Media Process, Mode d’emploi des fabriques de médias numériques


En 3 mots - qui peuvent en dire long si on s'aventure à approfondir la question - « DIGITAL MEDIA PROCESS » est le vocable anglophone qui désigne un domaine de connaissance consacré aux Processus des Médias Numériques.
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DIGITAL ?

Les systèmes d’information & de communication actuels ont massivement et durablement évolué vers des technologies numériques porteuses d’un espoir de convergence. MEDIA ? Fruits d’une innovation accélérée, les technologies de l’image et du son sont aujourd’hui résolument numériques depuis l’étape de captation du réel jusqu’à celle de la reproduction visuelle et sonore. À coup sûr elles le seront pour longtemps. Définitivement, serait-on tenté de prédire par conviction. PROCESS ? Avec le numérique, on a assisté avec intérêt à une profonde remise en cause des méthodes de travail, des savoir-faire des métiers et plus généralement des processus de production devenus industriels dans les médias d’information. Avec la généralisation de ces traitements innovants, nous avons intégré le terme process à notre lexique. Le digital media process est une réalité très présente dans nos environnements où la communication occupe une place de premier ordre dans nos occupations quotidiennes ; cette nouvelle normalité tolère qu’on en vienne souvent à escamoter le mot digital. C’est une évidence pour tous ; jeunes et moins jeunes, professionnels ou amateurs, en ville et à la campagne, partout dans les contrées industrialisées, on s’étonne parfois de retrouver trace de l’existence de systèmes analogiques résiduels dans un univers technologique devenu globalement numérique. À l’exception d’authentiques artistes ayant développé une hypersensibilité aux craquements des disques vinyles, aux couleurs approximatives des polaroïds et aux bordures cartonnées des diapositives, plus personne ne doute des formidables avancées du secteur audiovisuel devenu multimédia à la grâce d’une révolution numérique entamée dans les années 80/90.

Pourtant, parler, et a fortiori écrire, sur le thème du Media Process aujourd’hui, est un exercice qui rappellera – à ceux qui peuvent s’en souvenir bien sûr – la difficulté qu’ont dû rencontrer les premiers promoteurs évangélisant l’avancée du traitement de texte à l’époque où la sténodactylographie était une profession florissante. Comment aborder la remise en cause d’un processus d’entreprise qui implique une population opérationnelle sensible, et concerne du même coup les décideurs et donneurs d’ordre soucieux de leur efficacité personnelle dans une recherche de productivité collective. Nous faisons chaque jour des expériences, qui peuvent être inédites ou au contraire habituelles, sous la forme d’échanges d’information basés sur des équipements numériques ; et régulièrement, nous sommes amenés à nous féliciter des progrès de l’époque qui permettent à tous ceux qui le souhaite de produire et de consommer des images et des sons avec une étonnante simplicité. En la matière, notre adoption de ces nouveaux usages de communicant numérique est fortement dépendante de notre capacité d’appropriation d’une quantité importante de nouveaux outils. Et là où il est question d’apprentissage et de pratique, il sera inévitablement question de notre engagement à comprendre des phénomènes dont nous savons désormais à quel point ils sont dématérialisés, donc notoirement moins lisibles que ceux qui peuvent être rencontrés dans d’autres domaines.

Le mot « MEDIA » est un terme au sens large et ambigu qui désigne à la fois des entreprises de communication, les supports technologiques qu’elles utilisent et les contenus éditoriaux qu’elles produisent. C’est à un sens encore plus détaillé de ce mot que nous faisons ici référence : le « média » est aussi l’élément numérique qui va transporter un message visuel ou sonore plus ou moins complexe. Prenons un exemple révélateur : si je prends basiquement une photographie avec mon appareil photo numérique, je créé un média : c’est là un processus élémentaire. Quand une chaine de télévision diffuse une émission en direct, elle assemble et enrichit un grand nombre de médias (des « sujets » préparés), eux-mêmes fabriqués à partir de nombreux médias (tournages, archives, animations graphiques…), et consolide la production complexe de ce programme en cours sous la forme d’un média qui pourra être délivré l’instant d’après par des services de télévision de rattrapage. On entrevoit par cet exemple la mise en abime prévisible par l’effet d’emboitement de tous ces médias qui servent à fabriquer d’autres médias. En fait, nous allons parler ici de la cuisine qui sert à préparer ces médias : et nous parlerons de cette fabrique sous des angles divers puisque nous nous devons d’évoquer successivement les lieux, les outils, pratiques, règles, étapes, matières, produits, qualités… dans un contexte multimédia, dévolu à la fabrication des images, des sons, des textes et données qui participent à la transmission de l’information et des idées. Pour ce faire, nous allons suivre les voies d’un modèle de représentation spécifique à l’environnement multimédia. Le recours à cette « façon de voir » et de comprendre les choses – sorte de paradigme – montre l’étendue des connaissances qui sont nécessaires à la maitrise des pratiques de ce domaine. Le foisonnement des terminologies et des sigles en usage dans ce domaine en est à lui seul une forme d’aveu.

