Post

Dans les coulisses du mixage TV

Peu souvent mis sur le devant de la scène, le mixage d’émissions de flux, TV réalités, magazines et documentaires n’en est pas moins une spécialité à part entière qui représente chaque année un volume important et se doit de remplir un cahier des charges spécifique. Du mixage à l’ingénierie en passant par la gestion technique, quelques professionnels du secteur s’expriment sur des questions aussi diverses que l’équipement, les méthodes ou encore les conditions de travail.*
FabriceChantome_OK.jpg

 

Lorsque l’on évoque le mixage TV, on peut penser mixage antenne ou encore mixage news, mais ces situations sont tellement spécifiques qu’elles mériteraient à elles seules un article dédié. C’est également le cas de la fiction télévisuelle qui s’apparente davantage à une déclinaison particulière du mix cinéma. Le cœur de notre sujet porte donc bien sur le mixage des émissions de flux, de magazines, reportages et autres documentaires. Ils sont mixeur, directeur technique, responsable d’une structure ou encore intégrateur et donnent leur ressenti sur cette industrie singulière…

 

Spécialistes contre généraliste

Pour des raisons de coût immobilier mais aussi de stratégie financière, les chaînes de télévision ont eu ces dernières années tendance à externaliser la postproduction de leurs émissions de flux. Si quelques structures indépendantes spécialisées dans le son arrivent encore à tirer leur épingle du jeu pour le mixage de documentaire, ou par le biais d’une spécialisation comme le film d’animation, le téléfilm ou le doublage, les données changent à mesure que l’on se rapproche des productions à flux tendu. Sur ce créneau, disposer de locaux situés à proximité des chaînes de télévision et proposer une prestation globale incluant montage image, mixage et PAD sont devenus des critères déterminants.

« Des prestataires comme Eliote ou Atlantis TV, proches géographiquement de TF1, Canal et M6, accueillent les chaînes et les productions en masse et assurent des prestations globales », analyse Jean-Christophe Perney, directeur du marketing et du développement chez CTM Solutions, qui a entre autres réalisé de nombreux projets pour les groupes TF1, Canal et Lagardère.

Parmi les poids lourds du secteur, on trouve effectivement Eliote qui assure quotidiennement le montage image, le mixage et le PAD de nombreux programmes pour TF1, M6 ou France 5, pour ne citer que quelques chaînes. Ses douze studios de mixage accueillent donc régulièrement des émissions comme “Koh-Lanta”, “Les Ch’tis”, “Les Marseillais”, “The Island” ainsi que les productions d’Arthur.

Autre spécialiste incontournable, CinéSon a installé dans les locaux d’Atlantis treize de ses studios qui prennent en charge le mixage de productions telles que Automoto, Bachelor, Chasseur d’appartements, “Danse avec les stars”, “Top Chef”, “90 min enquête”, “Les Princes de l’amour”, “E=M6” pour les chaînes de groupes comme TF1, M6, Canal ou la BBC.

Yves Zarka, son manager général qui, à ses heures, reste ingénieur du son, se souvient d’une époque pas si lointaine où dans d’autres lieux, les bandes master arrivaient par coursier : « Sachant qu’une émission pouvait valoir un million d’euros, j’ai rapidement compris qu’être situé à proximité du monde de l’image était capital. Aujourd’hui, c’est devenu incontournable, pour des questions de rapidité de transfert, mais aussi de sécurisation et de confidentialité. Certains clients qui, pour aller mixer, doivent passer du 38 (quai du Point-du-Jour) au 11 (rue des Peupliers à Boulogne-Billancourt, soit la rue à traverser, NDLR) ou encore monter du quatrième au cinquième étage, me disent parfois que ça fait loin ! ».

