Cécile Gonfroid, l’innovation comme moteur

Un retour d’expérience enrichissant, que vous soyez producteur indépendant ou patron de chaîne de télévision ! Direction Bruxelles avec Cécile Gonfroid, ex-réalisatrice et productrice TV (formule 1, football) à la RTBF, devenue directrice générale des technologies de l’entreprise.
Le POC Régie 42. « L’expérience TX : c’est une expérience totale de A à Z », explique Cécile Gonfroid. « Donc la RTBF souhaite apporter la même expérience en interne pour le personnel qu’au public au travers du service Auvio par exemple. » © DR

 

L’actualité est dense, notamment avec de nouveaux locaux prévus dès septembre 2024. Douze principes structurants sont au cœur du projet des Technologies de la Radio-télévision belge de la Communauté française. Coulisses d’une transformation.

 

Régie universelle, « Flexible Control Room », service de streaming Auvio… Quel retour faites-vous des récentes innovations lancées à la RTBF ?

Cécile Gonfroid, directrice générale des technologies de la RTBF. © DR

Cécile Gonfroid : Auvio est vraiment novateur. Le service propose du direct ou de la vidéo à la demande, gratuit ou payant, TV ou radio, et même des podcasts… Nous avons développé notre propre MAM qui s’interface avec l’ensemble de nos écosystèmes (OpenMedia, Netia, Adobe…). À l’IBC 2023, nous avons présenté un vélo cargo « Green » pour la production !

 

Côté studios, la RTBF a également été précurseur dans la radio visuelle…

Oui. C’était un développement interne. Nous avons automatisé la production et plus particulièrement la vidéo qui suivait l’audio. Nous voulions mettre en avant l’importance de l’audio. Il fallait s’occuper des graphismes, des images… Une seule personne gère l’antenne. Et cela passe à l’antenne TV, ce qui n’était pas le cas à l’époque.

 

Votre modèle en termes d’innovation est lui aussi innovant.

Nous sommes des précurseurs parce que nous sommes différents. Nous sommes un Média Global, comme le dit Jean-Paul Philippot. La difficulté réside dans le passage de l’innovation à l’industrialisation. Nous devons couvrir le cycle de production complet… et pourquoi pas aller jusqu’à vendre la technologie (ce que nous ne faisons pas aujourd’hui). La régie universelle est codéveloppée avec EVS. Nous toucherons des royalties sur la vente. Les innovations technologiques nécessitent un accompagnement au changement : processus, métiers, méthodes de travail.

 

Le vélo cargo « Green » de la RTBF à l’IBC 2023. © DR

 

À ce sujet, comment gérez-vous ces profonds changements technologiques ?

Nous sommes en train de revoir les profils. En régie, ce sera peut-être un opérateur de flux vidéo et audio. Les métiers ainsi que les compétences évoluent et changent. Chacun doit trouver sa place. Nous devons promouvoir la mobilité interne et accompagner. Cependant, les équipes doivent avoir envie de changer. Le train passe, et ils doivent monter à bord.

 

Vous qualifiez la RTBF de « early follower » (entre « early adopter », toujours à la pointe de l’innovation, et « follower », qui se nourrit des innovations et suit les tendances). Qu’est-ce que cela signifie ?

Nous avons douze principes en technologie. Le premier, c’est d’être un « early follower ». Le comité exécutif ne souhaite pas que nous soyons dans l’innovation pure. Nous n’en avons pas les moyens. Nous devons bien doser l’innovation et les choix structurants. Nous devons travailler avec des sociétés matures (Cisco, Adobe…). Notre force est l’équilibre. Sur l’utilisation de l’IP en production ou de la 5G, nous avons suivi rapidement

 

À propos d’IP, un déménagement de bâtiment est un formidable moyen de moderniser les installations, qu’en est-il ?

Nous aménagerons la salle ICT le 1er septembre 2024 ! Le nouveau bâtiment sera entièrement IP et full software. Nous devrons encore déployer des interfaces physiques car certains métiers ont encore besoin d’interfaces. Nous faisons un mélange entre Capex et Opex pour trouver un équilibre financier. La data est au cœur du projet.

 

Donner à la data et aux métadonnées une place centrale axée sur la création de valeur est d’ailleurs l’un de vos douze principes.

Oui, tout comme la sécurité par design. Depuis sept ou huit ans, nous travaillons sur la sécurité. Sortir des ego-systèmes pour aller vers les écosystèmes. En effet, nous ne pouvons plus rester un média global reconnu sans aller vers les écosystèmes et les partenaires. Nous devons faire des marchés et des choix à un ou deux ans en amont. Nous devons avoir la capacité de nous projeter. Le business a une stratégie long terme et une vision opérationnelle. Mais le moyen terme est compliqué. Donc la difficulté est de trouver le juste milieu à partir d’outils structurants et évolutifs et de se prémunir des risques.

Est-ce qu’on retrouve la même approche à la VRT (le groupe média public néerlandophone) ?

