Spline facilite la créativité, de la prévis à la postproduction !

Romain Bourzeix fait partie de ces personnes qui transmettent immédiatement leurs passions, au pluriel, celles de la technique et de l’entreprenariat au service de la création.
VFX de la publicité Yumos par DSEED. © Spline

Romain Bourzeix a su fédérer à ses côtés une équipe complémentaire, autour de l’entreprise D-Seed née en 2014, dédiée à la 3D et aux VFX. Claire-Alix Gomez l’a rejoint en 2016 pour créer Spline, qui apporte, autour d’une solution de motion control, une vision élargie de la chaîne de production, depuis la prévisualisation (la « prévis » dans le jargon), jusqu’à la postproduction. Nous avons souhaité explorer en leur compagnie cette approche novatrice et inspirante.

 

Pouvez-vous nous parler de la genèse de Spline ?

Romain : L’idée a émergé à la fin de l’année 2015, lorsque je supervisais les effets visuels sur les tournages en tant que directeur de D-Seed. J’étais frustré des difficultés à faire travailler ensemble les mondes des effets visuels et de la 3D et le monde du plateau. La préparation reste trop souvent confinée au tournage, séparée de la postproduction. Je cherchais comment apporter une totale fluidité entre les différentes phases de la production, avec une exploitation transversale des datas.

Je suis parti en quête de l’outil de tournage idéal liant préproduction et production ; le motion control s’est imposé ! Outil admiré des chefs opérateurs et inspirant pour les réalisateurs, il nécessite un contrôle total en tournage. Les datas étant nombreuses, on peut faire de la prévis. Alors que l’idée mûrissait dans mon esprit, j’ai rencontré Claire Alix, qui était notre cliente.

 

Claire Alix : Je travaillais dans un incubateur de start-up ; nous produisions et réalisions des vidéos sur l’innovation et l’entreprenariat. Ces expériences avaient fait naître en moi une grande envie d’entreprendre. L’aventure Spline a débuté en septembre 2016, par une importante et longue phase de structuration stratégique.

En mars 2017, nous avons trouvé les locaux à proximité de la porte de La Villette, au nord de Paris. Nous y avons installé les deux entreprises avant d’entamer la phase d’installation du studio et le développement de la solution robotique. Après étude des offres existantes, nous avons préféré développer notre système en interne sur la base d’un robot industriel, pour nous assurer une maîtrise absolue et une totale indépendance. L’entreprise a été lancée commercialement en avril 2018.

 

Comment se structure humainement votre équipe ?

Claire-Alix : Au cours de l’année 2017, Antoine Grasset, qui partage notre vision du métier, a rejoint l’équipe en tant que directeur technique, suivi par Lucas Limonne à la direction de production.

Antoine a un passé d’assistant photographe, étalonneur et directeur de postproduction. Ayant participé à de nombreux tournages, il connaît bien le milieu des chefs opérateurs et sait les accompagner pour sublimer l’utilisation du robot. Il explore dans le détail tout ce qu’il approche, et maîtrise l’état de l’art de tous les domaines techniques.

Lucas a fait ses armes chez PM SA, le grand groupe de publicité et de fiction dirigé par Alain Pancrazi. En 2019, nous avons développé et mis en production un deuxième robot, Alfred, pour tenir compagnie à son aîné, Jarvis. C’est aussi à ce moment-là que nous avons renforcé les équipes R&D et opérateurs robots pour épauler Antoine.

 

Claire Alix, quel est ton rôle dans l’entreprise ?

Claire-Alix : Je m’occupe du développement de la société, de la stratégie marketing et financière et du recrutement.

 

Quelle offre proposez-vous concrètement à vos clients ?

Romain : Nous sommes prestataires techniques pour nos clients producteurs. On a construit autour de l’outil de motion control et de notre studio un package High-Speed avec une caméra Phantom Veo 4K et des lumières Mole Richardson 900 W à Leds (équivalent 5 kW HMI). Ce sont des lumières « flicker free » qui nous permettent de filmer à haute vitesse sans aberrations. De plus, le motion control permet de réaliser une vingtaine d’effets « in camera » (mouvements impossibles, incrustations, etc.) qui une fois cumulés ouvrent un champ des possibles inspirant pour les réalisateurs.

 

Quelles sont les caractéristiques de votre studio ?

Claire-Alix : Il fait 300 m² avec 4,60 m sous plafond (4 m utiles) et est équipé d’un cyclo deux faces et demie de 9,5 par 8,5 m avec un retour de 3 m pour les plans qui panotent à plus de 90 ° ; 200 m² de bureaux le complètent. C’est une de nos forces, nous disposons d’une salle d’étalonnage et de montage accolée et d’une grande salle de réunion ; l’intégration de tous ces services plaît beaucoup à nos clients. Les graphistes sont à l’étage ; tous se voient et se parlent, il n’y a pas de silos de production. Cela peut être un atout en période d’épidémie.

Nous avons fait un tournage pour Lancôme au début du mois de janvier. C’était avant le confinement, mais le client était à distance. Nous étions cinq sur le plateau avec le réalisateur et nous avons travaillé extrêmement efficacement en mélangeant des parties live et 3D.

 

Peux-tu nous parler du développement de votre outil de motion control ?

Romain : Le bras en lui-même provient d’un fabricant de robots pour l’industrie. Étant prévu pour être accroché au sol, nous avons dû développer en interne une base suffisamment lourde et stable pour supporter ses très fortes accélérations. Le développement de la partie logicielle a nécessité plus d’un an et demi de travail.

La robotique industrielle travaille en fonction d’actions à réaliser et d’accélération. Il nous a fallu retranscrire cela dans le monde de l’audiovisuel où on parle de timeline et de vitesse, à partir de calculs de gravité, d’inertie et de protocoles industriels éloignés des langages informatiques traditionnels.

