Cartoon Movie cartonne à Bordeaux : retour sur l’édition 2017…

Après huit éditions à Lyon, Cartoon Movie s'est, l'année dernière, relocalisé à Bordeaux. Ce déménagement réussit plutôt bien à ce grand rendez-vous dédié au film d’animation et à l’image numérique puisque l'édition 2017 a vu un nombre record de participations et 2018 s'annonce sous des auspices tout aussi favorables...*
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« Cartoon Movie a toujours défendu la diversité en matière de pays producteurs, publics, contenus et budgets (de 3 à 13 millions d’euros en 2017) », rappelle Marc Vandeweyer, directeur général de Cartoon. « Les films d’auteurs font partie de la sélection des pitchs au même titre que les films aux objectifs plus commerciaux s’adressant à la famille. »

Pour sa première édition à Bordeaux, le forum européen de coproduction de films d’animation a affiché 14 % de hausse dans la fréquentation (par rapport à 2016). 850 professionnels de l’animation de 41 pays (dont 221 acheteurs et 43 sociétés de jeux vidéo) ont fait le déplacement pour assister à la présentation de 55 projets. Sur ces films sélectionnés à l’état de concept ou en cours de développement et de production, presque un tiers émane d’un studio hexagonal.

Le déplacement de la manifestation à Bordeaux pemet de mettre en avant la filière régionale forte du Pôle Image Magelis (avec sept projets). Pour rééquilibrer l’offre, l’édition bordelaise a choisi de faire le focus sur un territoire particulièrement dynamique dans la production de films d’animation. En 2017, les producteurs flamands (Walking the Dog, Lunanime, Grid Animation, nWave Pictures, Vivi Film…), souvent primés au Cartoon Movie, se sont retrouvés sous les projecteurs. Huit de leurs projets ont été sélectionnés, dont cinq en coproduction.

 

Les irréductibles du film jeunesse

Cœur de cible des projets de Cartoon Movie (avec 35 projets), les comédies familiales et films d’aventure ont attiré en nombre les professionnels. Porté par Folivari, Studiocanal et Panique !, Le grand méchant renard et autres contes de Benjamin Renner et Patrick Imbert, avaient réservé à l’événement la primeur de quelques scènes avant une présentation à Cannes et Annecy.

« Notre première intention, dès que nous avons découvert la BD de Benjamin Renner, était d’en faire une collection de courts-métrages, » remarque le producteur de Folivari, Didier Brunner. « Studiocanal nous ayant vite rejoints, nous avons décidé de l’adapter pour le cinéma. » Une adaptation servie par une 2D assumée : « Nous subissons trop la dictature de la 3D ! Nous voulions un graphisme qui ne fasse pas ordinateur. »

Très suivi également, Zombillénium d’Arthur de Pins et Alexis Ducord, avait ouvert la cession des pitchs. Produit Maybe Movies, réalisé en 3D chez 2 Minutes, DreamWall et Pipangaï, le film est sorti en salle le 18 octobre dernier.

Pour le jeune public, Maybe Movies présentait aussi avec Sacrebleu Productions Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary. Réalisée par Rémi Chayé, la fiction, qui imagine l’enfance de Calamity Jane, développe un univers graphique 2D-3D rappelant celui de Tout en haut du monde : « Nous faisons en sorte que les personnages soient simples à animer, mais justes émotionnellement », indique le réalisateur qui a signé ce dernier film.

Les pitchs de Cartoon Movie proposaient également, pour ce public accompagné, deux belles épopées présentées en développement et en concept : Le Voyage du prince par Jean-François Laguionie porté par Blue Spirit Production et Les Nazis, mon père et moi produit par Folivari.

Après Ma Vie de Courgette, le long métrage de Claude Barras distingué au Cartoon Movie par deux Tributes, Blue Spirit Productions signe avec Jean-François Laguionie un conte philosophique en forme de carnet de voyage au pays des singes. Suite miroir au Château des singes, le film (4,2 millions d’euros), qui joue à la fois de l’émerveillement et du mystère, est fabriqué en 3D et 2D dans les studios de Blue Spirit en France, au Canada et en Belgique. Basé sur le livre autobiographique de Robert Lieberman, le nouveau projet de Folivari nous entraîne, pour sa part, à New York dans les années 40, à la suite de deux enfants pourchassés par des espions nazis. Réalisé par Rémy Schaepman, ce film d’aventure en 2D (décors en 3D), estimé entre 9 et 10 millions d’euros, s’adresse à tous les publics sans réserve.

Le parti des enfants était encore rejoint, à la surprise générale, par deux producteurs plus connus pour leurs films destinés aux plus grands : Les Films du Nord avec Le Vent dans les roseaux et Ankama Animations avec Princesse Dragon. « Après Dofus, nous revenons à une histoire plus simple, plus douce, » souligne Anthony Roux, co-réalisateur avec Jean-Jacques Denis. Pour ce troisième long-métrage au style aquarellé (4 millions d’euros), le studio de Roubaix entend même retourner aux sources de l’animation traditionnelle : « Nous prenons le contre-pied de Dofus réalisé en 2D et 3D. La mise en scène est dépouillée et le dessin économe, mais dynamique. »

 

La montée en force de l’offre adulte

Formant 33 % des projets sélectionnés, les films d’animation destinés aux ados et jeunes adultes talonnent aujourd’hui l’offre jeunesse et acquièrent de plus en plus de visibilité. Ils entrent aussi singulièrement en résonance avec l’actualité. La crise des réfugiés et les conflits au Moyen-Orient se trouvaient ainsi au centre de cinq projets pour la plupart initiés par des Français.

