Les enjeux de la digitalisation chez TF1

À l’occasion de l’Adobe Symposium qui s’est déroulé à Paris en novembre dernier, Luc Dammann, directeur général Adobe pour l’Europe de l’Ouest et du Sud, avait convié Olivier Abecassis, Chief Digital Officer d’e-TF1, à s’exprimer au sujet des grandes étapes de la digitalisation de son groupe. Retour sur cet entretien…*
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Luc Dammann : Vous avez une longue carrière chez TF1 puisque vous êtes entré dans le groupe en 1998. Est-ce que vous pouvez nous éclairer sur la stratégie digitale du groupe depuis 20 ans ?

Olivier Abecassis : Aujourd’hui le Groupe TF1 édite cinq chaînes en clair (TF1, TMC, NT1, HD1 et LCI) dont la part d’audience cumulée avoisinait les 28 % l’année dernière. La télévision devient cependant plus que jamais une expérience autour d’une offre de groupe qui agrège des contenus et des talents présentés, certes sur ces cinq chaînes classiques, mais aussi via des expériences multi-écrans.

« Une série d’étapes a structuré cette démarche, à commencer par l’arrivée de la TNT en 2005. À l’époque, le directoire de TF1 était contre cette évolution ; il était clair que les opportunités économiques de la télévision étaient verrouillées et l’arrivée de nouveaux acteurs allait complexifier ce marché. Le constat s’est confirmé : le marché publicitaire télé a stagné, la TNT n’a pas créé de la valeur, mais une répartition différente avec 27 chaînes nationales gratuites autour de la table !

« Nous en avons souffert, mais nous avons adapté notre stratégie en surfant sur la vague et nous avons ainsi acquis TMC, LT1, NT1, LCI pour entrer dans une logique de groupe… Au démarrage du digital et du replay, nous nous sommes à nouveau retrouvés dans une posture inconfortable, mais le contenu Internet était assez faible, et devenir un acteur de taille sur ce media pouvait représenter un centre de revenus avec un vrai chiffre d’affaires ! Pour construire ce nouveau modèle, il nous a fallu plusieurs années : quand nous avons lancé notre plate-forme replay, elle n’était pas rentable. Nous avons dû faire des réajustements.

« Nous avons notamment lancé l’offre Replay sans séries américaines, pour des questions de droits. Ces séries sont très présentes à l’antenne et cette absence posait un sérieux problème. La direction m’a contacté, heureuse de pouvoir proposer… « Les Feux de l’amour » ! Je n’étais vraiment pas convaincu de la légitimité de cette série sur le second écran, mais nous l’avons quand même mise en accès VOD et elle est rapidement devenue l’un des produits les plus consommés sur MyTF1. Ce programme touchant une cible pour laquelle la diffusion à journée n’est pas toujours adaptée, il attire en VOD des centaines de milliers de personnes…

Aujourd’hui quelque 40 millions de Français sont sur Internet et 30 millions d’entre eux consomment du replay tous les mois, qu’ils soient jeunes ou vieux… Il en faut donc pour tous les goûts ! La conclusion de cette histoire, c’est qu’au démarrage d’une activité, il vaut mieux éviter les préjugés, apprendre de ses erreurs et surtout envisager la consolidation d’un nouveau business model sur plusieurs années, avec des tests, des expérimentations…

 

 

L. D. : Nous sommes entrés dans l’ère du digital multicanal, quel est le positionnement de TF1 ?

O. A. : Il y a beaucoup de littérature sur « la télé va mourir »… Si l’on considère que la télé, c’est ce que vous mettez au mur pour regarder des programmes linéaires, oui on peut dire que le modèle de croissance et les perspectives n’existent plus. Si vous considérez la télévision comme une expérience de contenu multiplates-formes, avec davantage de contenus et davantage d’écrans, alors son usage progresse. C’est pourquoi, au sein du groupe, notre objectif est aujourd’hui d’élargir notre offre de contenus, sa distribution et ses destinations, en tenant compte de la demande des audiences.

 

 

L. D. : Quelles sont vos missions en tant que CDO [Chief Data Officer] ?

O. A. : Lorsque le nouveau président de TF1, Gilles Pélisson est arrivé, début 2016, il a changé l’organisation structurelle du groupe qui fonctionnait avec une logique de silo. Désormais, le digital accompagne toutes les unités, du plateau TV à la nouvelle application VR, et cette activité génère désormais des revenus.

Ma mission est de faire en sorte que le chiffre d’affaires digital augmente dans les années à venir (NDLR : le chiffre d’affaires du portail a déjà augmenté de 115 % entre 2011 et 2015). Dans cette perspective, nous développons des synergies de plus en plus fortes entre le digital et la télévision linéaire et nous expérimentons de nouvelles offres. Par exemple, sur le dernier trimestre 2016, nous avons lancé la série de fiction française, « La Vengeance aux yeux clairs », et nous avons mis en ligne le premier épisode gratuitement sur MyTF1 en proposant une offre payante qui permettait de voir la série en VOD sans attendre sa diffusion sur la chaîne. Des dizaines de milliers de personnes l’ont effectivement visionné en payant. Autrefois, la direction de la chaîne n’aurait jamais autorisé une telle initiative par peur de voir l’audience TV s’effondrer ! Tout était complexe, parce que l’organisation était pensée verticalement ; là, le modèle s’inverse.