Même constat pour Fabrice Chantôme, mixeur free-lance, employé aussi bien sur de grosses émissions type “Fort Boyard” (les dix premières années) ou actuellement sur “Koh-Lanta”, que sur des programmes pour la jeunesse et de nombreux documentaires pour France Télévisions : « Il arrive de plus en plus que le montage soit modifié, et parfois au dernier moment. Nous avons donc de plus en plus besoin de réactivité, ce qui plaide pour que montage, mixage et finalisation s’effectuent à la même adresse. »

 

Exigence

En production télévisuelle, on parle souvent du son en tant que parent pauvre. Les preneurs de son se faisant plus rare sur les tournages, on peut se demander si la tendance ne serait pas « d’alléger » également l’étape du mixage : « Il y a bien eu des tentatives de confier le mixage audio au monteur image, lequel effectue une prise de son et un mix, généralement à la va-vite et dans des conditions loin d’être idéales tant en termes de traitement acoustique que de monitoring », résume Jean-Christophe Perney qui conclut : « La bande-son étant de médiocre qualité, le produit s’en ressent au final ! En revanche, on rencontre ce cas de figure en news dans certains cas, notamment lorsque la nécessité de véhiculer l’info au plus vite sur les écrans, prime sur la qualité… »

Les clients restent donc attachés à l’étape du mixage et s’attendent à un certain niveau de prestation : « s’ils viennent ici au mix, c’est pour avoir une qualité supérieure à ce que l’on obtient sur une station de montage », atteste Yves Zarka. « Lorsqu’il y a des voix témoins, elles sont quasi systématiquement refaites dans une cabine speak dûment isolée et traitée. Nous proposons ici un vrai confort de travail avec l’espace nécessaire, une vraie écoute et un traitement acoustique adapté. »

De son côté, Frédéric Scotti, directeur technique audio, mais également responsable de l’ensemble de l’ingénierie et de l’acoustique des studios chez Eliote, passe en revue les aménagements incluant traitement acoustique, conception de type « boîte dans la boîte », tissu au mur… « Outre le confort du canapé, le café, l’Internet haut débit et l’image HD, les clients attendent un environnement technique fiable, ce qui suppose une maintenance rigoureuse. »

En tant que mixeur free-lance, Fabrice Chantôme est, quant à lui, habitué à passer d’un studio à un autre, avec parfois quelques désagréments lorsque les aménagements n’ont pas été conçus par quelqu’un du métier : « Souvent l’esthétique est réussie, mais avec parfois des défauts de conception ou d’ergonomie. Il m’arrive de trouver en mixage des écrans informatiques placés sur le côté ou juste devant les enceintes, ou encore des cabines dotées d’une grande vitre, d’une table et de murs bien lisses qui donnent au final une acoustique bien trop réverbérante pour l’enregistrement de speaks. »

 

Moins cher et plus vite…

Plus exigeant que le montage vidéo et l’étalonnage en matière d’infrastructure et d’aménagement, le mixage est également régulièrement soumis à la pression sur les prix : « Les chaînes doivent acheter plus de produits pour un budget quasi inchangé », estime Jean-Christophe Perney : « Au niveau du montage image, les technologies étant moins chères et le montage s’étant vulgarisé, le prix de la prestation a grandement baissé. Pour le son, certains éléments sont incompressibles, notamment les coûts liés à l’infrastructure, car un audi de mix demande plus de volume, un minimum de traitement acoustique, de l’isolation, une cabine de speak si nécessaire. D’autre part, le savoir-faire lié au montage son et au mixage est plus spécifique que celui du montage image. »

Pour sa part, Yves Zarka constate que « moins cher et plus vite » font malgré tout partie des requêtes qui reviennent de plus en plus souvent dans des négociations parfois rudes, voire agressives dans certains cas : « Heureusement, sur certaines émissions de prestige comme “Danse avec les stars” ou “Top Chef” on peut quand même prendre un peu plus le temps pour faire les choses, mais pour la plupart des programmes de TV réalité, la situation est beaucoup plus tendue et chaque année, il faut revoir les temps de travail et les tarifs… ».

Le temps accordé pour un 52 minutes se situerait aujourd’hui autour de 14 heures pour un programme de TV réalité et entre dix heures et deux jours pour un documentaire, mais ce n’est bien sûr qu’une fourchette qu’il faut adapter à la nature du projet précise Fabrice Chantôme : « La tendance évolue plutôt à la baisse, mais en même temps, les outils sont plus performants, ce qui permet d’être plus efficace. Pour un doc de 52 minutes, ça peut aller d’une demi-journée à deux jours en fonction du degré de préparation et de la complexité. Personnellement, je pose régulièrement quelques questions pour affiner l’estimation, comme par exemple : Est-ce que les textes seront prêts avec le relevé des time-codes ? Y aura-t-il des traductions ? Faut-il maquiller les voix pour préserver l’anonymat des intervenants, y a-t-il des problèmes de son ou du nettoyage audio à effectuer ?… »

