César 2017 – Entretien avec Eric Bestagno, responsable des transmissions au sein de la direction technique de Canal+

Le théâtre du Châtelet se faisant une beauté, les César 2017, 42e édition, ont élu domicile à la salle Pleyel. La direction technique de Canal+, orchestrant l’ensemble des transmissions de la cérémonie, a fait appel à l’entreprise Wibx pour tester et valider des choix techniques novateurs. Exit le satellite : c’est une fibre, ou plutôt deux fibres qui ont été déployées spécialement pour transporter les images et les sons entre la salle Pleyel et les studios de Canal+. Eric Bestagno est le responsable des transmissions au sein de la direction technique de Canal+. Il nous a accueillis à bras ouverts pour nous présenter les spécificités mises en œuvre sur cette édition.*
Louma_OK.jpg

 

Mediakwest : Eric, pouvez-vous nous préciser le détail des programmes réalisés par Canal+ pour la cérémonie ?

Eric Bestagno : La cérémonie, programme principal diffusé en clair sur Canal+, commence à 21 heures et se termine entre minuit et 1 heure du matin. Avant la retransmission de la cérémonie, le Grand Journal est consacré principalement à l’évènement avec ce que nous appelons les « Avant-César », qui alternent des images de l’arrivée des voitures, du tapis rouge et des interviews. Nos deux présentateurs Laurent Weil (« Les Rencontres de cinéma ») et Laurie Cholewa (« L’Hebdo cinéma »), accueillent les invités : Laurent est en interview à la sortie du tapis rouge et Laurie est en duplex au milieu du cocktail, accompagnée par un caméraman mobile équipé en HF. Parallèlement à la cérémonie, Laurent Weil et Laurie Cholewa poursuivent ensuite leurs interviews avec tous les lauréats primés. Ce programme est diffusé le lendemain de la cérémonie.

 

MK : Quel dispositif technique a été déployé ?

E.B. : Le Millenium Signature 12, le nouveau car de production d’AMP Visual, a été mis à contribution. Il peut accueillir jusqu’à 35 personnes, voire plus en utilisant une partie du car d’accompagnement dans certaines configurations ; avec ses deux soufflets, la rue est partiellement bloquée. Ce car de production est constitué par le regroupement de deux cars de réalisation en un seul : deux mélangeurs, deux consoles audio et une partie technique commune. Les Avant-César et les interviews des lauréats sont réalisés dans une des alvéoles et la cérémonie dans l’autre. Hormis quelques caméras mutualisées, tout est séparé, la coordination également.

 

MK : Pourquoi Canal+ a-t-elle souhaité changer son mode de transmission des César ?

E.B. : Canal+ et la direction technique de Canal+ souhaitent aujourd’hui développer la remote production. Derrière ce terme générique, nous cherchons à utiliser et à mutualiser nos moyens techniques internes. Cela nous permet, par exemple, d’utiliser les régies de production des studios de Canal+ et d’alléger ainsi le dispositif technique externe. La faisabilité est étudiée en fonction de la configuration des lieux. La salle Pleyel nous offrant cette possibilité, nous avons mis en place les moyens techniques nécessaires.

La remote production nécessite des tuyaux conséquents, et donc de la fibre optique à très haut débit sécurisé. Nous avons pour cela fait appel à différentes sociétés, dont Sipartech et son entité Wibx, qui ont déployé deux fibres optiques via une double route offrant une redondance totale. Nous disposons donc de deux fibres noires entre la salle Pleyel et Canal+ via les centres de Sipartech.

 

MK : Quels ont été les délais d’installation de la fibre ?

E.B. : La fibre a été installée très rapidement. C’est la force de l’entreprise Sipartech/Wibx, les délais des autres opérateurs étant beaucoup plus longs. Depuis le lundi précédant la cérémonie, nous avons travaillé sur les configurations et nous avons gelé le dispositif le matin de la cérémonie. En termes de matériel, les équipements ont été choisis au sein de la gamme du fabricant Evertz, la fiabilité de ce matériel étant satisfaisante. On a testé la redondance matérielle avec succès : la déconnexion de la fibre A ou B n’altère en rien l’ensemble des services. La bascule est invisible.

 

MK : Comment avez-vous concrètement profité des débits supplémentaires offerts par ces fibres noires ?

