Dossier: Quand l’audiovisuel rencontre l’IT

Avec le passage au tout numérique, les équipements de communication audiovisuelle incorporent des fonctions de dialogue et de transport par réseau. Cette proximité avec les systèmes informatiques pousse les constructeurs à abandonner les câblages traditionnels dédiés à l’audiovisuel pour privilégier des infrastructures banalisées en câbles à paires torsadées. Cette convergence vers l’IT exige un dialogue plus poussé entre les équipes audiovisuelles et informatiques.
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Le connecteur modular jack RJ-45 est le mode de raccordement habituel des câblages réseau déployé en paires torsadées cat5 ou cat6. On le retrouve couramment sur des équipements audiovisuels lorsque ceux-ci sont pourvus d’une interface réseau. Mais pour le transport d’images informatiques, les câbles à paires torsadées sont aussi devenus un support de câblage habituel compte tenu de leur déploiement systématique dans les bâtiments du tertiaire. Dans ce cas, les signaux sont transportés avec des modulations électriques propres à chaque constructeur (en voie de standardisation avec l’arrivée des signaux HD-BaseT) et n’ont rien à voir avec les protocoles réseaux ou IP.

On remarque aussi une généralisation de la prise RJ-45 sur de nombreux équipements audiovisuels parfois pour des interfaces différentes des prises réseaux, par exemple des liaisons série RS-232, pour les panneaux d’intercom ou encore les postes délégués des systèmes de micro-conférence. Petit à petit ces matériels basculent sur des liaisons en protocole IP, mais de nombreux équipements communiquent encore dans des protocoles propriétaires. Dans certaines situations, les prises RJ-45 véhiculent des tensions d’alimentation, causes de divers dégâts lors d’un raccordement sur un équipement d’une autre nature. Il faut être très prudent si on raccorde ce genre de matériels sur des panneaux de dicordage dédiés à des équipements informatiques.

 

Des prises RJ-45 pour d’autres usages

Quand un spécialiste réseau ou le membre d’une DSI découvre ces interfaces ou ces extenders avec leur connecteur RJ-45, il imagine tout de suite que ces signaux vont transiter par les équipements actifs de ses réseaux. Dès que l’on met en place un transport d’images vidéo ou informatiques sur paires torsadées, il est indispensable de leur expliquer la différence entre le transport de signaux sur paires torsadées et la transmission IP. La situation se complique encore avec l’arrivée de multiples systèmes de streaming ou de vidéo sur IP qui deviennent de plus en plus performants et efficaces avec la compression H.264.

Lors de la mise en place d’un pré-câblage à paires torsadées, il est primordial de distinguer les infrastructures qui serviront au réseau informatique traditionnel (gestion, desserte des postes de travail…) de celui dédié au transport des images vidéo et informatiques avec des extenders à paires torsadées et enfin de celui réservé au transport vidéo en IP (distribution TV, signalétique dynamique, visioconférence…). Le nombre et la localisation des points de desserte seront très différents selon le type de réseau et son usage. Pour établir une implantation cohérente et homogène, il est souhaitable de faire collaborer à la fois des spécialistes réseaux, des informaticiens mais aussi les équipes en charge des équipements audiovisuels et de ne pas se limiter à une simple liste de quantitatifs de prise par local en les répartissant sur les goulottes périphériques.

 

Topologie et implantation des prises

Les réseaux informatiques sont déployés dans les bâtiments selon une topologie en étoile, avec une liaison physique dédiée reliant chaque poste terminal à un équipement actif installé dans le sous-répartiteur d’étage. Ce mode de raccordement a supplanté la topologie en bus selon laquelle un câble circule d’équipement en équipement. Néanmoins ce mode de câblage par bus est encore habituel en audiovisuel, par exemple dans le cas des réseaux audio Ethersound ou des systèmes de micro-conférence. Cette façon de procéder est beaucoup rapide pour des installations temporaires car elle réduit le nombre de câbles même si elle est moins fiable. On constate d’ailleurs que les constructeurs d’équipements AV s’orientent vers des architectures mixtes combinant les avantages de chaque topologie, soit en démultipliant les ports des équipements centraux ou en proposant des accessoires actifs dédiés. Si le réseau à paires torsadées est déployé à l’intérieur d’un bâtiment selon les canons des réseaux informatiques traditionnels, la mise en place des matériels basés sur une autre topologie risque de compliquer leur installation.

D’autre part, toutes les prises réseau déployées partiront du sous-répartiteur d’étage, et ce, avec une densité de répartition moyenne calquée sur les usages de la bureautique. Ainsi pour une salle de conférences on trouvera la même densité de prises sur la tribune, dans la zone de l’auditoire et dans la régie technique et pratiquement aucune en plafond ou au gril technique. Or l’implantation des équipements audiovisuels ne suit jamais cette règle de répartition moyenne. De nombreux équipements (sources informatiques, prises caméra, stage box audio, projecteurs dynamiques) seront installés dans le volume de scène, au sol et au plafond/gril technique, et assez peu dans le volume salle. En revanche la régie technique en regroupe beaucoup. Et on y trouvera hélas qu’une ou deux prises réseau. Or il n’est pas rare qu’il faille raccorder de 15 à 20 matériels en réseau. Sans parler des liaisons à paires torsadées utilisées pour des stage box audio, le pilotage DMX ou le transport des images informatiques. De plus faire passer systématiquement ces liaisons par le sous répartiteur d’étage complique singulièrement l’exploitation audio-visuelle, d’autant que les DSI sont très réticentes à faire laisser rentrer des personnels non habilités dans ces locaux techniques.

