d’une standardisation internationale encadrant la conception de systèmes interopérables, optimisés, flexibles et redimensionnables basés sur une architecture SOA (Service Orientated Architecture).

En consacrant cette matinée au partage d’expérience des solutions techniques en Cloud, les intervenants et l’auditoire de cet évènement ont démontré l’intérêt du secteur des médias en France pour des technologies connectées et globalisées, associant des partenaires internationaux, et faisant prioritairement appel aux valeurs d’une authentique culture du changement.