Quels choix techniques pour les images de Lucy, prochain long métrage de Luc Besson ?

Lucy, le prochain film de Luc Besson sortira dans les salles en août prochain. Ce film, qui représente le plus gros budget consacré à un long-métrage par le réalisateur et producteur de Nikita, Le Cinquième Élément ou encore d’Arthur et les Minimoys a été tourné avec la Sony F65. Thierry Arbogast directeur de la photographie (membre de l’AFC ) sur plusieurs des films de Besson, dont dernièrement la trilogie des Arthur, Malavita, nous parle de son expérience de tournage...
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Comment avez-vous choisi la F65 pour ce film ?

 

Luc Besson a peu tourné en numérique jusqu’à présent, juste quelques plans par-ci, par-là, mais jamais un film en entier. Pour Lucy, il voulait franchir le pas. Nous avons donc procédé à des essais comparatifs sur les trois caméras phares du moment, à savoir, la RED Epic, l’Arri Alexa et la Sony F65.

 

 

Après la projection des tests, nous sommes tous tombés d’accord pour dire que la F65 était visuellement supérieure aux deux autres caméras. Le naturel des ses images nous a unanimement séduit.

 

 

Lors de la projection des tests, c’est Luc Besson qui a pris la parole en premier, et pour lui il n’y avait pas de doute, la F65 sortait du lot. Il a été très attiré par la fidélité de la colorimétrie : les couleurs étaient vraiment là et les carnations nous sont apparues très naturelles.

 

 

…Au final, nous avons quand même tourné avec les trois caméras pour différentes raisons, les autres modèles offrant notamment l’intérêt d’un encombrement moindre.

 

 

Pour résumer les avantages respectifs de ces caméras, on peut dire que l’Alexa dispose de la meilleure plage dynamique, la F65 offre le meilleur rendu des couleurs et l’EPIC le plus de légèreté.

 

 

Avez-vous tourné en 8K ?

 

Non, nous avons travaillé en 4K. Nous étions conscients d’avoir une Formule 1, mais nous ne voulions pas trop appuyer sur le champignon ! Pour ce film, le 8K n’était pas une nécessité, d’autant plus que Lucy sortira en 2K dans la plupart des salles.

 

 

Bien sûr, il y a des projections de prestige prévues en 4K, mais les copies d’exploitation seront en 2K.

 

 

Le département des effets spéciaux était très satisfait des fichiers 4K que nous leur avons fournis. Je pense que le 8K aurait augmenté considérablement leur temps de calcul.

 

 

Le 8K est évidemment une bonne chose en soit car on dit toujours qu’il vaut mieux partir du plus haut pour redescendre et bien sûr on aurait pu obtenir un meilleur fichier 4K à partir d’un fichier 8K. Dès la préparation du film, j’ai insisté auprès de Luc pour tourner en 4K. À ce moment-là, les premiers écrans et téléviseurs 4K pointaient le bout de leur nez. La dynamique 4K est déjà là, peut-être plus aux États-Unis qu’en France, mais elle est partie.

 

 

Comment avez-vous exposé la F65 ?

 

En règle générale, l’ingénieur de la vision ou le DIT gardait la main sur le diaphragme avec une commande à distance. Avant le plan, on discutait de l’effet recherché et d’un commun accord, on définissait la meilleure exposition. Je lui précisais, par exemple, si je voulais laisser exploser les fenêtres ou pas, le niveau des noirs, où se trouvait le key-light, entre autres.

 

 

Après, si des changements de diaphragme étaient nécessaires pendant la prise, c’était lui qui les assurait en gardant un œil sur la courbe du moniteur.

 

 

À quelle sensibilité avez-vous travaillé ?

 

J’ai travaillé à la sensibilité nominale de la caméra, c’est-à-dire à 800 ISO. Et je trouve que la sensibilité de la F65 est assez juste quand j’affiche sur ma cellule 800 ISO. Nous avons fait des tests à Pigalle, la nuit, avec les trois caméras, les sensibilités de la F65 et de l’Arri Alexa étaient très proches, tandis que celle de la RED Epic est bien en-dessous.

 

 

Quel a été votre ressenti vis-à-vis de l’ergonomie ?