La VRT a choisi d’améliorer l’existant dans son nouveau bâtiment. La RTBF a choisi de tout changer. Fin 2022, nous avons lancé un plan de changement et de communication dont des techno cafés avec les équipes pour renforcer notre communication et l’embarquement des équipes. Les équipes doivent avoir une bonne connaissance du business. Nous changeons les outils, les métiers. Nous sommes audacieux ! Il y a une volonté d’ouverture vers les écosystèmes… mais notre infra doit rester solide et sécurisée.

 

Quels sont vos principaux défis techniques aujourd’hui ?

Un des défis d’un point de vue processus, c’est de suivre les évolutions technologiques et de les intégrer si elles font sens. Nous ne pouvons pas ignorer l’intelligence artificielle (IA) par exemple. Notre ADN est au cœur de nos projets, en tant qu’opérateur de confiance (avec un support 24/7), co-créateur avec le business et initiateur de changement.

 

Les douze principes structurants des Technologies de la RTBF issus de son schéma directeur technologique : « Technovision 2027 – La réflexion stratégique pour et par les technos ». © DR

 

Être un opérateur, qu’est-ce que ça signifie dans la pratique ?

50 % de l’activité revient à fournir du support et fournir un SLA correct à nos partenaires. Par exemple, dans les projets, nous lançons des postes de travail universels métier pour l’audio et la vidéo configurés en fonction du besoin. Nous devons être « story-centric » à travers un SI unique et centralisé. Dans les régies, le personnel doit pouvoir avoir accès à n’importe quelle source et toujours fournir un service de qualité.

 

Quelle est pour vous la plus grosse révolution pour la RTBF aujourd’hui ?

Il n’y a pas de révolution. Nous souhaitons être « digital first » tout en restant un média traditionnel (avec la diffusion des chaînes, des studios, etc.). Notre stratégie 2027 suit deux axes :

1) faire sens dans un monde personnalisé (utiliser mieux la data tout en restant service public, au travers d’algorithmes de service public et l’utiliser au mieux) ;

2) devenir le premier producteur de propriété intellectuelle.

Les majors sont là pour le reste. Nous devons travailler sur nos productions propres.

 

La RTBF autoproduit une part importante de ses programmes, quel est l’impact pour la technique ?

Nous devons garder des moyens de production en interne : cars, studios, systèmes d’information (SI), plates-formes. Le défi, c’est la double culture de l’entreprise : l’ancienne culture et la culture digitale. Certaines personnes peuvent produire hors filière et c’est compliqué. Nous construisons pour répondre à l’ensemble des besoins. Comment ramener les productions de l’extérieur tout en les sécurisant ?

Certains veulent prendre des routes de campagne. Nous offrons une autoroute. Permettre d’aller sur les petites routes favorise l’innovation. Donc nous devons trouver le juste milieu. Nous voulons privilégier la data et les archives. Nous voulons pouvoir retrouver les données même si elles sont produites sur smartphone.

 

Quel est le secret du grand écart entre les grosses émissions et une prod pour un réseau social par exemple ?

Nous devons être réactifs mais structurés pour répondre aux besoins de la production. C’est l’industrialisation pour des productions comme The Voice, les Francofolies, les Diables Rouges. À l’opposé, nous produisons pour Twitch. Nous devons trouver l’équilibre. L’autoproduction est la force de la RTBF. Je me bats pour la conserver. Nous nous ouvrons avec l’écosystème. Mais nous gardons la production propre en Belgique francophone.

 

Vous étiez réalisatrice, vous êtes directrice générale des technologies. Comment résumeriez-vous les aspects positifs ou négatifs du fait d’être une femme dans un monde très masculin ?

Quand je suis arrivée au service sport, j’étais la première femme à réaliser un match de foot et une course de Formule 1. C’était une évidence. C’était le regard des autres qui était différent. En arrivant dans la techno et l’IT, c’était la même chose. Ça a été une force, une autre manière de manager. Je suis pour la diversité dans son ensemble : origine, handicap, sexe. Avec la data et l’IA, on a besoin de tout ça. Ça ne me choque plus ! On disait autrefois : « Tu es la seule femme dans la salle ». Cela a plus perturbé les autres que moi !

 

Est-ce que vous regrettez la vie de « saltimbanque » ?

Par moments oui ! Tu prépares ton émission, tu as ensuite un sas de décompression. Je suis une grande fan de foot et de golf notamment. Je peux passer du temps à regarder du sport. Mon rôle aujourd’hui fait que c’est non-stop avec la proximité du business.

 

Pouvez-vous nous donner un exemple de projet dont vous êtes particulièrement fière ?

Il y en a plein. Un des projets a été d’avoir mis les technologies dans la stratégie de l’entreprise. Je suis présente au comité de direction. Les technologies à la RTBF sont parfois moteur de la stratégie de l’entreprise. Je suis très fière d’avoir fait évoluer l’entreprise dans sa numérisation en interne ou en externe. Au moment du Covid, nous étions prêts car les processus et l’infra étaient prêts. La direction des technologies est aujourd’hui partie prenante.

 

Le mot de la fin ?

Tout cela nécessite des équipes. Le principal enjeu c’est l’humain et notre capacité à innover dans ce monde dingue. On accompagne les équipes dans les défis qui nous attendent. On ne doit pas les laisser sur le quai ! L’humain est et restera au cœur des technologies.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #55, p. 98-100