E.B. : Ce sont des fibres noires, donc tout est possible, en fonction des programmes évoqués (Avant-César, cérémonie et interviews), nous avons réalisé des tests et commencé différentes opérations de remote production. La cérémonie en elle-même était une opération trop lourde pour un début, mais nous l’avons quand même totalement étudiée avec le producteur KM. Nous sommes allés plus loin pour les Avant-César, opération mettant en œuvre sept caméras privatives et une caméra mutualisée avec la cérémonie.

Pour ne pas attiser le stress de la production (nouvelle salle et nouvelle configuration), nous n’avons pas souhaité rajouter de « poids » technique à l’opération. Cependant, un dispositif conséquent et complet était mis en œuvre pour la remote production : neuf signaux partaient de Pleyel vers Canal+ et trois autres depuis Canal+ vers Pleyel, notamment pour les retours. Nous sommes allés jusqu’à la mise en place de huit signaux de coordination (ce que l’on appelle communément les quatre fils) pour la partie ordre afin que le réalisateur basé à Canal+ puisse parler à tous ses cadreurs.

 

MK : En complément des tests techniques, avez-vous pu tester la réalisation en remote production ?

E.B. : La réalisation du programme pour le web a été faite en partie en remote production. Le réalisateur de ce programme était dans les locaux de Canal+ et disposait des neuf sources caméras. Il n’interagissait pas avec les cadreurs et utilisait les signaux à sa disposition. Cela nous a permis de tester le fonctionnement, mais aussi la latence.

 

MK : Avez-vous quelques détails techniques sur les signaux transmis via la fibre ?

E.B. : Concernant la compression, nous avons choisi le Jpeg 2000 à 100 Mbits/sec pour certains signaux, combinés avec du HDSDI pleine bande pour le signal principal et pour les retours. Le but est d’avoir une basse latence préconisée pour la remote production. C’est la seconde fois que nous utilisons le Jpeg 2000, technologie déjà utilisée sur le tournoi de Wimbledon. La latence est très faible, avec en contrepartie une bande passante importante (entre 100 et 150 Mbits/sec.) pour proposer un signal de très bonne qualité. Sur cette cérémonie, le signal reçu à Canal+ est très satisfaisant.

 

MK : Est-ce la première expérience de remote production pour Canal+ ?

E.B. : En France, nous sommes en retard sur ce sujet ; néanmoins, nous avons déjà mis en place, avec la direction de la production sport de Canal+ et AMP Visual, la remote production pour l’habillage de la Formule 1. Pour tous les grands prix, l’EBU (Eurovision) nous fournit la prestation technique de transmission. Nous disposons du signal international et de tous les signaux proposés par l’organisation. Jusqu’à présent nous avions un seul signal privatif, que nous avons complété avec deux autres. Depuis les locaux de la chaîne, le réalisateur dispose maintenant d’un signal international avec trois ou quatre caméras en fonction du dispositif pour réaliser le programme. Un retour antenne est également envoyé au présentateur sur place. Pendant la course, le signal international est utilisé, la réalisation autour de la course étant faite depuis Paris.

Le surcoût des transmissions est compensé par la réduction du fret des équipements et l’allègement de la logistique. Technologiquement la transmission est effectuée en Mpeg4 basse latence à 30Mbits/sec. Le choix du même industriel sur les codeurs et décodeurs a permis d’assurer une meilleure interopérabilité et une meilleure latence.

 

MK : Le déploiement de la fibre a-t-il apporté d’autres avantages ?

E.B. : Jusqu’à cette édition, deux stations satellites servaient à la retransmission des César, mais avec beaucoup moins de signaux. L’utilisation de la fibre a été l’occasion pour Canal+ de proposer des services annexes aux médias accrédités (radios et agences de presse). Nous avons pu délivrer un accès Internet haut débit en collaboration avec l’équipe DSI de la salle Pleyel.

 

MK : Avez-vous prévu des suites à cette première ?

E.B. : Oui, nous souhaitons développer ce nouveau mode de production de manière plus large (sport, théâtre vivant). Cependant, de larges réflexions restent à mener tant sur la partie humaine que sur la partie technique.

 

* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #21, p.88-90. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur totalité.