Le Media Process – notre fabrique donc – est un univers si richement pourvu qu’il faut, pour en aborder tous les aspects, se livrer à un double exercice de décomposition, et de changement de « point de vue ». On considérera en premier lieu que toute fabrication de média complexe est le résultat d’une somme de fabrications de médias simples. Toute chose d’apparence complexe peut, si on fait l’effort intellectuel, être décomposée en une agrégation de choses moins compliquées, qui peuvent elles-mêmes, si on poursuit l’exercice, se résumer une somme de choses simple. Selon ce principe, tout processus de production numérique de programme audiovisuel peut être découpé en 3 blocs séquenciels : l’Acquisition figurant la fourniture des éléments, la Fabrication du programme parfois appelée édition, et la livraison du produit, longtemps assimilée à une Diffusion en temps réel, et qui s’apparente de plus en plus à la Publication électronique. Cette représentation simplifiée en macro-processus donne voie aux chapitres des études détaillées de chacun des processus qui prennent part ou peuvent prendre part à la production.

L’ Acquisition est une étape initiale qui est nécessaire à l’engagement du processus de production. Elle peut, dans certains cas, se limiter à la création de séquences audio et/ou vidéo originales sur un support unique référencé ; elle peut aussi faire appel à des éléments d’origines diverses : archives, graphiques, photos, animations, images de synthèse, extraits de programmes de flux du moment ; le catalogue est large. On parle en général au pluriel des Acquisitions, car la notion de quantité vient naturellement à l’esprit lorsqu’on anticipe le travail consistant à collecter toute la matière nécessaire à la réalisation du produit. En fonction de la diversité des sources, des supports, des transports et des époques, on peut rapidement constituer un inventaire étendu des besoins en processus spécifiques d’acquisitions.
La Fabrication est le cœur des métiers de production qui fait appel à des processus plus créatifs de visionnage, pour la sélection et le repérage, à des processus de coupe et d’assemblage, à la correction et l’étalonnage photographique des images, aux effets spéciaux visuels, au bruitage, à l’illustration sonore, au mixage. Un soin particulier est accordé dans la majorité des cas à la cohérence, à l’efficacité et au confort de ces étapes de travail qui participent à un objectif commun supporté par le réalisateur : l’aboutissement à une version corrigée validée du produit fini : l’original appelé master.

La Diffusion et / ou Publication correspond dans notre contexte à la distribution des produits manufacturés. Elle est devenue en quelques années un processus technique multiforme et complexe vers lequel converge la maitrise de spécificités techniques les plus diverses : pour la photographie en impression papier de qualité diverses ou duplication électronique optimisée, pour la télévision en définition SD ou HDTV, en rapport d’image 4/3 vs 16/9 – crop – letterbox – FIT, pour les accès délinéarisés aux vidéo en formats de codage divers sur des serveurs et des réseaux démultipliés, parfois avec contrôle d’accès pour assurer la monétisation par abonnement ou paiement à la séance… Les modalités de distribution des contenus numériques vers le public et les consommateurs sont devenues un chapitre stratégique de l’étude des flux de médias.

Ce découpage séquenciel des processus médias complexes en ces 3 macro-blocs fonctionnels est une première démarche élémentaire de la modélisation recherchée ; comme on a pu l’entrevoir dans les paragraphes qui précèdent, il va falloir identifier et qualifier toutes les variations souhaitées, toutes les pratiques nécessaires, pour que soient réalisables et relayables toutes les opérations nécessaires en Acquisition, en Fabrication jusqu’à la livraison du produit en temps et lieu attendus. Pour chaque sous-processus, une représentation graphique de type flowchart permettra de visualiser l’ensemble des éléments présents (des matériels aux logiciels en passant par les produits, fichiers, réseaux etc.), et les liens fonctionnels représentés par des flèches indiquant le cheminement des flux.