Donc si l’on souhaite passer d’un câblage audiovisuel propriétaire vers une infrastructure banalisée en paires torsadées, il faut prévoir une double architecture de câblage en cat 5 ou 6, l’une traditionnelle pour les besoins informatiques généraux et une seconde pour les besoins audiovisuels qui, partant du sous-répartiteur, dessert d’abord la régie technique pour repartir vers la scène, le gril et la salle. C’est toujours la régie technique qui contrôle la distribution des signaux AV vers la salle. Selon le nombre de matériels installés en régie, raccordés en réseau, et en fonction du mode de distribution choisi (IP ou non) il sera judicieux d’installer un équipement actif réseau dans la régie elle-même. Ce point sera à négocier avec la DSI qui, selon ses règles de fonctionnement et ses procédures de sécurisation, acceptera ou non la mise en place de cet équipement actif. S’il est totalement autonome du réseau informatique général, cela sera plus facile à négocier mais alors adieu aux accès internet et aux services de communication externe.

 

Multiplier les vlan

Pour améliorer la gestion des réseaux, optimiser la bande passante et garantir une meilleure sécurisation, les constructeurs d’équipements réseaux ont mis au point les vlan (ou virtuel lan, LAN = local area network ou réseau local). Ainsi les équipements terminaux installés dans la même zone pourront dialoguer sur des réseaux distincts sans mélanger leurs données et en empruntant les mêmes liaisons physiques. Avec des routeurs plus perfectionnés, il sera même possible de moduler les performances et les priorités entre chaque réseau virtuel. Par exemple un service audio visuel pour lequel un retard ou une latence provoquera des défauts perturbants sera prioritaire par rapport à un réseau transmettant des données bureautiques via un transfert de fichiers. Il devient très commun de multiplier les vlan y compris sur des réseaux dédiés à l’audiovisuel. On regroupera tous les ports réseau liés au pilotage des équipements sur un seul vlan car les messages sont courts et légers mais exigent une transmission immédiate lors de l’envoi d’une commande. En revanche les flux audiovisuels seront distribués sur d’autres vlan pour leur réserver plus de bande passante mais avec des limites strictes pour ne pas venir perturber les flux voisins.

L’élaboration du plan d’adressage et la configuration des Vlans sur les routeurs exigent des compétences réseau spécifiques encore rares dans le monde de l’audiovisuel. Mais l’imbrication de l’audiovisuel et des technologies IT rend incontournable la collaboration entre les deux mondes.

 

Les couches du modèle OSI

Les réseaux informatiques sont mis en place pour faciliter l’échange d’informations entre diverses machines numériques. Mais l’imagination des industriels est sans limite pour multiplier les protocoles et les modes de dialogue au fur et à mesure de l’augmentation des performances, l’émergence de nouveaux services et surtout les prétentions de chaque constructeur à vouloir prouver que sa solution est la meilleure. Pour tenter d’éclaircir la situation et aider à l’interconnexion de ces réseaux disparates, l’ISO, organisme de normalisation, a proposé en 1978 le modèle OSI (Open Systems Interconnection). Il décrit les différents éléments de l’interface réseau d’un équipement selon une répartition en 7 couches.

Sans rentrer dans une description complète, il faut préciser que la couche 2, liaison de données, gère les communications directes entre deux machines grâce, par exemple, à leur adressage MAC ou au protocole Ethernet, tous les équipements faisant partie d’un même sous-réseau local. Miais la couche 3, dénommée réseau, gère l’adressage des machines et permet la communication des données de proche en proche à travers des sous-réseaux distincts. Le protocole IP d’Internet se situe lui en couche 3. Grâce à son mode de fonctionnement plus fruste, la couche 2 permet des échanges plus rapides, garantit des performances élevées et une latence réduite, mais sa zone de desserte est limitée à un seul réseau local. De son côté, la couche 3, avec un mode d’adressage plus large et une transmission en mode paquet, permet l’interconnexion de réseaux locaux et des transmissions longue distance grâce à des routeurs.

Pour la mise en place de réseaux audiovisuels, comme l’Ethersound ou l’AVB, on choisit une architecture fonctionnant exclusivement en couche 2 avec des équipements reliés entre eux via des commutateurs (ou switchs) sur le même réseau local. Ils pourront disposer d’adresses IP pour faciliter les communications sous ce protocole pour des services annexes (interface de pilotage, échange de fichiers, etc.). Mais si d’autres équipements présents sur le réseau doivent communiquer vers l’extérieur, par exemple un système de visioconférence, une diffusion vidéo par streaming, un accès Wi-fi pour des tablettes, une maintenance externe, il faut établir des liaisons vers des réseaux fonctionnant en couche 3 en mettant en place des passerelles et des routeurs. Et dans ce cas il est indispensable d’établir une collaboration avec les équipes techniques en charge de la gestion du réseau informatique du site et des accès extérieurs vers Internet. Les modifications d’architecture et les configurations à établir ou à modifier peuvent se révéler importantes et demander l’intervention de spécialistes internes ou externes. Encore une fois il est indispensable d’établir ces collaborations le plus en amont possible pour définir les besoins, quelles interventions techniques à prévoir et quelles sont les limites de responsabilité.

 

Le choix de faire transiter les signaux audiovisuels sur des infrastructures banalisées en paires torsadées, en IP ou dans des protocoles propriétaires, simplifie les travaux de câblages et offre beaucoup plus de souplesse dans leur exploitation, un câblage pouvant servir un jour pour de la vidéo, une autre fois du son et plus tard du DMX. Mais l’économie réalisée grâce à la suppression des câblages propriétaires ne doit masquer le fait qu’il faudra compenser cette simplification par un travail de configuration des actifs réseau qui est loin d’être négligeable et exige des compétences réseau pointues. Il est indispensable de la prévoir très en amont lors d’un projet important.