Marie Cornet-Ashby : Y a-t-il un domaine spécifique que vous affectionnez, plus qu’un autre, dans l’exercice de votre métier de producteur ?
Édouard de Vésinne : Non, tout est lié et interdépendant. Ce que je trouve passionnant c’est sa diversité ! Sortir d’un petit-déjeuner avec des auteurs pour passer à une réunion où l’on va parler des contrats. Rejoindre un réalisateur, un assistant et un directeur de production pour évoquer le planning. Se rendre à un rendez-vous avec un diffuseur, assister à des projections de nos productions ou de celles des autres. C’est justement la variété des tâches et des interlocuteurs qui fait l’intérêt de la production. Il faut aussi avoir les nerfs solides.
M. C-A. : Où se situe la satisfaction pour vous ? Au moment de la fabrication, de la diffusion…
E. dV. : Je crois qu’elle commence déjà à chaque début de tournage. Pour moi, cet instant est toujours un miracle ! Il y a tellement plus de raisons pour qu’un film ne se fasse pas… Au final, chaque début de tournage ressemble à une victoire. Concrètement : les financements sont là, l’équipe est en place et l’idée pour laquelle on s’est battu voit le jour. C’est une immense satisfaction ! En même temps ce n’est que le commencement, et « la pente » à gravir pour parvenir à boucler le projet est raide… Donc, la deuxième grande satisfaction est le moment où on livre le film surtout quand il correspond à celui dont on avait rêvé. Lorsqu’enfin le programme rencontre le public (à la télévision ou au cinéma) cette joie-là est immense.
Ce que j’ai appris du métier de producteur, c’est qu’il représente un nombre infini de petites décisions (du micro-management). D’ailleurs, on le sait, certaines d’entre elles ne seront pas toujours les meilleures. L’art réside d’en minimiser le nombre et à l’inverse de maximiser les bons choix ! Il faut être exigeant et vigilant à la fois.
M. C-A. : Certains des projets que vous aimiez n’ont pas abouti ?
E. dV. : Des projets qui auraient dû se faire, malheureusement, il y en a beaucoup… Je préfère regarder ceux qui se sont faits, malgré les nombreux obstacles. Lorsque nous avons réalisé le film au Rwanda, pour Canal Plus, Opération Turquoise, nous étions sur place lorsque les relations diplomatiques ont été rompues. Nous n’étions pas assurés ou rassurés d’ailleurs ! Malgré tout, nous avons réuni les moyens de tourner (et de monter) sur place, en faisant parvenir des moyens militaires du Kenya. Et nous étions sur le fil du rasoir pendant toute la durée du tournage ! Autre exemple, pour la saison 1 de la série XIII : nous avons appris que notre distributeur britannique avait fait faillite. Il a fallu continuer le tournage avec un trou de financement de plusieurs millions de dollars ! Et une production, c’est comme un avion qui décolle… Une fois que la préparation et la production arrivent à un certain stade, il est impossible d’arrêter ! Ce sont des expériences qui endurcissent.
M. C-A. : Comment partagez-vous le travail avec votre associé au sein d’EuropaCorp Television ?
E. dV. : Nous partageons le même bureau et nous nous parlons beaucoup ! Notre collaboration date aussi de 15 ans. Au départ, nous faisions tout à deux. Aujourd’hui, nous nous partageons les projets de manière à en avoir un volume équivalant l’un et l’autre. Les choix se font en fonction des projets sur lesquels nous avons des affinités particulières. Nous prenons, toujours et malgré tout, les grandes décisions à deux.
M. C-A. : Quelles sont ces grandes décisions pour vous ?
E. dV. : Les décisions budgétaires, financières, d’investissements ou artistiques comme le choix des réalisateurs. Cela va jusqu’au recrutement au sein de la société et même aux choix de diffuseurs.
M. C-A. : Vous avez une indépendance totale par rapport à EuropaCorp ?
E. dV. : Non, je ne dirais pas cela. Nous sommes détenus à 100 % par EuropaCorp. Nous avons une autonomie dans l’interdépendance, liée aux relations très proches avec Luc Besson, Christophe Lambert et les équipes de la distribution. Nous nous parlons en permanence ! Les métiers de la télévision engendrent d’autres rythmes, souvent plus rapides, que ceux du cinéma. Nous sommes dans une course contre la montre constante, avec la confiance de Luc et Christophe. Cela se passe très bien.
M. C-A. : Vous avez produit des mini-séries ?
E. dV. : Oui, avec Disparition pour France 3, Le Vol des Cigognes et XIII pour Canal Plus, à titre d’exemples. En France la mini-série représentait deux programmes de 90 minutes chacun. Elle a évolué vers plus d’épisodes : de six à huit et, jusqu’à dix aux États-Unis… Plutôt en 52 minutes aujourd’hui. Nous préparons d’ailleurs une mini-série ambitieuse pour Canal Plus, un polar d’anticipation créé par Olivier Marchal en 8 x 52 minutes.
M. C-A. : Vous collaborez avec tous les diffuseurs ou certains d’entre eux ?
E. dV. : Avec tous les diffuseurs et leurs identités éditoriales spécifiques. Et nous devons nous adapter aux « territoires » des chaînes. D’ailleurs, quand des auteurs viennent nous proposer des pitchs de projets, notre première question est : ce serait pour qui ? Si nous pensons qu’il y a un « foyer » pour accueillir le projet, nous mettons en œuvre tous les moyens pour parvenir à le présenter à la chaîne.
M. C-A. : Est-il plus simple de travailler avec le secteur privé ou le secteur public ?
E. dV. : Simple, non. Nos métiers sont complexes. Notre démarche est aussi naturelle, quels que soient les secteurs.
M. C-A. : Comment gérer l’économie de plusieurs formats, à des stades différents, et en même temps ?
E. dV. : Chaque projet doit avoir sa propre logique économique. On est en risque quand on se situe au niveau du développement. Lorsque la dernière étape du développement a été acceptée par la chaîne, vous entrez en production : vous êtes censé ne pas perdre d’argent.
M. C-A. : Peut-il vous arriver de refuser un projet par manque de collaborateurs ?
E. dV. : Non, nous recrutons de nouvelles équipes si les besoins sont nécessaires. Nous devons être souples et très pragmatiques pour accompagner « comme un gant » les projets, sans lourdeur administrative. Le chiffre d’affaires varie d’une année sur l’autre. Nous sommes prudents pour la pérennité de notre entreprise.
M. C-A. : Quelles sont vos priorités sur 2014-2015 ?
E. dV. : Section Zéro d’Olivier Marchal, pour Canal Plus, qui sera à beaucoup d’égards notre projet de série le plus ambitieux produit à ce jour.
M. C-A. : Un projet dans votre développement vous tient-il particulièrement à cœur ?
E. dV. : Le développement majeur d’EuropaCorp Television se situe à Los Angeles, où nous venons de lancer EuropaCorp Television USA pour produire des séries développées aux États-Unis pour les diffuseurs américains, et bien entendu internationaux. Il est dirigé par Matthew Gross, un Producteur qui a collaboré 15 ans avec ABC pour lequel il a notamment produit Body of Proof et Dirty Sexy Money.