Notre trajectoire est définie jusqu’en 2020. Il est vrai que ce qui est envisagé aujourd’hui sera en partie faux demain, mais ce n’est pas une raison pour ne rien faire ! Il faut juste se demander régulièrement « Est-ce que la méthode que j’utilise est bonne ? Est-ce que j’ai mis en place les indicateurs adéquats pour l’évaluer ? … ». Si on reste dans ce processus d’itération tout finit par devenir clair. Cette démarche « test and learn » est sans doute la partie la plus passionnante de mon métier !

 

 

L. D. : Quelle idée vous faites-vous de l’expérience client ?

O. A. : L’expérience client du groupe TF1 est double : elle concerne aussi bien spectateurs que les annonceurs… Aujourd’hui, pour ce qui est de l’expérience téléspectateur, nous faisons en sorte d’avoir du contenu au moment où cela lui convient, sur l’écran qui lui convient.

Quant aux annonceurs, ils sont de plus en plus sensibles au targeting d’audience… Dans cette perspective, le concept de puissance mesurée par Médiamétrie a fait sont temps et nous devons mettre en place des outils qui permettent de mieux connaître nos publics. Les téléspectateurs français regardent la télévision en moyenne plus de trois heures par jour. Notre nouveau défi est de récolter suffisamment d’informations pendant ce lapse de temps pour que les marques trouvent des repères…

Les téléspectateurs et annonceurs ont clairement des attentes différentes qui donnent lieu à deux exploitation de datas différentes… Ce qui, actuellement, n’est pas simple à gérer !

 

 

L. D. : Quelles sont vos incursions du côté du 100 % digital ?…

O. A. : Au travers de notre régie publicitaire, nous commercialisons aujourd’hui des offres avec des cibles plus identifiées, en particulier des publics plus jeunes. Nous avons passé un accord avec Finder Studios, qui est le premier MCN (Multi Chanel Network) de France sur la Beauté et la Cuisine. Avec ce type de déploiement, les marques sont placées au cœur de dispositifs globaux qui leur assurent une visibilité sur YouTube, WAT, Facebook, Vine, Twitter, Instagram, Snapchat et désormais MyTF1…

Pour ancrer la notoriété de Finder, qui regroupe un ensemble de youtubeuses beauté clairement reconnues, nous avons organisé un événement qui a regroupé 10 000 adolescentes et des stars. Nous cherchons ainsi des moyens diversifiés d’apporter une réponse aux annonceurs qui veulent adresser une cible plus jeune. Il s’agit ici d’un exemple, mais nous avons beaucoup d’autres projets(1)

Et Olivier Abecassis de conclure : « Tout serait plus simple sans toutes ces évolutions technologiques qui se succèdent et changent nos rapports à la consommation des contenus… mais finalement ce serait moins passionnant ! »

 

 

Olivier Abecassis : la biographie

Ingénieur diplômé de l’Institut national des télécommunications, Olivier Abecassis débute son parcours professionnel en 1996 en participant au lancement de TPS. Fin 1998, il rejoint TF1 pour conduire le passage de l’analogique au numérique des chaînes TF1 et LCI. Successivement DGA, en 2008, puis DG d’e-TF1, en 2010, il lance le portail MyTF1 et en assure sa refonte en mai 2015. En 2014, en complément de ses fonctions opérationnelles à e-TF1, il commence à superviser une direction transverse de l’Innovation (Open Innovation) et, depuis février 2016, il est aussi directeur innovation et digital du groupe. À ce titre, il a en charge la digitalisation de l’entreprise et le déploiement de la stratégie numérique du groupe.

 

 

MyTF1 : 1 500 heures de replay

Lancée en 2010, MyTF1 – qui a fait l’objet d’une refonte totale en 2015 – cumule les records avec 175 millions de vidéos vues en octobre 2016 et plus d’un milliard de vidéos consommées depuis sa création. MyTF1 est aussi leader de l’IPTV avec plus de 10 millions de visiteurs uniques… La plate-forme propose plus de 1 500 heures de replay et plus de 160 marques programmes par mois. Parmi elles : « Secret Story », « Danse avec les stars » ou encore « Blindspot ». MyTF1 séduit les millennials et complète son offre avec des contenus 100 % digitaux dans le cadre de MyTF1 Xtra. Lequel propose, entre autres, des fenêtres d’exclusivité sur des fictions étrangères premiums (neuf pays représentés et seize séries digitales publiées). MyTF1 Xtra s’est aussi lancé sur le territoire de l’eSport en 2016 avec la création de la franchise Xtra Cup et deux compétions diffusées en Live en 2016 : HearthStone XtraCup et League of Legends Xtra Cup…

 

(1) Le Groupe TF1 a depuis continué sa stratégie de déploiement
 digital sur les réseaux sociaux en prenant en décembre 2016 une participation majoritaire au capital de MinuteBuzz, leader en France en tant que plate-forme sociale auprès des Millennials avec neuf millions d’abonnés et deux milliards de vidéos vues depuis le début de l’année.

 

*Article paru pour la première fois dans Mediakwest #20, p.84-85Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur totalité.