 

Pro Tools en quasi monopole

Sans grande surprise, la console audio a laissé progressivement la place à la station de travail épaulée par une surface de contrôle, pour des raisons de coût, mais aussi de rapidité et d’efficacité. Sur ce marché, Pro Tools représente, face à des outsiders comme Nuendo, Pyramix ou Fairlight au moins 95 %, estime Fabrice Chantôme qui revient sur les raisons de cette mutation : « En télévision, mixer avec une console audio devient presque impossible car les changements dans le montage image deviennent de plus en plus fréquents et sont bien plus complexes à gérer avec une automation de console. Disposer de la vidéo HD sur la station audio permet de retailler image et son en même temps, sachant que ces coupes se font le plus souvent plutôt en manuel qu’en auto-conformation… »

Ne serait-ce que pour ses fonctionnalités de montage vidéo intégré, mais également pour l’accès à des fonctions d’automation plus sophistiquées, le logiciel Pro Tools HD est de mise, parfois motorisé en HD Native, mais le plus souvent en HDX : « Nous devons minimiser la latence, car certains comédiens voix ne supportent pas le moindre retard dans leur retour casque », nous confie Frédéric Scotti qui, pour satisfaire les exigences de certains comédiens, a adopté une méthode particulière : « Comme les speakers souhaitent généralement un niveau élevé dans leur casque, nous utilisons directement la sortie casque intégrée à la surface de contrôle plutôt que de faire appel à un préampli casque externe, car le niveau est ainsi plus fort. De même, nous privilégions les anciens casques, car ils sont dépourvus de limiteur de niveau imposé par la nouvelle législation. »

Reste ensuite le choix de la surface de contrôle, qui varie en fonction du budget, mais aussi du travail à effectuer : « Je m’adapte en fonction de l’équipement et de l’exigence des programmes », nous confie Fabrice Chantôme : « Je peux aussi bien mixer sur un ensemble Artist Series, lorsque je travaille dans les locaux de productions comme TV Paris. Il faut juste que le nombre de faders soit suffisant (autour d’une vingtaine, NDLR) ou encore une C24, même si j’ai du mal avec la disposition de certaines commandes comme ces boutons, qui permettent de changer le type de l’automation, inexplicablement placés tout en haut de chaque voie… Par contre, pour une émission comme “Koh-Lanta” où je dois couramment traiter entre trente et quarante pistes, il faut au moins une D-Command 24 Faders. D’ailleurs, un contrôleur qui ressemble à une console, c’est un gain de temps au final, surtout sur les projets importants. »

Petit à petit, la nouvelle génération de contrôleurs audio chez Avid prend place dans les studios, même si l’Icon D-Command dont le rapport prix-efficacité idéalement placé n’a actuellement plus d’équivalent dans la gamme Avid actuelle, comme le constate Jean-Christophe Perney : « La D-Command en configuration 24 faders était proposée dans une fourchette de 20 000-24 000 euros. Pour une S6 M10 équivalente, il faut aujourd’hui plutôt compter entre 25 000 et 30 000 euros catalogue. Quand le client est contraint financièrement, il part plutôt sur une S3 qui, pour 6 000-7000 euros avec le Pro Tools-Dock, l’iPad et le logiciel iOS, s’approche de la philosophie de la S6.

Enfin, d’autres préfèreront la C24, un produit tout-en-un compact et doté d’un bon rapport qualité-prix. Elle reste une valeur sûre en production de flux et représente encore plus d’une vente sur trois dans ce secteur ! Après, il faut que l’ensemble soit cohérent : le mobilier technique, le préamp, le système d’écoute, la gestion de monitoring. Une surface Avid S6 mal installée avec un système d’écoute inadéquat ne sera pas aussi fonctionnelle qu’un duo Avid S3/Pro Tools dock bien intégré… »

 

Captation et monitoring

Pour la prise de son des voix en cabine, si le microphone à grande capsule de référence reste le Neumann U87, il est de plus en plus souvent remplacé par d’autres alternatives comme le Neumann M 149 pour les voix graves, les modèles à lampe de Brauner ou encore le Microtech Geffel M930.

