Entretien avec le stéréographe américain Demetri Portelli

Demetri Portelli a été stéréographe sur Spivet et auparavant sur Hugo Cabret . Technicien remarquable et homme d'une grande générosité, il nous parle de ses expériences avec Jean-Pierre Jeunet et Martin Scorsese.
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Mediakwest : Quel est votre parcours ?
DP: Pendant longtemps j’ai travaillé comme cameraman et chef opérateur. Comme la plupart des étudiants en cinéma, j’ai fait des courts-métrages et des clips musicaux. En tant que cameraman, la 3D représentait pour moi quelque chose de nouveau et d’intéressant. J’ai décidé de ne pas rater le train et ai donc décidé d’observer, d’apprendre et d’étudier cette nouvelle technologie, et je suis arrivé juste au bon moment !

 

Mediakwest : Quel était votre premier film en 3D ?
DP : Le premier sur lequel j’ai travaillé était Resident Evil 4 produit par Constantin Film. J’ai travaillé sur trois films avec eux, dont deux en 3D et un en 2D. Constantin Film tourne souvent au Canada, elle a passé un accord avec Toronto, c’est là que je les ai rencontré (ndlr : Demetri Portelli vit à Toronto). C’est agréable de travailler en 3D, parce que cela nous donne l’occasion de créer quelque chose de magnifique ; la composition et le cadrage sont très importants, ainsi que le maniement de la caméra. Il s’agit d’une très bonne combinaison pour moi. J’ai toujours travaillé avec l’image et si je ne travaille plus comme stéréographe, je reprendrai ma casquette de directeur de la photographie.

 

Mediakwest : Travaillez-vous surtout sur des longs-métrages, ou avez-vous également filmé des spectacles en direct ?
DP : Je fais un peu de spectacles en direct et d’événements sportifs mais, à vrai dire, cela ne m’intéresse pas vraiment. Mais c’est mieux de travailler sur des films, les projets durent plus longtemps. J’ai tout d’abord travaillé pendant dix ans pour la télévision au Canada, à Toronto, en tant qu’assistant caméraman. C’est un métier stable. On peut acheter une maison, fonder une famille puis progresser doucement dans le métier. Mais le problème, c’est qu’il est très difficile d’entrer en contact avec les réalisateurs vraiment créatifs. J’ai envoyé un e-mail pour tenter de travailler sur Gatsby le Magnifique, mais je n’avais aucun contact avec ce réalisateur. J’ai été très heureux quand Jean-Pierre Jeunet a répondu à mon e-mail seulement quatre heures après lui avoir envoyé, disant « tiens, oui, je pensais à utiliser la 3D pour mon prochain film ». C’était parfait, une véritable chance.

 

Mediakwest : Quel était le calendrier sur Spivet ?
DP : Nous avons tourné de juin à août l’année dernière à Montréal, en studio, et au nord de Montréal pour les scènes d’extérieur. Ensuite nous sommes allés environ un mois en Alberta, dans les montagnes, une région magnifique. Depuis la maison construite pour le tournage, on pouvait voir Fernie, en Colombie Britannique, c’était vraiment très beau.

 

Mediakwest : Quelle était la philosophie de la 3D pour ce film ?
DP : Je pense avoir eu beaucoup de chance de travailler avec des réalisateurs qui faisaient de la 3D native, et qui filmaient chaque séquence avec un rig 3D. Pour Spivet nous n’avions même pas de caméra 2D, ni d’ailleurs pour Hugo Cabret. Dès le début du tournage de Hugo Cabret nous étions prévenus : ce serait difficile pour le réalisateur et le directeur photo, qui n’avaient jamais tourné en numérique ni en 3D, mais c’était notre mission de trouver une solution pour chaque séquence. Et j’aime cette philosophie : la 3D, l’utilisation d’un rig, c’est un format différent. Spivet a représenté pour moi une évolution, c’était plus facile de trouver le volume stéréoscopique et le bon placement de la caméra pour chaque séquence, de manière à offrir le plus de possibilités lors de la postproduction et de faciliter le montage. Ce qui est formidable avec Jean-Pierre Jeunet, c’est qu’il conçoit de très bons storyboards, qui permettent de tout voir dans la chronologie du film.

