La passion du cinéma français à Richmond, Virginie

Le French Film Festival, qui se tient à Richmond en Virginie, fêtait cette année son 25e anniversaire. Un événement vraiment à part dans la galaxie des festivals qui tient avant tout sur l’engagement de ses deux fondateurs, défenseurs et amoureux du cinéma : Françoise Ravaux-Kirkpatrick et Peter S. Kirkpatrick. Cette année, le French Film Festival était précédé d’un symposium de trois jours autour de la technologie, de l’esthétique, de la narration avec des intervenants prestigieux, dont les réalisateurs Jacques Perrin, Henri Selick et le compositeur Bruno Coulais.
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Le French Film Festival repose sur la passion de ses deux initiateurs, Françoise et Peter, mais aussi sur le soutien indéfectible de la CST (Commission supérieure technique) et de dizaines d’étudiants français et américains. Cette initiative ne tient que par la passion, celle des films, de la France, mais aussi celle du partage entre les équipes qui viennent présenter leurs films et les spectateurs. En effet, chaque film se conclut par une séquence de questions-réponses avec le public américain, sans doute pour l’occasion le meilleur public au monde.

Vingt-cinq ans obligent, le Festival, encore plus dense que d’habitude, comprenait un cycle de conférences de trois jours. Parmi les nombreuses conférences, l’une rassemblait Christian Guillon, Gérard Krawczyk et Pierre-William Glenn, une confrontation amicale autour du regard des spectateurs sur l’évolution technologique et sur les changements éventuels que cette digitalisation peut entraîner sur la perception des films.

Pierre-William Glenn prenait la posture du défenseur du grain d’argent : « Mon point de vue personnel est que le passage au numérique, commencé il y a une dizaine d’années, a été un problème engendrant une régression artistique. Ce fut la même chose pour le passage du muet au parlant avec de nombreuses contraintes pour l’enregistrement sonore, ainsi qu’au passage à la couleur, avec des caméras de 90 kg et une sensibilité de 5 ASA qui exigeait un éclairage phénoménal pour impressionner la pellicule. Il y a eu quelques années de recul avant que les choses ne se stabilisent. Puis les caméras se sont allégées, avec le 16 mm et les enregistreurs Nagra. Cela a donné naissance à la nouvelle vague.

‘’ Le passage au numérique, c’est 10 ans de régression. Les constructeurs ont essayé de vendre une technique commerciale qui n’arrivait pas à égaler une caméra 35 mm. Depuis quatre ans, nous disposons enfin de caméras de qualité identique voire supérieure aux caméras 35 mm. Sur un film français, nous sommes passés de 40 h à 400 h de rushes ; nous avons perdu cette discipline et cela a amené des confusions sur les valeurs du cinéma. »

Volontairement polémique, Pierre-William Glenn a suscité les réactions des deux autres conférenciers entrés dans l’arène : « Il ne faut pas être dans le subjectif ; la base est que les réalisateurs veulent faire des films. La nouvelle vague n’est pas une régression esthétique, il s’agit d’une nouvelle esthétique. Le numérique a introduit autre chose », souligne le réalisateur Gérard Krawczyk.

Ce dernier était venu d’ailleurs présenter à Richmond une exposition photographique originale intitulée « 1 image out of 140 000 » qui part d’une photo réalisée avec un téléphone par Gérard Krawczyk ces dernières années ; sous le tirage photo, une idée de scénario et une musique originale étaient proposées. Libre à chacun d’imaginer la suite…

Christian Guillon, maître ès numérique, a également réagi : « Il y a une ambiguïté fondamentale à parler du numérique de manière générique. Ce dont parle Pierre-William, c’est la captation numérique. Le numérique, c’est aussi la création par ordinateur. Le passage au numérique pour la captation n’a pas forcément apporté une véritable évolution. La régression est dans l’ergonomie de tournage. Pour le spectateur, pour l’industrie du cinéma, ces évolutions ne sont pas une régression.