Pas de consensus par contre du côté des préamplis micro où, suivant les studios, on rencontre des modèles signés AMS ou Rupert Neve, Chandler, Amek, Avalon, Millennia, Universal Audio ou encore Grace Design. En matière de monitoring, le 5.1 étant progressivement abandonné par les chaînes, les prestataires maintiennent éventuellement encore un studio capable de travailler en multicanal, mais la stéréo est la norme, avec des écoutes dont les types varient grandement en fonction des modes et des époques. Si Avantone et Auratone restent des références pour les petites écoutes de vérification, on trouve indifféremment des marques comme Genelec, Mackie, Dynaudio ou JBL.

« C’est très fluctuant et subjectif en fonction des modes, des renouvellements de gamme de la part des fabricants », résume Jean-Christophe Perney. « Aujourd’hui la demande de nos clients est plutôt orientée sur des enceintes Focal et Genelec avec leur process numérique DSP. »

Exigeant en la matière, Fabrice Chantôme fait le parallèle entre image et son : « Comme l’étalonnage demande un bon écran calibré, le monitoring son demande une écoute performante en matière de dynamique, de directivité, de spatialisation et de bande-passante. Depuis 2015, je travaille en 2.1 avec un caisson de grave, car j’ai besoin d’un système qui descende bas. En effet, même pour de la diffusion TV, je veux pouvoir entendre en intégralité des éléments comme la musique, les bruits de perche ou le bruit du vent afin de savoir ce que je dois enlever, et jusqu’où. Aujourd’hui, j’ai investi personnellement dans un ensemble Prosodia Zephyr (système français conçu par Patrick Thévenot, NDLR). Quand je peux, je me déplace avec et je n’hésite pas non plus à asservir Pro Tools à l’horloge de mon Antelope Eclipse ou Zen Studio pour retrouver plus de largeur stéréo, de grave et d’aigu. Ça s’entend sur les fichiers, mais aussi sur une télévision… »

 

Plug-ins : des standards éprouvés

Élément incontournable d’une station audio, le plug-in a remplacé les processeurs hardware analogiques et numériques et représente la base de tout traitement. D’un studio à l’autre, il y a, dans l’ensemble, des références qui se sont installées au fil des années et restent d’actualité en TV alors qu’en cinéma ou en musique, les usages évoluent davantage en fonctions des nouveautés. Ainsi, la trousse à outil standard du mixage télévision reste aujourd’hui construite autour de l’EQ III Avid et du Renaissance EQ Waves pour la partie égalisation et des Renaissance Compressor, C4, C6, L1 ou L2 pour le gros des traitements de dynamique, sachant qu’en appoint, les plug-ins appartenant aux bundle Waves Gold ou Platinum sont utilisés plus ponctuellement.

« C’est un peu daté et on a fait mieux depuis chez des éditeurs comme Eiosis, Flux ou Fab-Filter », confesse Fabrice Chantôme, tandis que Jeanne Gignoux, responsable studios chez CinéSon, donne quelques clefs permettant de comprendre ces choix : « Nous sommes obligés d’avoir des traitements assez standards dans toutes nos stations, pour des raisons de portabilité de session d’un studio à un autre, mais aussi parce que les mixeurs les connaissent déjà ».

Autre argument en faveur de ce conservatisme, le besoin pour certaines émissions de garder un rendu régulier et homogène sur plusieurs années, quel que soit le mixeur, et qu’il serait périlleux de remettre en cause : « Parfois, nous sommes obligés d’avoir une approche très rationnelle où l’on devient un peu “des industriels du son” », explique Yves Zarka qui poursuit : « Pour des questions d’homogénéité et d’efficacité, sur certains projets, tout est charté, depuis le nommage de la session jusqu’aux équilibres voix/musiques/FX. Pour “Les Reines du shopping” par exemple, on a démarré cette approche il y a quatre ans et nous avons même préparé des séquences entières où l’on retrouve les musiques et les effets récurrents déjà prémontés et prémixés qu’il faut juste caler. »

