La CST, partenaire technique du Festival de Cannes depuis 1983

Loin des paillettes, les hommes de l’ombre de la CST (Commission supérieure technique de l’image et du son) veillent sur la qualité technique des projections durant tout le Festival de Cannes. Angelo Cosimano, président de la CST, nous explique leur mission !
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Mediakwest : Comment est né ce partenariat ?

Angelo Cosimano : Comme souvent, suite à une crise ! À l’ouverture du nouveau Palais, lors du Festival de 1983, au vu du nombre d’incidents techniques de projection, Gilles Jacob a décidé de nous confier la supervision technique avec pour mission essentielle : que cela ne se reproduise pas ! À ce jour, je crois que nous remplissons cet objectif chaque année.

Il faut se souvenir de la révolution qu’a été le passage de l’ancien Palais à celui que l’on connaît aujourd’hui. La configuration cinéphile et romantique du Festival d’avant 1983, avec une approche facile des gens de cinéma et des nombreux passionnés, a sans doute disparu dans ce grand vaisseau où se déroule le Festival contemporain. Il a donc fallu s’adapter en permanence.

Gilles Jacob a parfaitement su gérer les rapides changements de paradigme de cette époque : l’explosion des télévisions qui souhaitaient être toujours plus nombreuses, l’expansion du marché du cinéma qui allait de pair, la médiatisation devenue indispensable au succès du Festival. Chacun de ces nouveaux événements exigeait plus de rigueur et plus de savoir-faire. Nous nous sommes toujours inscrits sur cette ligne, c’est pourquoi ce partenariat est devenu, on peut le dire, une part essentielle de notre ADN.

 

M. : Quel est le rôle de la CST ?

A. C. : Notre rôle a toujours été de superviser les équipes chargées des projections, d’être le conseiller technique pour les nouvelles technologies et d’assurer le suivi pendant tout le Festival de la qualité des projections, d’en être le garant. En 1984, avec le 35 mm, les contraintes étaient paradoxalement moindres, c’était relativement simple. Nous avions à garantir que la messe serait bien dite, c’est-à-dire que la projection aurait lieu sans incident. C’était cela le partenariat de départ. Au fil des années, et surtout avec l’arrivée du numérique, notre rôle est devenu plus important, notamment grâce à la croissance très importante du Marché du Film.

On peut dire que le Festival de Cannes est un immense multiplexe d’environ une cinquantaine de salles par an, où l’on passe des films toute la journée, différents d’une heure à l’autre. La CST supervise toutes les installations de ces salles, car il n’y a pas d’équipements dans les cabines de projection sur ces espaces dédiés, excepté les salles dans les cinémas de la ville. Une quarantaine de projecteurs sont donc installés dans toutes les salles du marché du Palais, quelquefois ailleurs et nous n’avons qu’une grosse semaine pour faire réaliser ces installations.

 

M. : En numérique, est-ce plus compliqué qu’avec la pellicule ?

A. C. : En numérique, contrairement au support film qu’il suffit de vérifier « physiquement », la seule réception d’un disque dur ne suffit pas. Il nous faut vérifier l’intégrité du DCP, s’assurer que le KDM arrivera également et qu’il concernera la bonne version, ainsi que la salle dédiée à la projection. En soi, rien de compliqué pour quelques films. Mais le Festival et le Marché, ce sont 1 200 films projetés parfois plusieurs fois dans des versions différentes, 2 000 séances de projections sur 12 jours dans 50 salles différentes. Faites le calcul ! Un seul objectif impératif reste : toutes les projections doivent avoir lieu.

Nous avons donc dû développer une architecture informatique pour nous aider à parvenir à ce résultat car, comme il n’existe qu’un seul Festival de Cannes et que le Marché du Film est le plus important au monde, il n’existe aucun outil technologique sur le marché destiné à remplir cet office.

Alors, même si nous n’avons pas la puissance d’une grande entreprise de développement de logiciels, nous avons beaucoup travaillé pour fabriquer un système d’information des projections, CanHelp, que nous améliorons chaque année. Plus exactement, c’est Hans-Nikolas Locher, notre directeur du développement, qui l’améliore à partir de l’expérience acquise au fur et à mesure.