Il est souhaitable que cet inventaire des sous-processus techniques se concrétise par une représentation cartographique lisible et claire des besoins répertoriés. Compte tenu de la grande quantité des éléments en jeu, on va donc considérer pour chacun d’eux que la fabrication élémentaire du média est un traitement qui doit être considéré sous 3 angles distincts, complémentaires et indissociables : le WorkFlow, le MediaFlow et le DataFlow. Avec en finalité la maitrise intégrale de la fabrication d’un média numérique, qui, s’il est bien justement considéré comme un fichier média (mediafile) au plan technique, n’en demeure pas moins un élément d’information répertorié (asset) au plan éditorial.

Dans notre contexte, le WorkFlow est l’identification des actions de toutes formes qui concourent à la fabrication du média. Il considère au premier chef le point de vue opérationnel des traitements, impliquant les métiers, tâches, outils, systèmes, fonctions, étapes, contrôles… Il est ici question de modalités, de manières, de méthodes et de procédures (un terme qualifié bien explicite qui peine pourtant à occuper sa juste place dans les organisations). En allant plus loin, le WorkFlow intègre également les étapes de flux de travail assurées par les traitements automatiques de toutes sortes exécutés par des systèmes programmés. Le WorkFlow inventorie et caractérise donc toutes les tâches nécessaires au processus de production, qu’elles soient exécutées par des opérateurs ou mises automatiquement en œuvre par des systèmes. Avoir des workflows sereins, en soit, c’est déjà du boulot.

Le MediaFlow est concentré sur la description du flux des médias numériques audiovisuels. Il notifie tous les types et occurrences de fichiers de médias en présence, indique leurs caractéristiques de codage et de traitements. C’est notamment le cas pour les plateformes de production mettant en œuvre une copie de travail en basse résolution (low resolution LRes) faisant appel à une compression sévère destinée à alléger le poids numériques des éléments visualisés lors de la fabrication. Un traitement parallèle des médias est alors réalisé avec une occurrence noble en résolution nominale dite de travail (high resolution HRes) et sa copie compressée en LRes. Le MediaFlow identifie les traitements sous la forme d’actions et états de création/modification/suppression, pour les codages et transcodages, stockages, transports, routages. Il précise la nature des traitements spécifiques aux occurrences diverses d’un même contenu (copie, redimensionnement Up & Downscale, transcodage), toutes les étapes et tous les détails du cycle de vie de tous les médias impliqués dans le processus.

Le flux de données ou DataFlow s’occupe, pour sa part, de l’existence des informations de service nécessaires à l’organisation de ce cycle de vie des médias, et nécessaire aussi au cycle de production des contenus jusqu’à leur destruction le cas échéant. Il garantie la conservation du lien entre ce qui n’est qu’un fichier numérique (mediafile) et la description de son contenu éditorial (asset). Il catalogue tous les types de données, champs d’information saisissables par l’utilisateur ou remplis automatiquement par les systèmes, tous les traitements destinés à modifier ces données, toutes occurrences de ces données descriptives qui peuvent être embarquées dans des fichiers (metadata) ou intégrées à une base centralisée (database).

