Le Documentaire TV made in France

Depuis quelques temps, la concurrence se durcit pour le marché du documentaire et les fenêtres de diffusion se font plus rares sur les grandes chaînes européennes historiques car ces dernières se focalisent sur des concepts plus fédérateurs, comme les séries de fiction ou les divertissements.Une étude commandée par la Scam* révèle toutefois que 15 à 20 % de la production documentaire française parvient à s’exporter en dépit de cette période difficile.
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Ainsi, le succès des séries Sacrifice et Apocalypse d’Isabelle Clarke et Daniel Costelle illustrent avec panache l’existence d’opportunités toujours ouvertes aux producteurs et réalisateurs français. Apocalypse représente notamment l’une des 3 meilleures ventes dans le monde en 2013. Le genre historique est bien maîtrisé par les français qui ont à leur actif d’autres success stories, on citera, notamment, Les Kennedy de Patrick Jeudy ou les 100 ans du Tour de France de Jean-Christophe Rosé. Pour ces productions, les clés de la réussite ont été réunies dès la genèse des projets avec le choix d’un sujet qui adresse culturellement plusieurs pays, et, en parallèle, un financement assuré bien en amont par plusieurs grands diffuseurs étrangers.

 

 

Une place pour la diversité…

 

Outre les grandes coproductions TV internationales historiques, des documentaires de création singuliers tracent aussi parfois leur chemin… C’est notamment le cas de Happyness (2013) un documentaire atypique qui raconte l’histoire d’un petit moine du Bouthan qui part à la découverte de la télévision. Dès sa genèse, le projet rassemblé une dizaine de coproducteurs ou préacheteurs importants (BBC, NHK, WDR, PBS…). «Il faut dire que ces financeurs suivent le réalisateur Thomas Balmes, depuis plus de quinze ans» souligne Juliette Guigon, sa productrice (Quark Productions). Une fois terminé, le film a remporté des récompenses à Sundance, à Amsterdam…

 

 

Des auteurs français qui font référence dans le monde

 

Jacques Perrin, Thomas Balmès, Jean-Xavier de Lestrade, William Karel sont des auteurs français qui ont acquis une belle notoriété hors de France sur le petit et le grand écran.

 

Sélectionnés et remarqués dans de grands festivals internationaux, comme l’IDFA à Amsterdam, Sundance aux Etats-Unis, leurs noms attirent souvent des diffuseurs étrangers prêt à participer au financement en amont de leurs films. L’Oscar décerné à Un coupable Idéal, en 2003, a par exemple ouvert les portes des préfinancements internationaux aux deux séries Soupçons (The Staircase) de Jean-Xavier de Lestrade, en 2004 et 2012. Sélectionné à Amsterdam en 2013 et projeté en séances «marathon» de 6 heures, The Staircase II a notamment engrangé instantanément une vingtaine de ventes internationales…

  

La productrice Christine Camdessus (Alegria Productions) salue le rôle d’Arte dans l’éclosion d’auteurs-réalisateurs à vocation internationale : «Arte nous a appris à faire des films pour un public qui n’est pas seulement français » souligne-t-elle tout en précisant: « Mais attention : un film ne devient pas international à sa livraison mais parce qu’il est conçu comme cela »…

 

La mécanique transparait effectivement lorsque l’on regarde les trois programmes documentaires nominés du Prix Tvfi de l’exportation en 2013: derrière le lauréat Apocalypse Hitler, les autres deux nominés possédaient aussi dès atouts dans leur jeu dès leur genèse…

  

Au coeur de la Maison Blanche, diffusé sur France 2 en 2012, était porté William Karel, réalisateur reconnu. Son sujet: la réélection du président des Etat-Unis, intéressait d’emblée le monde entier. Préfinancé par quarante médias internationaux, dont Link TV et Hulu pour les Etats Unis, la NHK pour le Japon, la Rai en Italie, la ZDF en Allemagne, l’IBA en Israël, MBC au Moyen-Orient et SBS en Australie, le film a été produit pour s’inscrire dans une stratégie de programmation évènementielle puisqu’il était prêt à diffuser pour la soirée des élections américaine.

  

De son côté, La légende du Tour de France, de Jean-Christophe Rosé, qui célébrait le 100e anniversaire de la célèbre course, a lui aussi séduit plus de 30 acheteurs dans le monde. L’épreuve de cyclisme internationale est largement connue hors de France, et l’auteur, qui possède déjà à son actif une riche filmographiesur des grands sportifs, s’attire le soutien presqu’inconditionnel de la BBC pour chacun de ses projets.

 

 

Un marché TV international qui se durcit néanmoins… 

Le monde reconnait «l’école du documentaire français, celle du cinéma-vérité» constate Jean-Xavier de Lestrade. Mais avec l’émergence ces dernières années de multiples pôles de production locaux, « on est de moins en moins seuls ». Ainsi, les chaînes scandinaves gratuites, qui achetaient assez systématiquement les documentaires français, ont cessé de le faire, constate la distributrice Daniela Elstner (Doc and Films).

 

 

Le dernier rapport Tvfi/CNC montre qu’entre 2003 et 2012, alors que le volume de la production documentaire française a augmenté de 18%, le nombre d’heures d’initiative française produites en coproduction ou prévendues à l’étranger a reculé de 10% (de 406 à 365 heures), tout en affichant une baisse des montants encore plus forte de 19 à 15,4 millions d’euros (- 19%).

 

Les ventes de films finis sont, elles, globalement en hausse, de 24 à 29,7 millions d’euros, entre 2003 et 2012 mais l’augmentation s’explique par un accroissement des volumes produits tandis que les prix d’achat peuvent être jusqu’à deux fois inférieurs à la norme lorsque les acheteurs sont de nouvelles chaînes ou des services de vidéo à la demande.

 

 

La qualité de la production française n’est pas en cause mais les grandes chaînes internationales recherchent davantage les séries ou les programmes événementiels. Les cases pour d’exposition de documentaires apportant un regard singulier se raréfient donc.

  

Stephan Riguet d’Andana Films, qui distribue un catalogue de 150 documentaires, confirme : «au lancement d’Andana en 2003, on avait un catalogue équilibré entre films d’auteurs et films « formatés pour la télévision ». Aujourd’hui, cette dernière catégorie représente les deux tiers. Ce que veulent surtout les chaînes, y compris Arte en France, ce sont des sujets d’histoire internationale, d’investigation, de géopolitique» poursuit le distributeur dont le parcours international de ses films d’auteurs s’arrête souvent au Bénélux, à la Suisse et à la Pologne: «Quand on fait cinq ventes, on est content. Quinze, c’est un succès».

 

 

* Article d’après une enquête commandée par la Scam à l’agence The Wit et à la journaliste Isabelle Repiton sur les performances du documentaire français à l’international – Enquête rendue publique à l’occasion de Sunny Side of The Doc 2014