 

Avez-vous pris référence sur d’autres structures étrangères pour créer votre société ?

Romain : J’ai découvert en 2012 The Marmalade, une entreprise allemande exemplaire dans le domaine de la captation « haute vitesse ». Je me suis dit qu’il y avait une place à prendre en France. Cela restait un pari : est-ce que les réalisateurs, les producteurs et les chefs opérateurs allaient accrocher ? Notre étude de marché nous a fait découvrir les entreprises de Jean Chesneau et Raoul Rodriguez. Ils sont spécialisés dans la machinerie et particulièrement dans les solutions techniques de grande envergure pour l’un, tandis que le second dispose d’une importante collection de caméras Phantom. De notre côté, nous souhaitions proposer une offre complète.

 

Quelles ont été vos premières expériences, vos premiers tournages ?

Romain : Notre outil était prêt en mars 2018. À partir de ce moment-là, tout est allé très vite. C’est la beauté de notre marché : si la proposition est innovante, si le jouet est beau, les prescripteurs, chefs opérateurs, réalisateurs, chefs machinos et même directeurs de production s’échangent rapidement l’information. Nous avons été sollicités plus que nous ne l’espérions.

Au départ, j’imaginais filmer des burgers et des packs de bière et nous avons filmé beaucoup d’humains, suite au clip de Youssoupha, autour d’idées assez folles et envoûtantes. En 2018, nous avons tourné pour le documentaire Women de Yann Arthus-Bertrand. À la fin de cette même année, notre plus gros projet a été de filmer 35 présentateurs de TF1 pour les vœux de fin d’année de la chaîne qui ont été vus par un très large public. Nous avons également travaillé en docu-fiction pour Contre-Enquête et en événementiel pour les César.

 

Comment avez-vous proposé vos prestations de prévis dans le workflow ?

Claire-Alix : Cela s’est fait naturellement ! Pour le clip de Youssoupha avec James F. Coton de Partizan, on a fait deux jours de recherches de trajectoires. Le rappeur est venu dans le studio avec le réalisateur et le chef opérateur. On les a accompagnés pour préparer leurs plans d’une manière concrète dans le studio, via des tests en condition réelle. Le jour J, ils ont innové en filmant des plans qui n’étaient pas du tout prévus.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la beauté de la robotique c’est de pouvoir faire des plans sur le moment ; ça prend moins de temps que de déplacer une grue.

Concernant la prévis, à partir des conditions de tournage, de la liste matérielle, des obstacles et des conditions particulières, on réalise une prévis sur Blender, c’est-à-dire une scène simplifiée en 3D. On y intègre les éléments et personnages et on définit la focale de la caméra et son mouvement.

La techvis est souvent issue de la prévis et donne toutes les données techniques utiles pour le tournage du plan ou du film (taille du plateau, focale, emplacement des lumières, du robot, implantation du décor…). On peut en déduire et exporter la trajectoire qui sera éditable sur le set ou jouable telle quelle par le robot. Les producteurs sont rassurés de pouvoir explorer leur plateau avant d’y être, d’appréhender la place nécessaire entre les acteurs et le robot, le fond vert, les props, ou tout élément de machinerie. Ces prestations sont très peu connues des productions traditionnelles. Vendues avec le robot, elles pourraient l’être indépendamment.

 

Pouvez-vous illustrer l’avantage de la prévis avec un exemple ?

Claire-Alix : Oui, la production d’une pub Renault. Quatre voitures devaient être filmées avec un mouvement de grue, mais le plateau permettait de n’en filmer qu’une seule. Il fallait absolument que la fin du plan corresponde à un visuel de la campagne publicitaire. Avec la prévis du plan utilisant des modèles 3D, on a pu savoir comment placer le robot et obtenir l’effet escompté avec une voiture, puis comment déplacer le robot et la voiture pour pouvoir associer les plans et simuler une prise de vue avec quatre voitures. C’était un plan impossible à réaliser sans.

 

Combien de temps prend la réalisation d’une prévis ?

Romain : En une journée, avec un graphiste, on peut réaliser une prévis si tout est bien prévu. Si on doit tout construire avec la prod en cours de route, une prévis peut mobiliser deux graphistes pendant une semaine. Pour un clip, par exemple, notre graphiste a travaillé avec le real à ses côtés ; en une journée la prévis complète du clip de 3 minutes a été faite. Mais le réalisateur savait exactement où il allait.

 

Quelles sont vos pistes d’évolution ?

Claire-Alix : Nous avons rédigé un petit guide de tournage à distance destiné aux producteurs. Si on doit trouver un avantage au Covid-19, c’est qu’il peut accélérer un certain nombre de pratiques, comme la prévis. Les mesures barrières incitent à prendre de nombreuses décisions à distance. Nos méthodes permettent de prendre des décisions suffisamment en amont du tournage et de l’encadrer.

Le guide explique les méthodes que l’on peut mettre en place dans le studio, et la possibilité de réaliser le pré-étalonnage, le pré-montage ou la postproduction en interne. Cela suscite un réel intérêt auprès des producteurs et des réalisateurs. Cette vision transversale des étapes de fabrication nous apporte une maîtrise technique et une liberté créative aux meilleurs coûts.

On propose via le regard de Romain de superviser les VFX. L’idée c’est d’aller plus loin et de développer des outils qui permettent vraiment d’intégrer les VFX en tournage, voire dès la préproduction. C’est notre axe de développement complémentaire au motion control. Cela peut être utilisé pour de la pub, mais la finalité reste la fiction. Nous espérons être prêts pour annoncer officiellement notre nouvelle offre, issue de notre équipe de R&D, au cours du prochain Satis.

 

Article paru dans Mediakwest #37, p. 116-119. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.