Initialement ingénieur du son spécialisé dans la production musicale puis le jeu vidéo, Martin Dutasta, après un passage chez Digigram, est depuis maintenant trois ans responsable de l’ensemble de la gamme audio chez Arturia. Basée près de Grenoble, l’entreprise créée il y a une vingtaine d’années réalise aujourd’hui une grande partie de son activité à l’étranger. Elle emploie environ 90 personnes évoluant sur différents sites situés en Europe, mais aussi sur le continent américain.
Comment est née la gamme AudioFuse et n’est-ce pas un peu risqué de se lancer sur ce marché déjà bien encombré ?
Oui, c’est un sacré pari qui a demandé d’ailleurs plus de travail qu’on le pensait au départ. La motivation initiale était de fournir l’ensemble de la chaîne, d’offrir aux utilisateurs Arturia l’expérience complète de la création du son jusqu’à sa reproduction dans l’ordinateur. Notre constat était que la carte son est un produit assez technique voire laborieux, sur lequel nous pensions pouvoir améliorer des choses au niveau de l’ergonomie, du workflow, de façon à fluidifier le processus créatif, en se plaçant du point de vue du musicien ou du producteur.
Avec l’AudioFuse, le challenge était de permettre aux musiciens qui font l’essentiel du travail dans l’ordinateur d’apporter juste une ou deux entrées pour enregistrer une voix ou une guitare et pouvoir se déplacer facilement, mais sans perdre les possibilités de gestion de monitoring qu’on retrouve dans un studio, ce qui signifie ne pas avoir besoin de naviguer dans des menus. Ça peut paraître anecdotique, mais dans la vie de tous les jours c’est important.
Donc vous sortez d’abord la petite AudioFuse…
Oui, c’était notre première interface. Nous l’avons entièrement conçue et développée en interne, à partir d’une feuille blanche avec notre propre design de préampli. La révision que vous avez entre les mains vient juste corriger quelques erreurs de jeunesse sur les connecteurs, l’affichage, la gestion des horloges, etc. C’est un produit très audacieux car dans ce petit boîtier doivent prendre place sept cartes électroniques montées en sandwich. L’ensemble est un véritable challenge dans la conception et l’industrialisation, et l’AudioFuse représente sans doute la plus haute densité en termes d’entrées/sorties et de fonctionnalités au centimètre carré sur le marché.
Et c’est sans doute pourquoi elle chauffe ?
C’est un retour que nous avons régulièrement, mais en fait, ce n’est pas le signe d’un dysfonctionnement. L’AudioFuse chauffe par design car comme on autorise des niveaux élevés, quasi broadcast, en entrée et en sortie (jusqu’à +24 dB), cela suppose plus de contraintes en consommation et en dégagement de chaleur qu’il faut évacuer. Et comme le form factor est extrêmement réduit, l’évacuation de chaleur se fait par le châssis qui sert de radiateur.
Quels sont les atouts de cette gamme ?
En premier lieu la qualité audio. Nous en sommes vraiment fiers, notamment de la qualité des préamplis. Objectivement, à la mesure en niveau de bruit, nous offrons des performances supérieures à certains matériels pro. Nous utilisons également des convertisseurs haut de gamme (signés AKM, constructeur japonais qui fournit des marques renommées comme RME, NDLR) et il y a dans l’équipe de conception un bon savoir-faire en matière d’horloge et de réjection du bruit. Au final, c’est cette addition de détails qui fait la qualité audio ressentie.
Ensuite nous souhaitions donner la possibilité à nos clients de connecter facilement une grande variété de sources audio, du vinyle jusqu’au smartphone via Bluetooth en passant par la sortie de l’ordinateur lui-même.
Donc pour ceux qui récupèrent des sources de formats différents, c’est important, sachant que si un appareil prend trop de temps à connecter, l’utilisateur finit par le laisser de côté et ne plus s’en servir. L’idée du Bluetooth vient également de mon expérience, car lorsque j’écoute Spotify, j’aime bien pouvoir basculer facilement sur mes belles enceintes, juste en pressant un bouton, et ce même quand l’ordinateur est éteint, puisque nos interfaces peuvent fonctionner de façon autonome. C’est bête, mais au quotidien, la somme de ces petites fonctions fait la différence…
Quels sont les premiers retours ?
Commercialement ça démarre bien au niveau des ventes, et les commentaires sont élogieux dans la presse spécialisée et parmi les blogueurs. Évidemment, nous avons encore un déficit de reconnaissance à combler sur lequel nous travaillons.
Avez-vous des développements futurs en prévision ?
Oui, il y a de gros projets en cours de développement. Nous avons souhaité sortir l’AudioFuse 8Pre et l’AudioFuse Studio le plus rapidement possible après l’AudioFuse pour montrer aux utilisateurs que nous n’étions pas venus sur le marché juste pour un coup d’essai, mais bien avec l’intention d’y rester et de développer une gamme. Nous investissons sur le long terme, il y a une équipe dédiée à cette ligne de produits. Nous voulons vraiment réussir et être perçus comme un acteur sérieux et reconnu sur le marché audio, tant logiciel avec les plugs-in, que matériel avec les interfaces.
Quid du Thunderbolt ou de l’audio sur IP en complément de l’USB dont les performances restent limitées en matière de latence ?
Difficile à dire pour l’instant. En tout cas, notre ambition première est de satisfaire en priorité les besoins des musiciens, mais les frontières ne sont pas étanches et un produit comme l’AudioFuse Studio me semble bien dimensionné pour équiper des cabines de postproduction par exemple.
Après, les technologies évoluent et nous les suivons de très près car notre gamme est destinée à s’étoffer. Effectivement, la latence est inhérente au protocole de transport de l’audio de l’USB, et comme les évolutions sont « backward compatible », il n’y a pas vraiment d’amélioration sur ce point. En d’autres termes, on augmente juste le « diamètre » du tuyau mais pas son débit.
D’ailleurs il y a également pas mal de confusion autour de l’USB-C qui n’est pas un protocole de transport mais juste un standard de connecteur dans lequel passe l’USB2, l’USB3 ou le Thunderbolt.
Ce dernier reste un standard assez peu répandu car il représente un investissement énorme, ce qui explique que très peu de fabricants aient fait le saut. D’un côté, les droits de licences sont élevés, mais surtout, le Thunderbolt n’est pas un protocole « long term ». Il n’y a donc aucune garantie sur sa longévité. Tout peut changer du jour au lendemain comme on l’a vu lors du passage de Thunderbolt 2 à 3. Pour un industriel, le risque est important. En comparaison, l’USB2 reste un standard bien plus sûr, même s’il a effectivement ses limites en termes de latence.
Pour compléter cette interview, retrouvez l’article Le mixage tient dans la poche avec AudioFuse…
Article paru pour la première fois dans Moovee #4, p.46/47. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.