Enfin, la multiplication des plug-ins et des éditeurs pose également la question de la maintenance et du budget, comme l’illustre Jean-Christophe Perney : « Avec parfois jusqu’à dix, voire vingt éditeurs de plug-ins différents, maintenir une station audio à jour est devenue une tâche complexe. C’est une histoire de volonté, mais cela représente aussi un coût, car une simple mise à jour de plug-in peut parfois nécessiter la mise à jour globale de la station audio ! Ça peut vite devenir dangereux, surtout dans des situations de production journalière en flux tendu. Du coup, les clients fonctionnent plutôt par cycles de trois ou quatre ans. »

Plus récemment, sont venus se greffer dans le top 10 des plug-ins les plus utilisés, l’analyseur de Loudness VisLM et le limiteur True-Peak ISL de Nugen, tous deux utilisés pour la conformité EBU R-128 des PAD et qui tendent à remplacer les solutions matérielles, tandis qu’au rayon restauration et nettoyage des sons, c’est la suite Izotope RX5 qui s’impose haut la main.

Devant l’abondance de clics et de sons abimés ou pollués rapportés des tournages, de plus en plus souvent effectués sans preneur de son, la phase nettoyage est devenue quasi-incontournable, avec toujours le risque de « javelliser les directs » en enlevant des portions de signal utile : « Lorsqu’il n’y a pas d’ingé-son sur un doc, je peux passer 40, voire 50 % de mon temps à essayer de sauver des directs », relate Fabrice Chantôme. « On pourrait presque diviser le temps de mix par deux sur des produits simples et augmenter la qualité globale, car évidemment ce type de traitement n’est pas sans artefacts et demande de surcroît beaucoup de savoir-faire et d’expérience… » À bon entendeur…

 

Stockage centralisé

Historiquement, Pro Tools, avant la version 10, était difficile à associer à un stockage centralisé, car il demandait des accès disques très fréquents et se montrait gourmand en bande-passante. Le préchargement en cache des versions récentes rend l’intégration des stations audio Avid beaucoup plus facile aujourd’hui, d’autant qu’il s’accompagne d’une baisse des prix des solutions de stockage centralisé : « Parmi les prestataires indépendants, on constate encore un certain retard concernant les réflexions et l’équipement à propos du workflow global », juge Jean-Christophe Perney.

« On commence juste à voir des systèmes de stockage collaboratif, des échanges de sessions ou des banques de données audio (sonothèque, musique) mutualisées. Un produit comme Avid Nexis Pro proposé chez CTM Solutions à moins de 10 000 euros répond parfaitement à cette nouvelle demande. Une fois intégré, ce type de solution apporte un confort de travail et un gain de productivité qui devient indispensable. »

Pour Eliote et CinéSon, le pas a été franchi il y a quelque temps déjà. Yves Zarka se souvient des conditions de travail avant cette refonte du workflow : « Il nous arrive de travailler à trois studios de front pour la même émission et, avant le réseau, les assistants perdaient un temps fou pour retrouver la bonne version de chaque session entre les voix, la VI etc., sans parler de la perte de temps pour transférer d’un studio à un autre. Avec Vidélio Cap’Ciné, nous avons progressivement migré l’ensemble des studios son sur stockage centralisé Isis 1000 (aujourd’hui devenu Nexis Pro NDLR). »

Et Jeanne Gignoux, la responsable des studios de CinéSon, d’ajouter plus de précision sur l’archivage. « Nous utilisons trois NAS de 30 To sécurisés en Raid 6 où au delà de trois semaines en machine, une copie des Sessions avec tous les medias sauf la vidéo est effectuée ». Dans les studios CinéSon, tous les auditoriums ont accès au cœur de réseau d’Atlantis TV pour échanger les fichiers.

« Chez Eliote, les Auditoriums sont patchés sur tel ou tel serveur en fonction des productions », explique Frédéric Scotti. « Bien que tous les tests effectués aient toujours été positifs, nous préférons par précaution rapatrier l’audio en local sur les disques Thunderbolt attachés au Mac Pro afin d’éviter tout risque d’écroulement du réseau. Il faut savoir que sur un programme comme Koh-Lanta, il peut y avoir jusqu’à une vingtaine de monteurs qui travaillent de front… On récupère le final non étalonné en HD depuis le serveur. Nous utilisons principalement le Codec DNxHD pris en charge par des interfaces BlackMagic UltraStudio 4K ou Nitris DX pour sortir la vidéo sur écran LCD 55” ou 60”. En fin de mix, le programme passe au PAD où il est vérifié. La livraison à la chaîne du projet dématérialisée s’effectue ensuite via fibre noire. »

 

Audio sur IP et télétravail

Dès que le son a besoin de voyager sur de longues distances, l’audio sur IP s’impose comme c’est le cas en installation fixe, en sonorisation ou dans les cars-régie. Bien que les prestataires que nous avons rencontrés n’aient pas encore franchi le pas, c’est pour Jean-Christophe Perney, une piste à étudier pour le mixage TV et la postproduction en général.

