Annecy : entre innovation et préservation

Le Festival International du Film d’Animation d’Annecy, qui s’est déroulé du 10 au 15 juin 2014, a permis de prendre le pouls d’un secteur à la vitalité certaine mais dont plusieurs symptômes mettent en lumière la fragilité de l’état général.
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Événement majeur de la planète Animation, le FIFA d’Annecy et son versant économique, le MIFA, ont une nouvelle fois prouvé leur pertinence même si un programme pléthorique et quelques « postures » ont parfois décontenancé les festivaliers. Il n’en demeure pas moins que c’est ici que les chaînes de télévision font leur marché et que l’innovation se dévoile avec, en toile de fond (nationale), la crainte de la réforme sur l’intermittence.

 

 

Google : l’anim’ interactive sur smartphone

Google a présenté, durant la semaine, une initiative élaborée dans le cadre de son programme ATAP (Advanced Technology And Project) qui vise à soutenir des projets de développement autour de la téléphonie mobile. Parmi ceux-ci, figure une série de courts-métrages d’animation qu’on pourrait qualifier, sinon d’interactifs, du moins d’immersifs. « Dans le cadre de ce programme, nous avons conçu avec une équipe d’animateurs et une équipe issue du jeu vidéo, des courts-métrages à visionner sur smartphone », explique Jan Pinkava (Geri’s Game et Ratatouille). « Nous avons pensé créer des films d’animation en nous affranchissant de toutes les règles de la cinématographie : cadre, champ contre champ, cut, etc. »

 

Deux courts-métrages ont été produits, Windy Day et Buggy Night, selon les mêmes règles : pas d’interaction avec les personnages, pas de choix narratifs et pas d’action nécessaire. Une fois l’app téléchargée, le film déroule sa narration mais le mobinaute peut déplacer sa caméra comme il le souhaite dans l’environnement comme un jeu en temps réel. En « quittant » l’action principale, on peut découvrir des éléments de décors, d’autres personnages ; l’histoire première reste en pause jusqu’à ce que l’on y revienne. « La géométrie change au fur et à mesure qu’on avance dans l’histoire », explique Jan Pinkava, ce qui fait qu’un rocher brun devient quasi instantanément… un dos d’ours brun une fois que votre caméra ne l’a plus dans le champ, permettant ainsi à l’histoire de dérouler.

Pour Buggy Night, le smartphone/caméra joue les lampe-torches qui éclairent une partie de la forêt où l’on trouve des insectes qui, dérangés dans leur environnement nocturne, vont se cacher de la lumière. Tout l’environnement non éclairé recèle d’autres personnages que l’on peut également éclairer.

 

Si le concept s’avère bluffant, la conception de la bande son l’est tout autant : Pinkava et son « studio nomade » (car il n’existait aucune structure fixe à proprement parler) ont conçu une architecture sonore avec des plages de musique assemblées par chevauchement comme les tuiles d’un toit, pour un rendu totalement spatialisé. « Cela permet de naviguer où bon vous semble sans perte de son, ni coupure ». En outre, plus on s’éloigne de l’action principale, plus la musique perd en intensité et ne devient qu’une bande d’arrière-plan… qui reprend toute sa vigueur quand la caméra se rapproche des héros.

 

Ces courts, offerts gracieusement aux détenteurs du Motorola Moto X, sont visibles sur YouTube dans une version linéaire. Un troisième court, signé Glen Keane, est actuellement en développement.

 

 

Pourquoi j’ai (pas) mangé… La mocap selon Jamel

Il faudra patienter encore jusqu’en avril 2015 pour voir le long-métrage d’animation en capture de mouvements Pourquoi j’ai (pas) mangé mon père de et avec Jamel Debbouze mais les premières images présentées par Marc Miance, producteur exécutif du film via sa société Let’So Ya !, étaient prometteuses.

Hormis 10’ d’animation keyframe, l’intégralité du film a été tournée en capture de mouvements, sur un plateau de 150 m2 à Stains. Outre les 60 caméras disposées sur celui-ci, les acteurs portaient des casques sur lesquels était fixée, via un rig, une petite caméra pour capturer les mouvements du visage. « Nous avons développé cet ensemble spécifiquement car les marqueurs représentent non seulement un investissement important mais, en outre, ils ne prennent pas en compte le regard. Or, sur ce film, nous avons choisi de créer les personnages en 3D à l’image des acteurs physiques et il nous semblait inconcevable de déconnecter la capture des mouvements du corps et du visage ». L’ensemble Headcam pèse 350 g seulement, loin des 5 kg habituels !

