« Les saisons », une aventure humaine et technologique

Le nouveau film de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud est une ode à la nature qui raconte l’évolution des forêts et des paysages en Europe durant 20 000 ans. Si les images sont à couper le souffle, la préparation technique du tournage, très rigoureuse, a laissé peu de place au hasard, les réalisateurs et membres de l’équipe ont, en effet, beaucoup travaillé en amont… (1)
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Retour en arrière : germination de l’idée et genèse du film

En 2010, Jacques Perrin tourne le téléfilm pour France 3 de Henri Helman, Louis XI, le pouvoir fracassé en Anjou. Rôle pour lequel il aura reçu le prix d’interprétation masculine au festival du téléfilm de Luchon en 2011. Le tournage se déroule dans un château au milieu d’une forêt. Jacques Perrin se demande en l’observant à quoi elle ressemblait avant… Comment la végétation était-elle ? Comment les animaux vivaient-ils ?

Ses précédents films lui ont permis d’entrer en contact avec nombre de scientifiques spécialistes de la nature sous toutes ses formes. Un dialogue démarre entre ces derniers, Stéphane Durand, auteur et conseiller scientifique et les deux Jacques, comme les surnomment affectueusement les membres de l’équipe. Petit à petit, le scénario est élaboré, le moteur en sera un voyage dans le temps du point de vue des animaux. Cette idée obéit au désir des réalisateurs de faire un film plus terrestre que les précédents, avec des destinations de tournage plus proches. Le scénario constitue un guide, une feuille de route, les recherches scientifiques nourrissent l’imaginaire des auteurs.

Vient ensuite l’étape des recherches technologiques menées avec les membres de l’équipe pour pouvoir mettre en images et en sons les idées des réalisateurs. Tous y participent avec un grand enthousiasme, heureux de faire partie de cette belle aventure, heureux de travailler avec ces hommes là, si attentifs à leurs apports. Jacques Perrin est en effet le premier à susciter et superviser les développements techniques. Cela part d’une idée de plan de la part des réalisateurs : « Nous avons ces images là dans nos têtes, comment les réaliser ? Nous voudrions suivre l’animal dans son mouvement au plus près et que le spectateur oublie la caméra… ». Qu’à cela ne tienne, les équipes trouveront les solutions.

 

Et maintenant, on fait comment ?

Jacques Perrin et Jacques Cluzaud dirigent le navire, indiquent la direction, mais ils se nourrissent de toutes les propositions de leurs collaborateurs. Le second maître d’équipage chargé d’organiser tous ces tournages éclatés et discontinus, c’est Olli Barbé, producteur exécutif chez Galatée. Il collectionnera les versions de plans de travail, soumises aux aléas climatiques et animaliers. À la fin, il comptabilisera 625 jours de tournage entre mai 2013 et octobre 2014.

La discontinuité des tournages implique de fréquentes préparations et retours de caméras chez le loueur (Panavision et HD Systems). Louma Systems et ACS furent aussi des partenaires précieux pour les supports de caméra très techniques. Les recherches scientifiques permettaient de déterminer assez précisément les lieux et dates de tournages propices. Finalement, il y eut peu de dépassements.

Il y aura eu plusieurs types de tournage et d’équipes (2) :

  • « Les tournages contrôlés »

Les animaux ont été imprégnés. Les lieux ont été rigoureusement choisis. Le plateau de tournage est délimité par des filets, les animaux sont les acteurs. L’équipe s’apparente à une équipe de tournage de fiction. Elle comprend : un réalisateur, des opérateurs (Éric Guichard, Laurent Fleutot, Michel Benjamin et leurs assistants), un DIT, un data loader, deux machinistes, deux électriciens, des régisseurs, des assistants réalisateur, un accessoiriste, des imprégnateurs, et pour les séquences avec des acteurs, une équipe habillage-maquillage-coiffure.

  • « Les tournages sauvages »

Les recherches scientifiques permettent de déterminer la date et le lieu du tournage. Les équipes sont constituées d’un opérateur animalier, de son assistant, éventuellement d’un data loader, d’un machiniste, d’un régisseur, d’un photographe.

  • « Les tournages aériens »

Ce sont des tournages en ULM ou des prises de vues effectuées avec un drone. L’équipe comprend un opérateur et son assistant, un data loader, deux pilotes d’ULM, des opérateurs de drones au besoin, les imprégnateurs, des régisseurs.