 

C’est Luc qui cadre toujours ses films. Il pourrait mieux vous répondre que moi. Mais tout comme la F35, on n’est pas devant une caméra à priori séduisante du point de vue de l’ergonomie. Et, il est clair qu’on aurait préféré une caméra plus compacte, bien que grâce à sa conception, la F65 soit bien plus équilibrée à l’épaule qu’une RED Epic…

 

 

C’est une caméra surprenante surtout par sa légèreté. Malgré ses formes rondes et son allure imposante, elle reste une caméra assez légère, et ce grâce, je présume, aux matériaux qui la composent. À mon avis, son poids est quasiment identique à celui d’une Alexa, bien que leur volume soit évidemment très différent. (NDLR : moins d’un kilogramme sépare le poids de ces deux caméras équipées des modules d’enregistrement RAW : 13,5 kg pour la F65 et 12,6 kg pour l’Alexa).

 

 

Avez-vous utilisé les filtres neutres internes ?

 

Oui, ils nous ont été très utiles. Leur mise en œuvre est extrêmement rapide et ils éliminent une surface en verre devant l’objectif. On a juste regretté par moments qu’ils démarrent au ND0.9. Nous aurions parfois aimé avoir un ND0.6 ou un ND0.3. Mais le choix de Sony peut se comprendre, car on utilise principalement les filtres neutres à grande densité que quand il y a de vrais grands changements de lumière.

 

 

Avez-vous tourné à 120 i/s ?

 

Nous avions très peu de plans en grande vitesse, juste pour les effets spéciaux. Nous avons fait des plans de foule à 100 i/s et à des vitesses d’obturation très rapides allant jusqu’à 45° pour éviter des problèmes de filé. Et là, la sensibilité de la caméra m’a beaucoup aidé. La séquence était tournée en studio, en recréant la lumière du jour. J’avais un HMI 24K pour le soleil et deux HMI 18 K en ambiance pour couvrir un plateau de 250 m2, et je me suis retrouvé à pleine ouverture. Je n’aurai jamais pu le faire avec une caméra moins sensible.

 

 

Quelles optiques avez-vous utilisé ? Et avez-vous eu besoin de filtrer ?

 

En règle générale, Luc ne filtre jamais avec des diffuseurs. Il aime bien une image nette, sans filtre diffuseur. J’essaye de choisir alors des objectifs qui ne soient pas trop durs, comme par exemple les Cooke S4 qui sont assez doux, ronds et souples.

 

 

Et comme Luc adore les zooms, nous avions également un zoom, un Fujinon ALURA 18-80 mm, qui est un objectif très performant. L’avantage du zoom est que quand vous resserrez au 80 mm, l’image est un peu plus douce qu’avec un 80 mm à focale fixe.

 

 

Comment c’est déroulé l’étalonnage ?

 

J’ai tourné en RAW, ce qui, en comparaison d’un fichier compressé, nous a permis d’aller chercher des informations.

 

 

Malgré un système de débayerisation différent pour chaque modèle et malgré d’autres différences, nous n’avons rencontré aucun problème pour d’harmonisation… Quand vous travaillez avec un bon étalonneur, vous arrivez toujours à gommer toutes les différences entre elles !

 

 

Auriez-vous un souhait ou une critique sur cette caméra ?

 

J’attends avec impatience une caméra numérique qui puisse faire des rampes, vous savez, le fait de changer de cadence en cours de prise de vues en même temps que l’on compense l’exposition par l’obturation. Pour ce film, nous avons envisagé de le faire mais la F65 ne le permettait pas.

 

 

J’aime aussi l’idée des caméras évolutives, comme la RED EPIC qui devient la DRAGON. Aujourd’hui, les composants des caméras sont essentiellement électroniques et dans ce domaine, l’évolution est permanente. Dans ce sens, il serait souhaitable d’offrir la possibilité de changer ces composants, tout en gardant l’emballage !

 

 La seule chose que je reprocherai à la F65 est la taille de son capteur car je préfère les grands capteurs. Plus il est grand, mieux je me porte ! La F65 est équipée d’un capteur Super 35 mm (24,7 mm x 13,1 mm). J’aurais préféré un capteur 4:3, voire un 24 x 26 mm. J’attends donc avec impatience la caméra « 70 mm » de Sony !