Sunny Side of the Doc célèbre le documentaire depuis 30 ans

Le Sunny Side of the Doc, qui ferme ses portes ce jeudi soir, fête ses trente ans. Ce marché international du film documentaire de La Rochelle représente désormais the place to be pour tout acheteur de programmes. Entre sessions de pitchs, thématiques en phase avec les évolutions du secteur, il n’a cessé de se réinventer pour répondre aux besoins du marché et anticiper les virages culturels et technologiques. Retour sur 3 décennies d'années fécondes en compagnie de son créateur et commissaire général, Yves Jeanneau...
SSD_Yves_Janneau.jpeg

 

1990 : Le marché international du film documentaire voit le jour

Quand Yves Jeanneau crée le Sunny Side of the Doc, de marché international du documentaire il n’y avait point. « L’idée qu’un tel marché puisse exister était jugée comme saugrenue. C’est important de garder cela en tête, car tout le monde l’a oublié et a tendance à penser que c’était mieux avant », glisse-t-il. Or, à cette époque, les chaînes produisaient les programmes en interne. Il a fallu attendre la création de Channel 4 en Angleterre, puis de Canal+ en France, qui rapidement s’ouvre aux documentaires, et enfin de la 7 qui deviendra Arte, pour que les perceptions changent. En choisissant de ne pas créer d’unités de production en interne, ces trois chaînes décident de travailler avec des producteurs indépendants. « C’était la condition sine qua non sans laquelle le marché international du film documentaire ne pouvait démarrer. Et pourtant, nous l’avons lancé en 1990, même si ces conditions objectives n’étaient pas encore réunies pour qu’un tel marché se développe », reprend le fondateur. Deux concepts sont à la base de la naissance du Sunny Side : la professionnalisation et l’internationalisation. Il a fallu créer les coproductions, les alliances. « Nous avons donc imaginé et concrétisé ce rendez-vous de ce qu’il convient d’appeler à l’époque d’aficionados, d’utopistes et d’amoureux d’un genre non encore économiquement rentable. Nous étions un peu en avance sur les besoins du secteur télévisuel qui commençait à mourir lentement de cette vieille structuration archaïque – la production en interne – où la productivité était minime et la créativité peu brillante », sourit-il. Il faudra près d’une dizaine d’années pour que le marché se fasse une place au soleil et attire plus de mille professionnels.

 

2006 : Le marché se relocalise, de Marseille à La Rochelle

Ce déménagement d’une mer à l’océan est non seulement un changement de lieu, mais aussi de mode d’organisation, de structure éditoriale. « En inventant les sessions de pitchs, nous allons réunir à la fois les projets et les responsables de chaînes. Nous allons aussi très rapidement thématiser ces présentations », explique-t-il. Cette thématisation est l’une des pierres angulaires du marché : elle s’appuie sur les besoins du secteur et elle permet de cibler précisément les acheteurs, les représentants de chaînes sur le type de films qu’ils recherchent sans perdre de temps, sur des sujets qui ne les intéressent pas directement. Thématiser permet donc un gain en temps et d’efficacité. « Pour mettre en place des coproductions, il était indispensable de présenter les projets en amont », souligne -t- il. À l’époque, Yves Jeanneau a déjà une parfaite connaissance du secteur. Il est non seulement producteur avec Les Films d’Ici puis au sein de Telfrance, tout en étant aussi au cœur de l’industrie, ayant occupé le poste de directeur des documentaires à Pathé Télévisions avant de diriger l’unité documentaire de France 2. « Je n’ai fait qu’organiser la satisfaction des besoins. Il était indispensable de comprendre ce qui faisait qu’une chaîne anglo-saxonne puisse accepter de coproduire un documentaire dans une autre langue. Une fois la question de la langue réglée, on touche à l’universalité du sujet autant qu’à son exclusivité », précise Yves Jeanneau. Ce point essentiel n’a pu être validé qu’une fois mises en place des règles de bonne pratique afin qu’un sujet présenté dans un pitch ne soit pas ensuite « réorienté » par les chaînes.

« Le fait que ces pitchs soient organisés au sein du Sunny Side était de fait une protection, une garantie. » Les thématiques ont aussi évolué au gré du marché et de ses demandes, en fonction de l’existence des cases dans les grilles des chaînes et dans le développement des projets choisis. Par exemple, le nombre de cases consacrées au documentaire sur l’art et la culture est minime sur les chaînes de télévision européennes, malgré une production importante de ce type de programmes. « Le marché change et le Sunny Side s’adapte. Il est plus numérique que télévisuel. » L’animalier (Wildlife) s’est contracté, avec un marché qui regroupe un tout petit nombre de producteurs, proposant des films à dimension internationale. Les films d’histoire et de science ont par contre explosé en termes de volume au cours des quinze dernières années. À La Rochelle, le Sunny Side investit les anciens docks du Vieux Port, qui offrent un espace élargi. Sont alors développés les stands, les ombrelles, les pavillons pour des délégations, des pays…

« Nous voulions disposer d’un lieu à la fois convivial et chaleureux où tout puisse se faire à pied : rendez-vous, panels, sessions de pitchs etc. C’est une vraie philosophie avec un environnement urbain agréable qui sied au business. » Alors que le marché prend ses marques dans la cité rochelaise, arrive alors un tournant majeur : la crise mondiale de 2008.