‘’ Le passage au numérique a plus été une douleur, avec une qualité qui n’était pas celle du 35 mm. Tout est une question de transition. C’est dans la nature humaine d’avoir peur du changement. Pendant 10 ans, nous avons inventé des solutions pour mélanger les technologies numériques dans les filières du cinéma. Pour les effets visuels, nous avions du mal à intégrer proprement les images dans la filière argentique.

‘’ Aujourd’hui le processus de création est devenu aussi simple. On peut désormais créer des images sans prise de vue, on peut créer des mouvements sans image avec la Mocap. On enregistre les phénomènes du réel pour le recréer. Dans la stratégie de création d’un metteur en scène, on intègre la postproduction. »

La Prévisualisation On Set

Une autre conférence présentait les technologies de « Previz On Set », notamment un atelier mené à l’École Louis-Lumière. Francine Lévy, directrice de l’école, et Christian Guillon présentaient le dispositif technique et les objectifs de ce projet.

« La Prévisualisation On Set (Previz) est utilisée pour des films hybrides qui visent à combiner le film en temps réel et des images de synthèse. Le Previz implique l’utilisation d’une technologie qui fournit au réalisateur et à l’équipe une visualisation plus ou moins complète de la combinaison tournage en direct avec des éléments 3D fixes ou animés. Le Previz représente un mouvement potentiellement disruptif dans l’industrie cinématographique », a introduit Francine Lévy.

Lors d’un tournage réel sur fond vert, le Previz On Set est une aide précieuse, car il permet de percevoir le résultat final. Pour cela, la caméra est équipée de marqueurs qui en récupèrent les données (focale, mouvement) et les synchronisent avec les images de synthèse. Un moteur de rendu permet de calculer les images de synthèse du déplacement de la caméra et d’afficher en temps réel l’image composite (réel et virtuel).

Élément important du dispositif, la carte de profondeur permet d’enregistrer dans l’image la distance de l’objet entre la caméra et l’espace. Ce qui permet ensuite de rajouter des éléments graphiques devant ou derrière l’objet. La Previz On Set, ce ne sont pas des images définitives. Il est possible pour le chef opérateur de faire la lumière en direct.

Pour créer la carte de profondeur dans le cadre de ce projet, un dispositif hybride, intégrant la technologie Kinect de Microsoft et la technologie de photogrammétrie, a été mis en place. Pour que les comédiens puissent se familiariser avec les décors virtuels, il est possible de les faire répéter avec des masques VR. Dans le futur, il sera possible d’imaginer que la Previz soit un axe de développement avec la fabrication des contenus finaux lors du tournage, notamment pour des fictions TV, avec des principes de prises de vues plus simples.

« Nous ne sommes pas loin de basculer d’une image filmée à une image calculée. Le garant du réalisme qui était contenu dans l’image réelle peut être donné par des événements réels que l’on injecte dans le virtuel (Mocap) », insiste Christian Guillon.

La lanterne magique

Prélude à la soirée exceptionnelle organisée par Laurent Mannoni et Laure Parchomenko avec les Lanternes Magiques, au Byrd, ces derniers ont assuré lors du symposium une conférence sur l’histoire fascinante des lanternes magiques.

La lanterne magique est l’ancêtre du projecteur, et plus particulièrement du projecteur de diapositives. Son invention est attribuée à l’astronome Christian Huygens au XVIIe siècle. La lanterne était en bois ou en métal et la source lumineuse était à l’origine produite avec une bougie ou de l’huile. Les images peintes ont été remplacées, ensuite, par des images cinématographiques.

Tous les sujets ont été traités avec la lanterne magique (portrait politique, sciences naturelles, voyage, conte de fée, image érotique, religion et même franc-maçonnerie). La cinémathèque française a la plus grande collection de lanternes magiques et de plaques au monde (25 000 pièces, catalogue accessible ici). Il existe des modèles pour les enfants et des modèles professionnels qui permettent de créer des effets de fondus avec des lanternes à trois images.