Dans le domaine des processus numériques des médias, comme pour le multimédia, la dématérialisation des éléments, des outils et des procédures en présence est un facteur défavorable, souvent nuisible, qui entraine des imprécisions et des confusions dommageables au partage du savoir. Avec les 3 visées concentriques des WorkFlow , MediaFlow , DataFlow d’un même processus productif de média numérique, nous sommes désormais dotés d’un modèle d’analyse, de description et de représentation structuré, adaptatif, extensible et notoirement efficient. En considérant ces 3 sous-domaines fondamentaux comme un filtre activable à volonté, et aussi comme les dossiers parents de larges champs de connaissance, cette modélisation indépendante permet de partager une logique commune de classement des informations qui s’apparente aux taxonomies reconnues dans d’autres domaines (comme par exemple la taxonomie de Bloom reconnue dans le secteur de la pédagogie). Pour comprendre à quel point ce modèle est devenu indispensable aujourd’hui, il faut se rappeler que la production de média numérique est devenu une industrie hautement compétitive, faisant l’objet de démarche d’optimisation incessante. La cohérence technologique, la fluidité des opérations, l’interopérabilité des systèmes, sont autant de sujets de préoccupations devenus déterminant pour les équipes en charge de l’ingénierie des systèmes, comme pour celles qui en assurent l’exploitation. Il est indispensable de garantir la maitrise des processus audio-vidéo de bout en bout, de la captation du spectacle vivant à la diffusion/publication des programmes réalisés. Pour ce faire, il faut anticiper en amont la collecte de toutes les formes que peuvent prendre les sources d’images et de sons nécessaires à une production. En bout de chaine, comment fournir dans les délais attendus toutes les alimentations spécifiques à tous les réseaux desservant les équipements domestiques, mobiles, portables des publics visés. Pour la bonne entente de tous ces métiers de spécialistes exigeant en immersion dans des infrastructures complexes, la différenciation des 3 flux est une aide précieuse. On peut raisonnablement se réjouir de la place occupée aujourd’hui par ce modèle, car les difficultés à venir ne seront pas moindres que ce qu’on avait imaginé avant de se coltiner certains des processus numériques qui nous entourent au quotidien, aussi simples puissent-ils paraître. 

Pour mettre à l’épreuve et illustrer le sujet du Media Process décomposé selon le modèle WorkFlow-MediaFlow-DataFlow, considérons l’exemple d’un processus élémentaire de création de média et revenons à notre exemple de la photographie. Sans préjuger des caractéristiques techniques et fonctionnelles de l’appareil photo numérique en jeu, ni des connaissances de celui qui l’utilise, ni même du contexte, en appuyant sur le bouton déclencheur, l’utilisateur déclenche la capture d’une image de la scène choisie à l’instant présent ; par cette action se crée un fichier photonumérique. Ce fichier répond à des spécifications industrielles fixées par le constructeur de l’appareil, et aussi des caractéristiques qui sont conditionnées par des choix à l’utilisation : par exemple quel type de codage numérique est choisi (format de codage) et quelle est la définition d’image voulue (quantité de pixels) ? Pour un utilisateur aguerri, connaissant ces caractéristiques et la procédure référencée dans le mode d’emploi (littérature de WorkFlow), il est donc possible de sélectionner le format JPEG ou RAW ou les 2, et choisir le niveau de qualité souhaité (souvent exprimé en Mégapixel) : la nature du – ou des – fichier(s) résultant sera déterminée par ces sélections, comme en attestera le MediaFlow nécessaire à la prévision du flux de production et d’archivage de cet élément. Dans tous les cas, le fichier délivrera des informations de date et heure de prise de vue (horo-datage) et peut-être aussi celle de géo-localisation du lieu si l’appareil intègre un GPS : la présence, le traitement et l’utilisation de ces métadonnées donneront matière à un DataFlow. Mais pour un professionnel de la prise de vue, une quantité d’autres informations descriptives fonctionnelles, techniques et pratiques sont importantes pour optimiser la qualité de son produit et harmoniser son flux de travail dans un contexte maitrisé : comme par exemple le délai minimum imposé entre 2 prises de vue (c’est du WF), la nature du codec image interne (c’est du MF), la présence de métadonnées des réglages photographiques à la prise en vue (c’est du DF).

On peux imaginer sans difficulté comment ces problématiques d’ordre technique et fonctionnel peuvent être démultipliées lorsqu’elles sont transposées à large échelle sur des plateformes de productions collaboratives multi-métiers, multi-utilisateurs, multi-formats… Cette discipline de classement minimal de nos idées concernant le MEDIA PROCESS en 3 domaines de représentations que sont les WorkFlow – MediaFlow – DataFlow est à l’image du bon rangement dans les armoires des torchons et des serviettes : et on est bien peu disposé à entendre ceux qui viendraient à s’en plaindre. C’est une démarche qui induit des descriptions structurées et des représentations cohérentes, au bénéfice de la connaissance des professionnels, et plus largement de tous les acteurs des processus médias qu’ils soient individuels ou collaboratifs.