Entretien avec Vincent Steiger, réalisateur de « L’odyssée du loup »

Nous avons rencontré Vincent Steiger, réalisateur de L’odyssée du loup, diffusé sur France 2 le 9 mars 2019, préalablement en Belgique, Suisse, Allemagne et vendu en Chine. Ce documentaire, tourné dans les conditions d’une fiction, retrace l’histoire de Slava, un loup nomade, qui part des forêts de Roumanie, traverse seul la moitié de l’Europe pour fonder sa meute en Espagne sur les hauteurs des Pyrénées occidentales.
1_2_Vincent Steiger et Slava.jpg

 

Mediakwest : Sur combien de temps s’est étalée la production ?

Vincent Steiger : Il me fallait des images sur les quatre saisons et dans plusieurs pays. Nous avons eu quatre sessions de tournages d’environ quatre semaines chacune :

– la première en juillet 2017, tous les plans de meute avec huit loups, les plans de courses en forêt ;

– la deuxième en septembre/octobre 2017 en équipe complète. Tournage Itinérant, avec trois loups en Europe de l’Est et en France ;

– la troisième en mars/avril 2018 en équipe complète avec trois loups en France ;

– la dernière en septembre/octobre 2018 en équipe réduite avec un loup, tournage itinérant dans toute l’Europe pour les beaux plans larges.

Le montage s’est terminé début décembre, le mixage mi-février 2019.

 

M. : Quelles ont été vos premières options techniques en matière de caméra au sol et comment ont-elles évolué ?

V. S. : Nous avons tourné la première session en Varicam Panasonic. Nous avons rencontré plusieurs problèmes avec cette caméra, principalement dus à la difficulté de filmer des animaux comme les loups et au choix de la production de livrer le film en 50p, pour des questions de ventes à l’étranger.

Le loup est un animal qui ne tient pas en place, ne serait-ce qu’une seconde. Quand on cherche un regard direct, une expression, en gros plan c’est un problème. Un loup ne regarde jamais dans les yeux, c’est un signe de confrontation et pour lui la caméra est un gros œil. Pour espérer obtenir les gros plans de regards nécessaires, il fallait monter à 100 images/seconde, chose que la Varicam ne permet pas !

Le post-roll sur cette caméra est monstrueux, surtout quand on génère des proxies : neuf secondes ! Très compliqué quand on filme des animaux qui n’arrêtent pas de bouger et que l’on cherche des expressions, des attitudes qui ne durent que quelques secondes. Du coup, les opérateurs n’osaient pas couper, de peur de perdre « le moment ».

Je me suis retrouvé avec des plans de 15-20 minutes pour quelques secondes utiles. Le budget du film ne nous permettait pas d’avoir un assistant monteur pour nettoyer les rushes, et moi je ne pouvais plus regarder les rushes le soir… le dérushage de cette session fut laborieux.

Il nous fallait un pré-roll, chose que la Varicam ne permet pas si on génère des proxies ! À partir de la deuxième session, nous sommes passés sur la Red Epic X : nous pouvions tourner à 100 images par seconde, nous avions le pré-roll (loop recording qui enregistre une vingtaine de secondes avant le déclenchement, ndlr) et les choses ont été beaucoup plus souples.

 

M. : Y avait-il plusieurs caméras identiques ou de types différents ?

V. S. : Deux Red Epic X. J’ai eu la chance de travailler avec des producteurs (Jacques Perrin et Olli Barbe/Galatee Films, Laurent Baujard et Pierre Emmanuel Fleurantin/Paprika Films) et un directeur de production (Philippe Baisadouli) qui savent qu’il vaut mieux faire le plan large et le plan serré dans la même prise, que d’espérer que l’animal imprégné (et non pas dressé) fasse deux fois la même chose. Cela évite de doubler les journées de tournage !

Un Drone Inspire 2 avec caméra X5S en permanence. J’ai fait la plupart des prises de vues drone moi-même, avec Antoine Marteau au cadre. Pour les plans vraiment compliqués, dans les Alpes ou les Dolomites, et j’ai fait appel à Mathieu Reymond (Airdrone) qui est de très loin le meilleur pilote que je connaisse.

Le scooter électrique de Galatée Films, quatre roues indépendantes absorbant les inégalités du terrain, avec un plateau entre les roues arrières pour un cadreur à genoux avec un steadicam, conçu et fabriqué pour le film de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud Les saisons, nous a permis de faire les poursuites en travelling en pleine forêt.

 

M. : Quelles ont été les situations humaines et animales les plus difficiles à gérer ?

V. S. : Ça c’est un vaste sujet et je n’ai pas le temps de tout te raconter, mais je peux te dire ce qu’il faut pour qu’un tel film puisse se tourner :

– Un chef animalier béton, en l’occurence Pascal Treguy, qui a un vrai respect de l’animal et un vrai feeling du plan. Après 30 ans de carrière, je les connais tous. Il est le seul avec qui j’accepte de travailler.

– Une équipe soudée et de bonne humeur quoiqu’il arrive : la moindre tension sur le tournage, les animaux le sentent dans la seconde… et la journée de tournage est finie. J’ai eu la chance d’avoir cela.

– Une vraie complicité entre le chef animalier, le réalisateur et le chef op : le loup mange deux kilos de viande par jour (j’appelle cela les « batteries » des loups) ; une fois qu’il a eu sa dose, il va se coucher dans sa cage, seul. Et c’est fin de journée ! Donc il faut gérer la journée…

Les problèmes sont surtout venus des « anti-loups » en France ; il y a eu des manifs contre le tournage, c’était surtout des manipulations politiques. Il a fallu faire garder nos loups par la gendarmerie. Les chasseurs sont venus avec leurs chiens chasser au beau milieu du décor alors qu’ils n’avaient pas le droit d’être là ; ce jour-là, nous avons perdu Rosie, le sanglier du film, il s’est fait abattre par ces fâcheux. Nous n’avons eu ce genre de soucis qu’en France. Par contre, nous avons eu le soutien de certains maires.

 

M. : Et sur le plan technique ?

V. S. : Aucun souci technique, ce sont les bienfaits d’avoir une équipe de professionnels… à part mes loups qui m’ont bouffé un drone pendant que je les entraînais à survoler au-dessus de leur têtes… Ce jour-là, j’ai su que c’était bon !

 

M. : Y a-t-il eu des imprévus ?

V. S. : Oui, mais surtout au niveau budgétaire et météo. Ce film est un documentaire « prime-time » pour France 2, tourné dans les conditions d’une fiction. Les budgets de France Télévisions ayant été divisés par trois au cours des dernières années, j’ai eu vraiment de la chance d’avoir des producteurs fiables. Il a fallu faire beaucoup de concessions de ma part… Beaucoup ! Je vais éviter de parler de la date de programmation ! Et la météo, bah, c’est un film tourné entièrement en extérieur…

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #32, p.30. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.