 

Afin que Pathé, le producteur, et Jamel Debbouze, le réalisateur puissent « voir le film avant qu’il n’existe », Marc Miance a proposé une étape intermédiaire dite de « visualisation ». « Nous avons sorti chaque séquence en qualité PlayStation 2 pour juger de son découpage, de son rythme ». Concrètement, tous les éléments capturés sur le plateau ont été transférés dans MotionBuilder avec la projection sur le visage des personnages 3D des vidéos réalisées via les Headcams, et ce, juste après le tournage. « Cette maquette de film n’est pas belle à proprement parler mais elle a permis à Jamel Debbouze de poser ses caméras et de tester dans l’environnement ce qui était vraiment dédié à la mise en scène, sans se soucier de la technique ».

 

Pour la postproduction, qui inclut le surfacing des assets, l’éclairage, le rendu et le compositing, Marc Miance a choisi de faire appel à Prana Studios, basé en Inde. Le producteur exécutif a passé un an là-bas, avec des visites régulières du metteur en scène, pour superviser cette partie plus technique.

 

Outre Jamel Debbouze, le casting va comporter quelques figures – au sens littéral du terme – connues. En effet, pour internationaliser le film, décision a été prise de commercialiser le visage de certains acteurs, stars en leurs pays (Italie, Chine). Une sorte de « placements de visage » que Marc Miance décrit comme « un moyen d’éviter la délocalisation ». Outre ces stars bien vivantes, Pourquoi j’ai (pas) mangé mon père comptera également… Louis de Funès, dont la production a acquis le droit à l’image. Au vu des premières images, il faut admettre que « Fufu » est tel qu’en lui-même : bluffant !

 

 

 

Bot&Dolly : l’avènement des machines

Si les effets visuels de Gravity sont à mettre à l’actif de Framestore, force est d’admettre que ces images réglées au millimètre près sont issues du patient travail des ingénieurs de Bot&Dolly. Cette société américaine, rachetée par Google en décembre dernier, a conçu des logiciels dédiés au motion control pour le cinéma sur des bras robotisés.

Pour le long-métrage d’Alfonso Cuaron, Framestore a mis au point une Lightbox, une boîte comportant 80 panneaux en LED, seule source lumineuse à même de fournir un éclairage constant. Les panneaux de cette boîte au sein de laquelle venaient se placer les acteurs, ont également servi d’écran pour projeter les environnements en images de synthèse créés par Framestore. Ainsi que le résume Nicolas Scapel, en charge du rigging chez le studio britannique, « si on ne peut pas faire tourner les acteurs avec la lumière, faisons le contraire ». En plus de ces projections de décor, des points rouges ont permis à George Clooney et Sandra Bullock de repérer la direction qu’ils devaient donner à leurs regards en fonction du script.

 

Les images générées par Framestore ont ensuite été intégrées dans BDMove, le logiciel d’animation de Bot&Dolly, ce qui a permis de recréer les mouvements de caméras à l’identique pour filmer les acteurs. « C’était notre première vraie production de motion control sur des mouvements de caméra de cette ampleur », explique Tarik Abdel-Gawad, creative technology au sein de Bot&Dolly.

Ce dernier a ensuite présenté Box, un court-métrage à visée promotionnelle qui met en scène un acteur (lui-même) entouré de deux panneaux rectangulaires fixés sur des bras robotisés : « Nous avons testé le projection mapping sur des objets en mouvement en projetant des éléments très graphiques qui donnent une impression de profondeur et de déplacements ».

 

Pour parvenir à ce résultat qui allie innovations technologiques et illusion pure, Bot&Dolly a, dans un premier temps, installé deux bras robotisés et leurs rails dans un hangar. En parallèle, avec leur logiciel propriétaire de modélisation et d’animation, BDMove, ils ont intégralement recréé le plateau, les deux bras et les panneaux sur lesquels allaient être projetées les images numériques réalisées conjointement avec Maya. « Nous avons également utilisé Houdini et le framework ouvert Alembic de Google pour matcher les mouvements des caméras virtuelles, les déplacements des bras et les éléments 3D projetés ». Le résultat est visible sur : http://www.botndolly.com/box.

