Les banques de media sur Internet : La révolution ?

En parallèle des circuits de distribution classique, on trouve aujourd’hui sur Internet des sites proposant images, vidéo, bruitages, musiques, parfois à bas prix. Comment ces offres se sont-elles constituées ? Est-ce légal de les utiliser en France, patrie du droit d’auteur ? Quel est leur mode de fonctionnement et qui les utilise ? Le point en compagnie de Gilles Devicq, Co-marketing manager chez Pond5.
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Remontons dans les années 80. Musiques d’illustration, collections de bruitage, séquences vidéo, photos, chaque type de média possède un réseau de distribution spécifique. Dans chaque domaine, les clients trouvent pour les servir des interlocuteurs compétents capables de fournir une sélection pointue, mais la gestion est lourde et le prix plutôt élevé. Gilles Devicq, aujourd’hui co-directeur du marketing chez Pond5 où il anime plus particulièrement les réseaux de distribution, après avoir travaillé chez Corbis Europe, Getty, Image Bank et Hachette Photo plante le décor : « Jusque dans le milieu des années 90, le monde des collections de media reste extrêmement artisanal. En parallèle des agences de photojournalisme type Magnum ou Sygma, se développent rapidement, grâce à la publicité, des banques d’images fixes dédiées à l’illustration comme Image Bank avec des thématiques diversifiées : voyage, scientifique, animalier, situations humaines… L’idée de proposer des images animées en plus de l’image fixe fait son chemin, mais la lourdeur de la gestion et des frais liés à la diffusion tout en justifiant un prix élevé en freine l’essor. Malgré tout, le marché reste très rentable. Notons qu’à cette époque, le prix est encore déterminé par l’exploitation qui est faite du media ».

 

 

Libre de droits et numérique

Vers la fin des années 90, l’éditeur canadien Corel inaugure le concept de la collection d’images libres de droit en proposant ses logiciels avec des CD remplis d’images. Le CD apparaît alors comme un support d’échange pour des photos qui deviennent libres de droit : « Pour 1000 Francs, on peut acheter une centaine de photos et en faire ce qu’on veut. Ce nouveau modèle économique commence à concurrencer les agences traditionnelles ». D’autre part, l’apparition des outils de captation numérique, type compact et reflex pour la photo, enregistreur pour le son, camescope pour la vidéo, baisse les coûts de productions, simplifie les transferts et la gestion et facilite la venue de nouveaux entrants : « Les agences filaires comme l’AFP (Agence France Presse), AP (Associated Press aux USA) ou Reuter (UK), à l’origine spécialisées dans le texte, se positionnent sur l’image en incluant un service photo, moyennant un léger surcoût sur leurs abonnements textuels. Elles précipitent ainsi la chute d’agences comme Gama, Sygma ou Sipa Press. N’oublions pas qu’il y avait en France plus de 150 agences dans les années 70 contre une dizaine aujourd’hui ! ».

 

 

Internet et centralisation

Autre vecteur de changement, Internet se banalise vers la fin des années 90. En donnant la possibilité de consulter des media à distance et de les livrer, la toile bouleverse le marché. « En dématérialisant les objets audiovisuels, la gestion et les coûts ont été allégés, les transactions facilitées, mais la responsabilité du choix de la recherche et de la sélection a, dans le même temps, été déportée vers le client. Les moteurs de recherche se sont ainsi substitués au savoir-faire des agences spécialisées. » L’époque voit ainsi apparaître la création de banques de media centralisées, appartenant à de grands groupes financiers à vocation internationale. Elles intègrent dans leur construction une politique de fusions et de rachats. Fondée en 1995, Getty mène ainsi une politique de rachat de fonds d’images fixes et animées (notamment Tony Stone Images, Allsport, Hulton Press, Keystone et plus récemment istockphoto) créant ainsi une plateforme d’échange très volumineuse, principalement axée BtoB, aujourd’hui aux mains du groupe Carlyles. Corbis, autre géant créé par Bill Gates, se nomme au départ Interactive Home Systems. « Bill Gates pensait que les grands écrans plats pourraient prendre place dans les maisons et devenir des tableaux multimédias alimentés par des images et du contenu audiovisuel. Se rendant compte que le marché BtoC reste encore assez restreint, il repositionne Corbis sur le BtoB en s’intéressant à l’aspect documentaire et en rachetant des collections comme Bettmann ou Sygma. »

 

 