Pour lui, « l’audio sur IP apporte plus de rapidité, de souplesse et une meilleure occupation des studios ; en un mot, elle permet d’optimiser les équipements et les ressources telles que micro, cabine speak, monitoring, interfaces audio afin de mieux répondre à la demande du client. Dès qu’il y a l’opportunité de recâbler ou de créer de nouvelles régies, il faut évidemment avoir une réflexion autour des possibilités de l’IP, repenser le câblage, l’infrastructure, l’organisation des studios comme nous l’avons fait il y a deux ans pour le groupe NRJ Radio dont tous les moyens sont devenus accessibles sur grille IP grâce à des interfaces FocusRite Rednet compatibles Dante associés aux systèmes Avid Pro-Tools. On commence d’ailleurs maintenant à effectuer ce type d’aménagements pour des studios de doublage et de postproduction. Le fait d’avoir des surfaces de contrôle câblées en Ethernet apporte également une souplesse inédite. Par exemple, un audi équipé avec une petite Artist Mix peut accueillir très rapidement une surface plus sophistiquée type S3 ou une S6 selon les besoins. Cette mobilité était juste impensable il y a seulement quelques années puisque la console était câblée en audio et on ne pouvait pas la bouger. D’autre part, si la plupart des ressources sont accessibles depuis le nodal et que la surface de contrôle peut bouger d’une régie à l’autre, il devient alors bien plus facile d’effectuer la maintenance et les mises à jour sur les systèmes sans impacter l’activité. »

Au-delà de la technologie, l’idée que par exemple le comédien voix – ou le mixeur – puisse travailler depuis chez lui dans un studio aménagé, louant ainsi une prestation complète au production, fait son chemin. Mais les infrastructures et les mentalités sont-elles prêtes ?

Nicolas d’Aram de Valada, directeur technique de CinéSon, évoque une première expérience effectuée sur “Un Dîner presque parfait”, émission diffusée de 2008 à 2014 sur M6, puis sur W9 où la voix-off assurée par Lorenzo Pancino était enregistrée depuis Bordeaux via une ligne haut-débit, procurant ainsi un meilleur confort de travail pour le comédien voix, sans compromis sur la qualité audio.

Mais attention, tempère Yves Zarka : « L’interactivité entre le client et le comédien voix reste incontournable pour la plupart des projets et cela demande des moyens techniques adaptés. Je ne crois pas au speaker qui, pour économiser sur ses temps de transports, enregistre chez lui tout seul sans pouvoir être dirigé. »

Frédéric Scotti voit de son côté d’autres freins au travail à distance : « Les productions ne sont pas prêtes, pour des raisons de rapidité, de confidentialité et d’interactivité entre les équipes, sans oublier le débit disponible qui pour l’instant n’est pas encore suffisant… » Pourtant, le prix du mètre carré à la hausse dans le centre des grandes villes, les temps de transport, la pollution sont autant de facteurs qui plaident en faveur de cette remote production d’un nouveau genre.

« Tant que tout le territoire ne sera pas fibré avec des connexions stabilisées en débit, le “remote travail” restera marginal », concède à son tour Jean-Christophe Perney. « Après, les freins seront sans doute d’ordre législatif ou sociétal… En tout cas, nous avons déjà, parmi nos clients, des mixeurs ou des monteurs son qui investissent dans leurs outils de travail. Aujourd’hui, ils se déplacent avec, mais demain, on peut penser qu’ils ne se déplaceront plus. Nous avons d’ailleurs, parmi nos clients, plusieurs cas d’usages au quotidien de travail ou de collaboration à distance entre plusieurs plates-formes de postproduction. »

 

* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #21, p.30-34. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur totalité.