 

2008 : le marché du documentaire se redessine à l’échelle du monde

« Cette crise a eu un impact extrêmement fort sur les chaînes publiques, sur les budgets, sur les agences gouvernementales. Elle désorganise complètement et profondément les structures. C’est alors une sorte de panique qui s’empare du secteur », raconte Yves Jeanneau. Des rumeurs vont annoncer la mort du documentaire et promptement tenter de l’enterrer, notamment en lien avec la chute drastique des prix et la perte de valeur des chaînes traditionnelles européennes. « C’est alors que je sens arriver un phénomène de compensation du marché : son élargissement géographique. De nouveaux pays entrent dans la course, notamment ceux d’Asie, avec leurs propres modes de production. » Se mettent en place des dynamiques de production moins onéreuses grâce aux développements technologiques tels que la captation et la diffusion numérique. Elles permettent aussi de mieux faire circuler les films. « C’est une période de profonds changements de modèle économique, mais aussi de dimension : le marché devient alors intrinsèquement international. Seul le Sunny Side a alors les capacités à aller chercher ces forces vives au sein des territoires en Asie ou en Amérique latine en mettant sur pied des événements dédiés au cœur même de ces régions. C’est vraiment l’esprit de Sunny Side de bâtir le marché au fur et à mesure selon ses besoins et contraintes. » En dix ans, le film documentaire a connu un second souffle. De nouvelles formes d’organisation sont apparues. « La crise de 2008 a fait des distributeurs, des acteurs indispensables pour compenser la faiblesse des prix d’achat par un plus grand nombre de ventes. Ils se sont spécialisés et ont noué des liens avec certains producteurs, allant même jusqu’à faire des deals croisés entre acheteurs de différents pays. Cela a restructuré différemment le métier de producteur. » Cela permet la valorisation des œuvres sur une plus longue période. En outre, la réforme du documentaire réalisée par le CNC en 2016 a véritablement fourni l’impulsion pour internationaliser la production et rehausser le niveau de créativité.

Focus sur Hope Frozen, de l’Asian Side of the Doc à Toronto

Lors du festival Hot Docs de Toronto (Canada), le film Hope Frozen de Pailin Wedel, une jeune journaliste thaïlandaise, a reçu le prix du meilleur long-métrage documentaire. « J’ai eu ce film en formation à Bangkok, à l’Asian Side. La journaliste à l’origine souhaitait réaliser un 26 minutes. Après une session de training, elle a compris que le sujet était bien plus global qu’elle ne le pensait à l’origine. Elle a continué à travailler. Son film a été projeté dans plusieurs festivals et a gagné un prix dans un des festivals les plus importants. C’est une histoire formidable. Sur un exemple comme celui-ci, je me dis que l’on a joué notre rôle. Sans l’Asian Side of the Doc et les formations, ce film n’aurait probablement pas existé. »

 

2017 : le marché s’ouvre aux nouvelles technologies innovantes

En outre, la révolution numérique a donné naissance à de nouveaux studios qui mettent en œuvre des technologies émergentes pour la production documentaire (réalité virtuelle, réalité augmentée, son spatialisé, etc.). Les donneurs d’ordres ne sont plus uniquement les chaînes de télévision mais aussi, désormais, les LBE (Location Based Entertainment). « Ce sont des musées, des institutions du patrimoine, tous les endroits fréquentés par le public. Cela ouvre tout un champ de productions qui ne sont pas destinées à la télévision, mais à un public curieux, volontaire et plus jeune. » Ces nouvelles productions narratives sont particulièrement illustrées par les créations des 70 membres du syndicat PXN, l’association des producteurs nouveaux médias indépendants qui œuvrent à la mutation numérique des industries culturelles et créatives françaises. « Ils sont à l’origine de nouvelles pratiques extrêmement novatrices, variées et créatives. » En 2017, Yves Jeanneau imagine un nouveau volet à Sunny Side of the Doc avec PiXii : un parcours interactif d’expériences immersives et innovantes. Son but est d’ouvrir de nouvelles perspectives pour la médiation culturelle numérique, en connectant les producteurs de contenus, les acteurs culturels et les entreprises de technologies innovantes. « Les musées expriment leur besoin de comprendre, de se former. La plupart n’ont pas d’expérience en matière de coproduction. Pendant deux ans, nous avons fait œuvre de formation. Cela s’est si bien passé que l’Institut français et le réseau culturel français à l’étranger ont invité cette année une quinzaine de professionnels internationaux de haute volée à découvrir les acteurs français de la médiation numérique et de l’innovation culturelle, lors du Sunny Side. La délégation a pu nouer d’étroite relations avec les producteurs présents sur le PiXii Festival, le festival international des narrations et cultures digitales », se réjouit Yves Jeanneau.

 

Quid de l’avenir ?

« Nous sommes dans cette phase où Netflix a pris une réelle place dans le paysage, que ce soit en termes de diffusion ou de production. Des plates-formes de ce type vont-elles résister à l’arrivée d’un concurrent comme Disney/Hulu ? Réussiront-elles à imposer leur algorithme face à ce nouveau géant ? Tout le modèle économique va, dans tous les cas de figures, s’en trouver une nouvelle fois bouleversé. Enfin, la question se pose aussi pour les chaînes de télévision qui résistent encore : comment vont-elles réussir à s’organiser ensemble pour offrir des solutions alternatives aux plates-formes ? », conclut Yves Jeanneau. Selon lui, sans la coproduction, point de salut pour ces chaînes qui, dans le cas contraire, verront leur offre s’appauvrir jusqu’à ne devenir que de simples plates-formes de diffusion. Le défi des chaînes est désormais d’avoir assez de budgets conséquents pour pouvoir entrer dans la production de programmes originaux et d’envergure internationale avant qu’ils ne soient captés par Netflix.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #32, p.38/40. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.