Le poids de la finance et l’évolution des droits

« Depuis le début de ce siècle, le marché de l’échange des medias est très largement dominé par des sociétés qui ont une vue financière plutôt qu’artistique du métier. Ce marché estimé à une valeur qui oscille entre 1 et 4 Milliards de Dollars par an n’a pas augmenté en valeur depuis la fin des années 90. Par contre le volume d’échange a approximativement été multiplié par 10 durant la même période, révélateur d’une baisse sensible du prix moyen des medias. » Historiquement, le négoce des medias a vu naître trois principes : le droit d’auteur où le prix est fixé en fonction de l’utilisation, la licence libre de droit où le montant de l’œuvre est forfaitaire et permet tout type d’utilisation, et enfin le microstock dont le concept remonte à la fin des années 90. Apparaissent alors des banques d’images en ligne proposant images, vidéo et son à bas prix. Le créateur touche alors entre 20 et 40 % du prix de vente, mais comme ce type de banque propose souvent des abonnements, la rémunération des créateurs peut tomber à juste quelques cents par photo vendue. « Pond5 s’est à l’origine installé dans cet espace de microstock qui s’assimile au crowdsourcing, en appliquant une licence du type libre de droit, sauf qu’il n’est jamais rentré dans le monde de l’abonnement qui tire les prix vers le bas. Ce type de fonctionnement est catastrophique pour les artistes qui voient ainsi leur travail dévalorisé par ce système et ne maitrisent plus leur perspective de gain. Chez Pond5, depuis l’origine de la société, le revenu est toujours garanti à hauteur de 50 % du montant déterminé par les artistes eux-mêmes. »

 

 

L’offre

Aujourd’hui, sur le segment BtoB, Corbis propose photos et vidéos sur deux sites distincts tandis que chez Getty, images photos, vidéos et musiques sont disponibles à la même adresse. Tous deux font le distingo d’office entre droits gérés et libre de droit. Notons que Getty est également présent sur le microstock avec iStockphoto, un pionnier du secteur qu’il a racheté en 2006. Autre pionnier sur ce créneau, le franco-russe Fotolia a complété son offre photo par des images vectorielles, des vidéos et des logos. Également présent sur le microstock, Shutterstock est un acteur incontournable de ce marché où il applique une licence standard, une licence étendue sans limite d’utilisation que l’on peut coupler à des forfaits et des abonnements. Avec le rachat de Getty Images par Carlyle pour 3,3 milliards de dollars, la levée de fonds de 150 millions de dollars de Fotolia auprès du fonds d’investissement KKR, ou encore la valorisation à plus de 700 millions de Shutterstock à la bourse de New York, le monde de la finance confirme son intérêt pour les banques de media. Indépendant et non coté en bourse, Pond5 totalise, de son côté, 650 000 utilisateurs inscrits sur le site et qui peuvent être aussi bien acheteur que contributeur. « Le client de Pond5, c’est aussi bien le blogueur, l’étudiant qui cherche des médias pour sa thèse, qu’une chaîne TV, une agence de pub ou un éditeur. Nous avons des téléchargements qui viennent de Chine, d’Afrique, du Soudan, du Mozambique… La création de la version française du site remonte à 18 mois, et nous avons actuellement environ 5 000 utilisateurs en France. Parmi eux, 30% sont des sociétés, 70 % sont des microstructures ou individus. Nous avons dans l’hexagone plus d’une centaine de fournisseurs de contenu. Nous travaillons ponctuellement avec des grosses structures comme Canal+, France TV ou Europa Corp, mais notre développement est ralenti au niveau des grands-comptes car l’achat se fait actuellement uniquement via carte de crédit ou PayPal, ce qui reste un frein pour les grandes entreprises, en Europe du moins. D’ailleurs, nous allons élargir cette année l’éventail de nos modes de paiement, ce qui devrait accélérer notre croissance à l’extérieur des USA. L’offre sur Pond5 est vraiment différente de la concurrence en vidéo et en audio. Nous avons par exemple une offre plus importante en 4K. D’autre part, notre modèle est plus attractif vis-à-vis des artistes qui peuvent monétiser leurs productions. Comparé à nos concurrents qui sont animés par des objectifs financiers exigés par leurs actionnaires, Pond5 se distingue par sa politique résolument “artist friendly”. Outre le principe de rémunération plus juste, nous offrons aux artistes un espace de promotion. Ils peuvent par exemple insérer un lien vers leur site, ou encore laisser leur mail pour être contactés directement ».