  • « Les tournages sonores »

Un chef opérateur du son se déplace sur les lieux des tournages sauvages pour enregistrer les émissions sonores de la faune sauvage et les ambiances des milieux naturels, souvent forestiers. Il intervient aussi sur d’autres sites déterminés avec l’aide de naturalistes pour effectuer la captation de sons seuls complémentaires.

Dans tous les cas de figure, aucun son synchrone à l’image n’a été réalisé pendant les deux années de tournage.

 

La préparation technique

Dans ce domaine, au même titre que les recherches scientifiques sur les animaux et les forêts, des investigations et des tests ont été menés. À l’automne 2012, une équipe image, emmenée par Luc Drion, a essayé différentes caméras en conditions de prises de vues réelles d’animaux et d’oiseaux. Pour ce faire, direction la Normandie, dans les régions de Bois-Roger et de Lisieux, pour filmer des grues cendrées, des grands ducs, des biches et des chevreuils.

En effet, Jacques et Jacques, ainsi qu’Olli, voulaient se faire une idée de « l’état de l’art » des caméras numériques de l’époque. Elles seront toutes convoquées. Océans, le précédent opus avait été tourné en numérique pour les séquences sous-marines et en 35 mm pour les séquences aériennes et terrestres. Les possibilités de l’image numérique ayant considérablement évolué depuis lors, ils voulaient voir et ressentir leurs images.

Le 4K était encore balbutiant, les prises de vue en 3D ou en scope anamorphique ont aussi été envisagées. Philippe Ros a effectué une étude prospective sur l’avenir du 4K qui a convaincu les réalisateurs et la production du bien-fondé de cette technologie. Il fallait aussi étudier les réactions des caméras sur les mouvements des animaux, surtout les battements d’ailes des oiseaux. Les opérateurs en ont profité pour tester les optiques, l’ergonomie des caméras, les stations DIT, le workflow. Les optiques retenues furent des zooms Angénieux – qui devint ainsi partenaire du film – ainsi que les focales fixes Cooke pour leur douceur et leur heureux mariage avec les zooms pré-cités.

Les stations DIT et le workflow relevaient de la compétence de François Paturel et des équipes de chez HD systems (Nicolas Polacchi et Olivier Garcia). Ensuite, les images des différentes caméras ont été montées étalonnées et projetées chez Digimage. Les réalisateurs, la production et les opérateurs les ont regardées sans savoir à quelle caméra les images correspondaient. François Paturel avait rédigé un rapport de scripte, qu’il gardait par devers lui, pour les repérer. Finalement, la Sony F65 fut choisie pour la plupart des tournages et la Sony F55, plus légère, pour les tournages aériens. Ce fut un choix de ressenti des images, de leur texture, du mouvement, des couleurs. Jacques Cluzaud explique : « Cette caméra renouvelle le regard sur les animaux. Sa très grande définition permet de voir chaque plume des oiseaux, chaque poil des animaux, chaque trait avec plus de précision et plus d’acuité. »

Outre sa grande définition, la grande taille de son espace colorimétrique et son analyse des couleurs sur 16 bits emportèrent la mise. Les nuances des plumages, des pelages et des couleurs de la forêt sont rendues dans toute leur gamme chromatique et leur variété. Cette analyse fine des contrastes et des nuances renforce visuellement l’impression d’image très définie. La Sony F65 possède un obturateur mécanique qui se révéla un atout majeur pour filmer les déplacements rapides des animaux, séparant ainsi mieux les mouvements, les définissant mieux et évitant au maximum l’effet de stroboscopie. Ajoutons à cela une grande latitude d’exposition qui permet un rendu subtil de la lumière. Cette dernière qualité fut cruciale dans les sous-bois, explique Éric Guichard, chef opérateur et superviseur de l’image du film. En effet, Éric prit le relais de Luc Drion décédé le 25 octobre 2012 sur le tournage de Belle et Sébastien d’une piqûre de guêpe, lui qui avait bravé les océans et l’Himalaya caméra au poing. Luc faisait partie du clan Galatée. Les saisons lui est dédié.

 

(1) Extrait de notre article paru en intégralité, pour la première fois, dans Mediakwest #15, pp58-62. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour recevoir, dès leur sortie, nos articles dans leur totalité.

(2) Le temps du tournage est développé dans une seconde partie qui sera publiée jeudi prochain sur le site Mediakwest…

 

crédit photo de l’image principale d’illustration : GalatéeFilms / Eric Travers