La super-imposition est une spécialité de Méliès, qui était lanterniste avant d’être cinéaste. Certains effets ont été repris par le cinéma (et Méliès) comme le travelling optique sur une image. Des hommes célèbres comme Voltaire faisaient des séances de lanterne magique, et Balzac ou Marcel Proust en parlent dans leurs œuvres littéraires.

En France, la lanterne s’appelait la Lanterne de la Peur. Le thème du squelette était récurrent. Les représentations étaient faites dans les cabinets de curiosité ou par des démonstrateurs « camelots » qui traversaient toute la France dans ce but.

La Fantasmagorie est un intervalle à part dans l’histoire de la lanterne magique. Une période de 15 ans ; elle apparaît en fin de XVIIIe siècle. Après le Siècle des Lumières et après un moment apaisé, la lanterne retrouve sa place de Lanterne de la Peur. Dans cette atmosphère violente, naît la Fantasmagorie : spectacle vivant et violent qui a pour but d’effrayer.

Le grand public ne connaît pas les lois de l’optique et dans ce spectacle la Lanterne, cachée derrière l’écran, permet de créer des images en mouvement (la lanterne est montée sur un rail qui permet de faire grandir l’image). À ces images sont parfois associés des gaz hallucinogènes, des arcs électriques, de la fumée et des acteurs déguisés. La Fantasmagorie s’arrête, car les secrets sont révélés vers 1810. Petit à petit la lanterne magique décline, remplacée par le cinématographe, fin XIXe.

Invité spécial, le réalisateur Henry Selick est venu parler de son œuvre, d’ailleurs inspirée des technologies de lanterne magique et des ombres chinoises. « J’ai été influencé par le travail de Ray Harryhausen, et de son fils spirituel, Phil Tippett. Tout m’a amené vers l’animation. Il y avait deux écoles d’animations aux États-Unis, et je suis allé à CAL ARTS au sein de la section cinéma expérimentale. »

Le premier court-métrage de Henri Selick – Seepage – est un film fait en stop motion avec des personnages de papier articulés, mais aussi du dessin, avec une animation traditionnelle. Un film long et prétentieux, comme le définit lui-même Henry Selick, mais avec des idées originales en termes d’animation et de graphisme.

« Il était difficile de continuer sur le cinéma expérimental, et à ce moment Disney a été intéressé par mon travail. J’ai travaillé à Disney et j’ai rencontré des talents extraordinaires comme Tim Burton et John Lasseter. »

Chez Disney, il participe à Peter’s Dragon, Rox et Rouky… « Chez Disney à cette époque, personne ne savait quelle direction prendre et j’ai décidé de partir ». Il obtient une bourse du National Endowment of Arts, et travaille en free-lance à San Francisco. Il crée des habillages et une série d’animation pour MTV, Slow Bob in the Lower Dimensions.

Cette série attire Tim Burton qui avait également quitté Disney et avait, depuis, réalisé ses premiers succès. Toutefois, Tim Burton est à nouveau appelé par Disney qui, à son tour, propose à Henri de collaborer sur un projet commun. Henri Selick réalise alors The Nightmare Before Christmas d’après une histoire originale de Tim Burton.

« Nous voulions faire des choses ambitieuses, avec des mouvements de caméra et donc ne pas faire de l’animation classique, mais partir vers le stop motion. Nous avions des ingénieurs de Lucas Film, pour programmer les mouvements de la caméra par informatique. Il y avait 17 plateaux qui travaillaient en même temps, et parmi les autres innovations nous avions des retours vidéo pour l’animation, avec une mémoire de deux images qui reprenait un flux vidéo du viseur des caméras 35 mm. Il y avait des effets opérés directement dans la caméra avec de la surimpression. Ce mélange des genres était formidable », insiste Henri Selick.

Après James et la pêche géante, il réalise Coraline 2009 – en stop motion et en relief. Le film est tourné en numérique, et des imprimantes 3D sont utilisées pour créer les expressions des acteurs. Depuis, Henri Selick a commencé un projet The Shadow King, mais malheureusement le projet a été abandonné, jugé trop « noir » par The Walt Disney Company qui y avait pourtant déjà investi 50 millions de dollars. Henri Selick a obtenu l’autorisation de continuer le film, mais pour le moment il s’est attelé à d’autres projets.