Il n’y avait donc aucune inquiétude à avoir sur l’enchaînement des plans. Certains réalisateurs ont une philosophie différente et mettent systématiquement tout l’écran en profondeur, car ils tiennent avant tout au confort visuel, tandis que d’autres font une scène sans effet de profondeur et la suivante avec un effet de profondeur très important, et ainsi de suite. Je pense que la progression est importante : c’est comme un morceau de musique, le timing est très important. Mais je pense aussi que chaque séquence, si elle est bien filmée, peut être plaisante à elle seule. Je pense que le problème avec la 3D, ces dernières années, est que les réalisateurs qui débutent en font soit trop, soit trop peu. Ils ont peur. Et j’ai dit à Jean-Pierre Jeunet que j’étais heureux de travailler avec lui, car il a du courage.

Et ça demande du courage de faire un film en 3D comme Spivet, qui était le premier à utiliser la caméra Arri Alexa M, avec notamment des liaisons en fibre optique. Hugo Cabret était le premier film en 3D à recourir à une caméra Alexa, nécessitant des centaines de mètres de fibre optique qui m’ont demandé énormément de travail pour les branchements. Spivet est un film beaucoup moins cher, le plan de tournage a été respecté. Un certain nombre de journées avaient été prévues pour le tournage et il en a fallu moins.

Chaque jour nous tournions toutes les séquences prévues, et parfois quelques-unes de plus. J’ai la chance d’avoir une bonne équipe, qui n’a pas changé en quatre ans ; nous faisons de notre mieux pour travailler efficacement, mais sans perdre de vue la qualité, parce qu’en allant trop vite, on commet des erreurs.

 

Mediakwest : Quelle était la relation de Jean-Pierre Jeunet avec la 3D ?
DP : Il avait une attitude très positive. Je lui ai même dit : « Jean-Pierre, tu es tellement à l’aise avec la 3D, tu n’auras pas besoin de moi pour ton prochain film ! » Il m’a répondu : « Mais non, évidemment que j’ai besoin de toi, il faut que je m’occupe des comédiens, parfois je n’ai pas le temps de penser à la 3D pendant plusieurs jours de suite. » Parfois, il vérifie la 3D le soir, après le tournage. Mais le réalisateur ne peut pas s’occuper de chaque aspect de chaque séquence, il faut qu’il ait confiance en le savoir-faire de son équipe.

Il est tout de même important de communiquer, par exemple en proposant des alternatives ou en faisant des suggestions. Je parle toujours au cameraman pour discuter du cadrage : les cameramen pensent souvent encore en 2D, et il peut donc y avoir des problèmes avec les bords du champ ou le placement des comédiens. Je pense que c’est important d’échanger des idées, Jean-Pierre avait toujours d’excellentes idées, il a pensé par exemple aux livres pour enfants dont les pages se déplient pour faire apparaître des personnages en relief, et a joué avec cette idée de nombreuses manières différentes dans le film. Quand nous regardions les rushes, il a expliqué que pendant 20 ans il a trouvé les rushes en 2D ennuyeux, mais en 3D c’était comme découvrir un nouveau jouet. S

i l’on est intéressé par la nouvelle technologie et qu’on se penche réellement dessus, on peut ouvrir de nouvelles portes. De nombreux réalisateurs n’ont pas conscience de ce potentiel. Je pense vraiment que la prochaine génération de créateurs réinventera de nouvelles manières d’utiliser cet outil pour raconter une histoire.

 

Demain, rendez-vous avec Jean-Pierre Jeunet pour une interview Web TV Mediakwest/Satis…