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Six questions à l’étalonneuse cinéma Alexandra Pocquet

Coloriste indépendante basée à Paris, Alexandra Pocquet se passionne pour le cinéma depuis son enfance. Après avoir découvert l’étalonnage lors d’un stage dans un laboratoire photochimique, elle y travaille 3 ans comme assistante puis étalonneuse, et évolue vers le télécinéma et l’étalonnage numérique, avec tour à tour des travaux sur des publicités, des vidéoclips, des courts métrages, sur des longs métrages et des documentaires.
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Alexandra est coloriste depuis 23 ans et a étalonné de nombreux longs métrages dont certains ont été primés. Elle a été notamment impliquée sur le dernier film d’Agnès Varda, Varda by Agnès ou encore Liberté d’Albert Serra, Holy Motors de Leos Carax, et And Then We Danced de Levan Akin, un premier film qui sera présenté à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes cette année.

L’étalonneuse partage avec nous son approche du travail sur les images…

 

 

Mediakwest : Quelles sont les changements de fond de l’industrie qui vous intéressent le plus ?

Alexandra: Je suis vraiment heureuse de voir de plus en plus de femmes occuper des postes stratégiques dans les équipes de cinéma, comme la mise en scène et la photo. Elles appartiennent souvent à une jeune génération et apportent de nouvelles idées, de nouvelles approches. Il semble qu’elles n’aient pas à se battre comme c’était le cas à notre époque et elles conservent donc une énergie et une fraîcheur que j’apprécie beaucoup.

Dans le passé, la différence de salaire entre les hommes et les femmes était importante dans cette industrie. Et les femmes étaient censées avoir des profils plus “artistiques” et les hommes plus “techniques”. Dix ans plus tard, les salaires ne sont toujours pas les mêmes mais la situation s’est améliorée, on voit enfin de plus en plus de jeunes femmes s’emparer des enjeux techniques, et c’est une bonne chose.

 

 

Mediakwest : Le travail d’Agnès Varda est inspirant pour de nombreuses femmes. Que pouvez-vous nous dire d’elle ?

Alexandra: Travailler avec Agnès a vraiment été un grand moment de bonheur. J’ai été submergée d’émotion au Festival du film de Berlin lors de sa dernière projection publique. J’aurais aimé travailler plus d’une fois avec elle, apprendre plus d’elle, et profiter de son grand sens de l’humour…

Au moment de l’étalonnage, elle ne pouvait pas venir tous les jours car elle était très occupée avec le mixage du film, l’ouverture d’une exposition, et une rétrospective de ses films, mais elle m’a fait confiance assez vite. Sa première préoccupation était le contraste de l’image, que je devais rendre très naturel et proche de ses films antérieurs. Pour y parvenir, je les ai tous regardés.

 

 

Mediakwest : Vous avez récemment travaillé sur l’étalonnage de “And Then We Danced”,  un film qui a pas mal tourné dans les festivals dont Sundance quelle a été votre démarche ?…

Alexandra: Tout d’abord, je suis vraiment contente pour Levan Akin, le réalisateur. Le film a remporté tant de prix dans le monde entier, Sundance n’était que la cerise sur le gâteau ! J’ai vraiment adoré travailler avec Levan et Lisabi Fridell, la chef opératrice, deux personnes vraiment sympathiques et talentueuses.

J’ai utilisé DaVinci Resolve, pour étalonner ce film.  Levan et Lisabi voulaient quelque chose de simple et de cinématographique. C’est un film avec de nombreuses scènes de danse dans un lieu très ouvert avec des baies vitrées, ce qui rendait les raccords difficiles en raison des changements de temps et des nombreux axes. J’aime beaucoup la dernière scène du film, avec le costume rouge, couleur que j’adore, je voulais donc qu’il ait l’aspect de mon rouge préféré. J’aime également la scène de nuit pendant laquelle Levan Gelbakhiani danse avec une perruque, j’aime cette couleur chaude.  J’aime aussi beaucoup l’ambiance froide des vestiaires, Lisabi a vraiment fait une très belle photo.

 

 

Mediakwest: Qu’est-ce qui vous semble souhaitable pour l’avenir de l’industrie, tant du point de vue technique que commercial?

Alexandra: Je pense que la place de l’étalonneur dans la chaîne de production d’un film est minorée. Il me semble que nous pourrions obtenir une plus grande reconnaissance de l’industrie. À titre d’exemple, l’année dernière, j’ai étalonné un long métrage en 6 jours sans réalisateur et sans chef opérateur. J’ai envoyé au directeur de la photo 3 images de ce que je pensais être une bonne direction artistique pour le film, il m’a répondu ok, et j’ai étalonné seule ! Le réalisateur, le chef op et le producteur ont été contents du résultat, heureusement. C’était un film de genre, donc l’étalonnage était vraiment important et je devais prendre des décisions artistiques sur chaque séquence. Mon premier souhait serait donc une plus grande prise en considération pour les étalonneurs.