C’est un développement quasi permanent, mais qui repose sur une très courte période d’utilisation ce qui, dans le monde informatique, est un peu schizophrénique. Nous devons anticiper ce qui pourrait intervenir à la suite des modifications des versions logicielles des projecteurs et des serveurs afin de ne prendre aucun risque. Nous ne sommes pas dans l’expérimental, mais dans la réussite de notre mission. Pour cela, les partenaires du Festival de Cannes, Christie et Dolby, sont des interlocuteurs indispensables et je dirais presque familiaux.

En fait, le plus important, en dehors des très longues journées pendant le Festival, reste la préparation faite par les permanents de la CST, et qui doit être la plus précise possible car nous n’avons aucun filet de sécurité. Une fois sur place, les jeux sont presque faits.

 

M. : Combien êtes-vous pour effectuer toutes ces opérations ?

A. C. : Nous avons une équipe de cinq techniciens super compétents qui travaillent à plein temps pendant le Festival et deux qui travaillent très longtemps en amont, sous la conduite d’Eric Chérioux, notre directeur technique qui est le superviseur du Festival de Cannes au sein de la CST, et qui s’y consacre pratiquement six mois sur douze. Dès la fin du Festival, nous redémarrons la préparation du prochain « Cannes ».

 

M. : Dans quelle mesure le réalisateur peut-il contrôler la qualité de la projection de son film ?

A. C. : Pour les films projetés dans la salle Lumière, chaque nuit, nous assurons une courte répétition en présence du réalisateur et de son équipe s’il le souhaite, généralement la veille de la projection officielle. La salle Lumière est réglée aux normes internationales, celles que nous pouvons retrouver dans la plupart des salles d’étalonnage du monde entier. Donc, en dehors de très rares demandes concernant la luminosité, rien à signaler ! Par contre, en matière de niveau sonore, le grand paquebot doit être apprivoisé et découvert. C’est un peu plus long, mais toujours très enrichissant, pour nous comme pour les équipes de films. Je peux dire que, pour les équipes de films, ces répétitions conservent une forme de magie qui demeure très émouvante, pour eux comme pour nous.

 

M. : Profitez-vous du Festival pour tester de nouveaux équipements ?

A. C. : Non, nous ne prenons pas de risque, ce n’est pas un endroit où l’on fait des tests sur de nouvelles machines. Nous cherchons une vision « très long terme » des équipements et de leur pérennité. Le Festival de Cannes est une organisation qui fonctionne parfaitement bien, compte tenu de toute l’ampleur de la tâche, qui a moins de deux mois après la sélection officielle pour assurer une logistique concernant des centaines d’invités et des dizaines de milliers de festivaliers. C’est beaucoup de planification et je reste très admiratif de leur travail et de leur dévouement.

Côté technique, avec les équipes présentes lors des projections officielles, il y a 10 permanents de la CST pour superviser les 300 projections des 70 films des compétitions officielles (à l’exception de la Quinzaine des Réalisateurs) et les 1 600 projections des 1 000 films différents du Marché du Film, le tout donc sur 50 salles. Autant dire que l’équipe de techniciens que nous supervisons est très talentueuse ! Cerise sur le gâteau, Jean-Baptiste Hennion, un des piliers de la CST, dirige l’équipe d’installation et de maintenance du Festival, afin que l’exigence et la qualité restent nos préoccupations de chaque instant.

 

M. : Quelle est l’importance du Marché du Film ?

A. C. : Essentielle et fondamentale. Comment le cinéma pourrait-il vivre sans succès économique ? Le Festival a besoin de financement et le Marché du Film est une des pierres angulaires de toute son organisation. Personnellement, au-delà de son rôle économique si précieux, je vois également dans le travail réalisé par le Marché – un travail si discret qu’il est trop souvent oublié – une fonction artistique très complémentaire avec celui du Festival. En donnant l’occasion à des films fabriqués hors des sentiers coutumiers de se montrer à d’éventuels acheteurs, le Marché du Film fait bien œuvre de passeur de films. Je n’oublie pas que j’ai découvert Mad Max dans une salle du Marché la même année où Apocalypse Now et Le Tambour ont remporté la Palme d’Or.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #34, p.112/113. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.