 

 

Quid des droits d’auteur

Mais dans un pays ou la Sacem est prépondérante et le principe du droit d’auteur encore bien ancré pour l’utilisation de la musique, on est en droit de se demander comment un site comme Pond5 se positionne et peut se conformer à la législation : « Pour la musique, certains fournisseurs sont membres d’une société de droit d’auteur type Sacem, Scam, Scap, d’autres proposent des musiques libres de droit. Nous gérons les deux situations. Si l’auteur appartient à l’une de ces sociétés, payer la licence donne le droit de l’utiliser sans restriction, mais ne paye pas le droit à la diffusion. Il faudra donc la déclarer à l’organisme qui facturera ensuite selon ses tarifs habituels ». Dans l’autre cas, l’utilisation est entièrement libre une fois la licence payée et on peut alors se demander comment une plateforme comme Pond5 peut cohabiter avec les acteurs traditionnels comme les éditeurs de musique d’illustration. N’est-ce pas une concurrence sévère pour les Kapagama, Koka Media et autres Musicforprod ? « Nous sommes en contact avec certains éditeurs pour qu’ils puissent utiliser nos services car nous sommes une plateforme d’exposition complémentaire à leur réseau au même titre que peuvent l’être eBay ou Amazon avec son Market Place. Nous ne nous positionnons pas comme un concurrent direct car notre champ d’action se limite aux licences non exclusives. Il n’y a d’ailleurs pas de transfert de propriétés entre l’auteur, qui reste détenteur de ses droits, et nous ».

 

 

Moteur de recherche et ergonomie

Photos, illustrations, séquences vidéo, animations flash, musiques, bruitages, tous les éléments sont là, disponibles. Il s’agit maintenant de consulter, filtrer et choisir. À ce petit jeu, l’interface de Pond5 fait preuve d’une certaine fluidité et propose des détails d’ergonomie intéressants comme l’affichage des médias dans une page unique à faire défiler, ou encore le démarrage automatique de la lecture dès le survol de la souris. Par contre, comme le moteur de recherche s’appuie sur des metadonnées renseignées par les artistes eux-mêmes, ces derniers ont parfois tendance à « surtaguer » leurs œuvres, d’où des résultats manquant parfois de précision. Après avoir rentré « feu » dans le moteur de recherche, j’ai ainsi vu s’afficher des flammes, mais aussi des armes, des pompiers, une explosion atomique, un soudeur…

« Il y a encore des faiblesses, concède Gilles Devicq. Nous avons un thésaurus avec une liste de mots-clefs (uniquement en anglais pour l’instant NDLR) pour aider les artistes à informer au mieux sur leurs œuvres. C’est ensuite le rôle des modérateurs de contrôler le contenu selon certains critères. Vidéastes, musiciens, photographes, ils sont spécialisés par type de média et vérifient la compatibilité technique, les aspects éthiques (pas de sujet pornographique ou offensant) et évitent également le « surtagage ». Les éventuelles fraudes sont également détectées via l’application Shazam ».

 

 

Pond5 en quelques chiffres

Plus de 2 millions de séquences vidéo

Environ 9 millions de photos

750 000 illustrations

150 000 musiques

470 000 bruitages, ambiances et sons seuls

4 800 Projets After Effects

 

 

http://www.pond5.com/fr 

 

Pond5 : la philosophie  du partage

Le monteur américain Tom Bennett et son associé suédois Marcus Engene n’ont aucune connaissance du secteur des banques d’images lorsqu’ils créent Pond5 il y a sept ans. « Au départ Pond5 a été construit comme une plateforme de partage, un réseau social dédié à l’échange de vidéo. C’est une société qui vient de l’Internet et reste encore fidèle à l’esprit start-up dans son fonctionnement et sa mentalité » ajoute Gilles Devicq qui poursuit : « L’idée de base était que les créateurs puissent diffuser leurs créations, mais aussi créer à partir des créations des autres. D’ailleurs quand vous êtes utilisateur de Pond5, vous êtes à la fois autorisés à acheter et à vendre avec le même compte. Assez rapidement, le nombre de séquences vidéo est devenu suffisant pour créer une collection et l’idée de créer une place de marché s’est ensuite imposée avec deux principes simples: le modèle de la licence libre de droit et un revenu minimum garanti de 50 % du prix fixé par l’auteur quel que soit le mode de diffusion. Aujourd’hui, avec 65 $ pour une vidéo HD, 120 $ pour une vidéo 4K et 35 $ pour une musique, les prix moyens constatés sont plutôt bas ».

Pond5 réussira-t-il à rester fidèle à sa philosophie en exerçant son activité en toute indépendance ? À suivre…