Côté budget, les producteurs n’ont généralement pas suffisamment d’argent pour que les techniciens en fin de chaine travaillent dans les meilleures conditions possibles. Depuis des années, le nombre de jours dédiés à l’étalonnage d’un film n’est pas lié à sa difficulté mais au budget qui reste après le tournage…. Mon second souhait serait donc plus de budget pour la postproduction des films.

Netflix et d’autres plates-formes changent l’industrie pour le meilleur et pour le pire. J’aime beaucoup leurs films, mais en tant qu’étalonneuse, je préfère que les gens aillent au cinéma pour voir les films. C’est l’endroit où notre travail est le plus respecté.

Netflix modifie également le financement et la fabrication des films, et j’espère que les exigences de spécifications seront accessibles aux petits laboratoires de postproduction. Il me parait utile de préserver cette diversité industrielle…

J’aimerais par ailleurs qu’un accord soit trouvé afin que nous puissions voir les films produits par les plateformes au cinéma. J’ai eu la chance de voir Okja dans un beau cinéma flambant neuf, l’émotion n’avait rien à voir avec un visionnage à la télé ou sur un téléphone portable. De plus en France, une petite partie de chaque billet de cinéma vendu sert à la production de nouveaux longs métrages. Nous avons donc besoin que les gens aillent cinéma pour financer l’industrie.

Mon avant dernier souhait serait que les caméras vidéo continuent de s’améliorer et se rapprochent de plus en plus du film négatif, sans distorsion de certaines couleurs.

Mon dernier souhait, et pas le moindre, concerne l’écologie. Cette industrie est très polluante, et on voit de temps en temps que sur les plateaux, on trouve de nouvelles solutions pour polluer moins, recycler… J’espère vraiment que l’on va continuer dans cette direction et trouver de plus en plus de solutions efficaces !

 

 

Mediakwest : Quelles sont les raisons qui vous incitent à travailler avec Resolve ? 

Alexandra: Au cours de ma carrière j’ai travaillé avec près d’une quinzaine d’outils d’étalonnage, certains d’entre-eux pour un seul film ! Depuis quelques années, je n’en rencontre plus que deux… Resolve a tout de suite été simple à utiliser, même si son interface avait pas mal changé par rapport aux précédents outils de Da Vinci. Sa simplicité est une de ses forces. Aujourd’hui de plus en plus de monteurs utilisent Resolve et cela évite bien des complications au moment de la conformation. Dans la même lignée, Fusion représente un atout indiscutable pour gagner du temps. Concernant l’étalonnage, on ne peut se passer d’avoir un viewer pour dessiner les masques plus précisément, et l’absence de lag entre les déplacements de souris représente aussi un confort essentiel. Les layers et paralleles nodes sont extrêmement simples à utiliser, à visualiser et à déplacer, ce qui apporte une grande facilité de gestion de priorité des couches. Je crois qu’une des plus grandes forces de Resolve est aussi d’être accessible à tous. Ainsi on peut trouver des milliers de tutoriaux pour une bonne utilisation des outils proposés par Resolve, ce qui permet à tout le monde une créativité plus grande, car il affranchit réellement de la technique. Ensuite, à nous d’avoir l’oeil et le goût pour satisfaire nos clients, et se faire plaisir !

 

 

Mediakwest: Enfin, quels conseils donneriez-vous aux aspirants étalonneurs ?

Alexandra: Mon premier conseil serait d’étalonner les images aussi naturellement que possible au début. Maintenant, avec des outils comme instagram, tout le monde peut étalonner une image et trouver de jolis looks. Mais il ne faut pas oublier que les raccords colorimétriques, de contraste… entre les plans est ce qu’il y a de plus compliqué. Et surtout, l’étalonnage sert une histoire. Il doit rester discret pour respecter cela.

Je pense qu’un bon étalonneur est une personne qui observe son environnement, exerce ses yeux en allant au cinéma, en regardant des peintures, des photos …, qui est toujours à l’écoute des souhaits du réalisateur et du chef op, et proposera quelque chose de différent si ce qu’on lui demande lui parait être une erreur.

L’étalonnage est une question de pratique, alors soyez patient. Et si je n’avais qu’un seul conseil à donner ce serait : la teinte de peau est la première des préoccupations.

 

On peut retrouver une partie du travail d’Alexandra Pocquet sur instagram, sous le nom alexpoc75