Présenté en concept en 2016, La Sirène de Sepideh Farsi produit par Lunanime (Belgique) et les Films d’Ici, un producteur toujours très engagé dans le film pour adultes, confirme ses promesses en nous projetant à Abadan (sud de l’Iran), durant la guerre Iran/Irak. La ville est assiégée et un adolescent va chercher à la quitter à bord d’un vieux bateau. Avec son style graphique épuré (signé par Zaven Najjar), le film – en développement (3 millions d’euros) – recourt à une animation 3D réduite à l’essentiel afin de « pousser le jeu des acteurs et la mise en scène ». Si les décors seront fabriqués chez Lunanime, les animations seront prises en charge en France et au Luxembourg.

Autres histoires fortes (inspirées de faits réels), celles narrées dans My Sunny Maad (Sacrebleu Productions et Negativ), une chronique de la vie à Kaboul par une Tchèque mariée à un Afghan, et dans Josep, un documentaire onirique porté par les Films d’Ici Méditerranée et la Fabrique Animation, lequel rappelle le traitement infligé aux Républicains espagnols dès leur arrivée en France. Enfermé dans un camp de concentration, le dessinateur de presse espagnol Josep Bartolli n’a dû sa survie qu’à la pratique du dessin. Estimé à 4,2 millions d’euros (dont 65 % est assuré), le film réalisé par Aurel sera fabriqué en 2D à la fois en France et à Barcelone.

Parmi les autres thèmes abordés au Cartoon Movie 2017, les abus sexuels (Awakening Beauty), le trafic d’êtres humains (Flee), la censure (Buñuel in the Labyrinth of the Turtles)… Pour leur traitement graphique, deux références sont régulièrement souvent citées : Persépolis et Valse avec Bashir, le premier, ayant recouru à une forme hybride à base d’animation et de prises de vues réelles. Ainsi A Single Mom in Korea de Jung Henin, qui revient sur la question des abandons forcés d’enfants en Corée du Sud (Couleur de peau : Miel), mêle documentaire et animation 2D.

Pour faciliter la production, Marmita Productions et le studio coréen Banda Media envisagent de réduire les sites de fabrication. Revendiquant également une approche documentaire, Flee de Jonas Poher Rasmussen est proposé par Final Cut for Real en coproduction avec Vivement Lundi et Sun Creature Studio. Doté de la même manière d’une base documentaire inédite, La Jungle rouge, présenté par Dolce Vita Films, Nadasdy Films et Intermezzo Films revient sur les dernières années du commandant des FARC chargé des négociations lors des prises d’otages. Filmés sur fond bleu en rotoscopie, les acteurs feront l’objet d’un traitement graphique chez Nadasdy et au studio lillois Tchack avant d’être réinscrustés sur les décors. « Cette technique d’animation correspond à l’économie du film (4 millions d’euros) », remarque Nicolas Burlet, producteur chez Nadasdy Films. « On prévoit six semaines de tournage et dix mois de traitement et montage. »

S’inspirant à son tour de faits réels, Charlotte fait revivre Charlotte Salomon, une artiste juive qui a peint un grand nombre de peintures jusqu’à sa mort à 26 ans à Auschwitz. Le film, qui réunit le Canada (January Films), la France (Productions Balthazar), la Belgique (Walking The Dog) ainsi que les Films du Poisson Rouge, a opté pour un traité tout en retenue, en full 3D avec un rendu 2D. Estimé à 10 millions d’euros, le film, qui n’animera pas les peintures, sera réalisé par Bibo Bergeron (Un Monstre à Paris).

La cible ado-adultes ne se contente pas d’être plébiscitée par des producteurs issus du documentaire (Les Films d’Ici, Marmita, etc.) ou de la prise de vues réelles, elle séduit également Prima Linea qui voit, dans le genre, l’opportunité de se différencier de l’offre en 3D des grands studios américains. Producteur exécutif de La Tortue rouge, la société introduit Miss Saturne, son premier projet de long-métrage clairement ado-adulte. Réalisé par Jérôme Combe (Fortiche Production) et Barbara Israël, le film est une chronique des années 80 vues par des ados convertis à la New Wave.

« Le film au budget restreint (entre 6 et 7 millions d’euros), qui se passe à Nice, joue sur le contraste entre un graphisme noir et blanc et le réalisme des décors », souligne le réalisateur qui mise sur un stylisme à la Jean-Paul Gaultier pour les vêtements et une musique emblématique de l’époque (Rita Mitsuko, Dépêche Mode). Comme de nombreux projets en développement, Miss Saturne, qui sera fabriqué en 3D (finalisé en 2D) chez Prima Linea, Artemis Productions et Fortiche Productions, cherche des distributeurs et un quatrième coproducteur.

Fuyant pour leur part toutes références à l’actualité ou à l’histoire, Schmuby Productions et Autour de Minuit se sont démarqués avec Unicorn Wars, une « fable grinçante et anti-militariste » coproduite avec Uniko (Bilbao) et Abano (La Corogne). Le film d’Alberto Vasquez (deux Goyas pour Decorado et Psiconautas) met en scène deux icônes de l’enfance, des nounours et des licornes, en guerre depuis des temps immémoriaux. Film s’adressant à un marché de niche, il ne devrait pas dépasser les trois millions d’euros. « Nous constatons que les producteurs maîtrisent de mieux en mieux leurs budgets », observe Marc Vandeweyer. « Ceci est surtout valable pour les producteurs de films ado-adultes dont le financement est plus difficile à réunir. »

 

A lire demain : Le rendez-vous de l’animation Cartoon Movie fête ses 20 ans en Mars 2018 !

 

* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #21, p.102-104. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur totalité.