 

 

SPFA : inquiet pour l’emploi…

Comme chaque année à Annecy, le SPFA (Syndicat des Producteurs de Film d’Animation) présentait son bilan à la presse et aux professionnels. Cette année, le focus était porté sur l’emploi et la capacité des productions françaises à s’exporter.

Parmi les chiffres évoqués, le syndicat a pointé une stabilité du volume de productions TV en 2013 avec 326 heures, ce qui reste dans « la moyenne des dix dernières années », précise Stéphane Le Bars, Délégué général, avec des grandes disparités tout de même.

France Télévisions représente 45 % des apports (soit 23 à 24 M€ par an) et TF1 21 % (11 M€) sur la période 2009/2013. Avec le renouvellement de l’accord signé le 27 mai entre le groupe public et le SPFA, sont prévus 58,2 M€ d’investissements pour 2014/2015, ce qui représente « 4 000 heures de diffusion annuelles avec un minimum de 700 heures sur France 3 et France 5 ».

Le syndicat a ensuite pointé les moins bons élèves. Canal+ étant assujetti à une obligation d’investissement fixée à 0,155 % de son CA (environ 2,5 M€), le groupe a entamé une décélération assez nette, entamant avec 3,7 M€ en 2012 (versus 7,6 M€ en 2009) « une descente douce vers le taux plancher de leurs obligations ».

Les obligations de M6 portent sur 1 % de son CA et, depuis 2009, la chaîne reste au plancher de ses obligations… En investissant uniquement dans le long-métrage et délaissant de facto l’audiovisuel. « Il s’agit d’une perte de près de 8 M€ d’investissement, entre Canal+ et M6, sur la période 2009-2012 pour une somme globale de 60 M€ ».

 

 

… Fragile sur l’export de films

« Porteur mais à risque », c’est ainsi que le SPFA a qualifié le marché international. Côté signes encourageants, on notait 62,7 M€ de recettes à l’exportation en 2012, soit une augmentation des préventes de 8 % (18,8 M€) et des ventes de 24 % (43,9 M€), ce qui est un niveau historique. Autre point positif, la diversification des zones d’exportation. 

Le syndicat notait également une augmentation de la part des dépenses de fabrication en France, passant de 43 % en 2003 à 61 % en 2013 ainsi qu’une augmentation de 49 % de la dépense horaire. Dans le même temps, le SPFA a clairement demandé une réforme de l’actuel COSIP, inchangé depuis 2004 avec « une mise en place en 2015 ».

C’est sur le versant des longs-métrages que la situation est plus tendue : 12 films produits en 2012 dont 10 films d’initiative française (FiF) contre 6 (dont 4 FiF) en 2013 et « seulement 10M € de financement encadré ». Et 2013 affiche un compteur encore plus en berne : 3 films d’initiative française (1 pour Arte, 1 pour Gulli et 1 pour M6) avec l’absence criante de France Télévisions.

Le SPFA a tenu à demander « un renforcement de la structure de financement encadré et la création d’un compte de soutien sélectif, un taux de crédit d’impôt placé à 30 % ». Dernière proposition : l’ouverture d’une case de diffusion le dimanche à 18h00. « Nous savons que c’est une case interdite », a admis Stéphane Le Bars, « mais il faut que cela bouge. On est face à un risque d’écartèlement de la production entre les gros films fabriqués en majeure partie ou en totalité à l’étranger et les petits films aux moyens limités. Dans cette situation, il est très difficile de parvenir à faire exister les films dits du milieu », soit avec des budgets compris entre 7 et 15 M€.

 

Pédagogue et toujours un peu démonstratif dans l’approche, le SPFA a conclu avec des exemples de la pertinence d’un soutien plus affiché à la filière Animation. Ainsi, Moi, moche et méchant 2, qui a bénéficié du Crédit d’Impôt International (C2I) à hauteur de 7,8 M€, a provoqué des retombées très éclairantes : « 1 € de C2I a généré 6,7 € de dépenses en France dont 6,1 € en salaires et charges. Et 1 € de C2I a généré 3,9 € de recettes directes pour l’État français ». Pédagogue et démonstratif.