Bruno Coulais a composé la musique de Coraline. Ce dernier, invité également du French Film Festival, a participé à une master class ; il débute ainsi : « Ma carrière de musicien de film est un malentendu – je n’aimais pas spécialement le cinéma ; j’aimais la musique et surtout la musique contemporaine ».

Pendant ses études musicales, Bruno Coulais fait un stage dans un auditorium parisien, il y rencontre le célèbre documentariste François Reichenbach, qui lui demande d’écrire la musique d’un documentaire. « Les rencontres sont fondamentales et peuvent changer votre vie. J’ai eu alors la révélation du cinéma avec la chance à Paris d’avoir accès aux cinémas du monde et j’ai découvert l’histoire du cinéma. Le cinéma m’a ouvert sur le monde ; si j’avais été un compositeur de musique, je n’aurais sans doute pas quitté ma chambre. »

Parmi les œuvres qui ont marqué Bruno Coulais, La Nuit du chasseur de Charles Laughton : « Cette musique est extraordinaire, car elle suspend le temps. La musique est comme un personnage qui arrête le temps et elle semble protéger les enfants. L’enfance n’est pas une période si douce. »

Bruno Coulais poursuit : « J’aime faire commencer la musique sur un mouvement discret, un son. Pourquoi mettre de la musique sur un film. La discussion avec un réalisateur est variable. Aujourd’hui j’ai un sixième sens qui me permet de voir si je vais m’entendre avec le réalisateur ; et si je sens que le courant ne passe pas, alors je refuse le projet. Je n’aime pas la musique qui est redondante à l’image. Quand j’ai commencé à travailler, il n’y avait pas la possibilité d’avoir les images en vidéo pour les regarder et composer. Il fallait aller dans la salle de montage et prendre des notes. Cette distance permet d’avoir une autre mémoire de l’image. La musique a un pouvoir de manipulation sur une séquence. Il doit y avoir une forme de regard moral du compositeur sur l’image. On peut manipuler les images ; il ne faut pas trahir le film, mais on peut trahir le réalisateur – le film est le maître. »

Lors de cette présentation, Henri Selick est revenu sur l’histoire de sa rencontre avec Bruno Coulais, « C’est en écoutant la musique de Microcosmos que j’ai découvert la musique de Bruno et que j’ai voulu travailler avec lui. À Hollywood, la manière de composer consiste à utiliser des musiques existantes, faire son montage ainsi et ensuite de payer très cher un compositeur qui va copier plus ou moins la musique utilisée ; par conséquent la musique n’est pas originale, elle est pressentie et trop académique. Bruno m’a tellement transmis, j’ai toujours été heureux du travail qu’il a accompli. La musique a donné de la force au film. Et elle m’a donné du courage, de refuser par exemple de couper certains plans que le producteur jugeait trop sombres. »

Bruno Coulais, à son tour, a parlé de leur collaboration d’une phrase : « Coraline est le genre de film que j’ai toujours attendu ! »

Autre collaboration importante, celle de Bruno Coulais et de Jacques Perrin : « J’adore les villes, le béton ; la perspective d’un week-end end à la campagne me rend malade, mais j’ai fait confiance à Jacques Perrin. J’ai tout fait pour limiter les commentaires dans Microcosmos, qu’il n’y ait rien d’explicatif. Le film s’est avéré plus difficile que je ne le pensais. La musique devait arriver comme des sons de la nature. J’ai voulu créer un monde féérique, fantastique. Cette grâce de l’infiniment petit, je l’ai trouvée avec Bruno Coulais. Parfois la musique et le son ont le pouvoir de grossir l’image, par exemple deux insectes qui se battaient devenaient des titans. Après cette participation, Bruno Coulais est devenu un membre de la famille Galatée », relate Jacques Perrin, invité d’honneur du Festival qui projetait nombre de ses films, dont Les Saisons.

 

* Extrait de notre article paru pour la première fois dans Mediakwest #22, p. 76-79Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


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