Circul’Art 2 Écoresponsabilité, l’heure du passage à l’acte a sonné !

En avril 2022, le projet Circul’Art 2, porté par Film Paris Région, rendait ses conclusions après quinze mois d’étude et d’enquête sur l’écoresponsabilité dans le secteur audiovisuel. État des lieux, chiffrages et solutions innovantes y furent présentées.
Glace maquillage, créée et fabriquée par Nestor. © Nestor Factory

 

Circul’Art 2 est né le 25 janvier 2021, lors du Paris Images Production Forum, avec le soutien d’acteurs du domaine : la région Île-de-France, l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et Ecoprod (association pour la sensibilisation du secteur audiovisuel et cinématographique à son impact sur l’environnement). Dans le cadre des COP Région Île-de-France inaugurées en 2020, le principal objectif de cette initiative était tout d’abord de dresser un bilan de l’enjeu environnemental qui se présente à cette région attirant plus de 50 % des tournages français.

L’audiovisuel français consomme environ 1,7 million de tonnes de CO2 par an, soit le bilan carbone de 185 191 Français. Le constat est alarmant : pour respecter les capacités de la planète, la France devrait diviser ce chiffre par cinq. La sortie de la crise sanitaire aura d’ailleurs une lourde conséquence sur cette donnée, de par l’explosion des productions audiovisuelles par les plates-formes de streaming à la demande. Le calendrier de location de certains studios est par exemple déjà complet pour plusieurs années.

 

La sensibilisation aux bons gestes est importante, et Secoya apporte toute son expertise. © Secoya

Face à une telle prise de conscience, Circul’Art 2 a donc réalisé plusieurs études pour cerner quelles étapes de la production polluaient le plus et comment réduire leur bilan carbone. Les résultats d’une étude d’impact sur la base de 331 réponses ont notamment permis de sensibiliser près de 300 professionnels sur l’ensemble des événements organisés ainsi que plus de 500 personnes, rien qu’à la table ronde Circul’Art 2 durant le Paris Images Production Forum 2021. Des matinées portes-ouvertes de l’écoproduction et plusieurs réunions de présentation sont aussi venues compléter l’action de sensibilisation qui s’est également déployée en ligne, avec la création de trois vidéos, un guide des ressources et une fiche pratique.

 

Un membre de l’équipe de Secoya sur des tournages, pour favoriser les éco-tournages. © DR

Travailler en studios : bénéfique, mais encore trop polluant

La création audiovisuelle en studios est avantageuse car elle permet de maîtriser les frais de production et minimiser l’usage de certains matériaux. Dans le même temps, le tournage d’un film de fiction à 5 millions d’euros de budget en studio produit en moyenne 15 tonnes de déchets, une benne équivaut à 100 m² de décors. En outre, les grosses productions ne montrent particulièrement pas l’exemple : 200 km de tasseaux de bois ont été utilisés par l’équipe de Valérian de Luc Besson, ou encore 2 000 m² de décors ont été construits pour reconstituer la Maison Blanche du film Jackie en 2015…

Éco-Déco, groupe œuvrant au sein de l’ADC, l’association des décorateurs et décoratrices de cinéma, a travaillé de concert avec l’association Ecoprod pour qu’une prise de conscience générale émerge dans le secteur. La démarche est importante car le département décoration d’une production concentre non moins de 20 % des dépenses énergétiques. Les échos sont positifs puisqu’une enquête menée auprès de 331 professionnels de tous les corps de la décoration (postes de chef, d’assistant, régisseur, ensemblier, peintre…) a montré que 99 % d’entre eux étaient intéressés par une formation dédiée à l’écoconception, ou encore que 91 % des sondés estimaient que le studio est le lieu optimum pour favoriser l’écoconception.

 

Une prise de conscience qui débouche sur des initiatives

La gestion des déchets devenant un enjeu central dans la réduction du bilan carbone des productions audiovisuelles, des solutions alternatives se développent. Circul’Art 2 a, par exemple, mis en avant le travail exemplaire de La ressourcerie du cinéma, dont le modèle économique repose sur une économie circulaire des décors de cinéma réutilisables, vendus ou loués à 50 % aux professionnels des décors.

Les studios d’Épinay TSF ont aussi mis en œuvre un ensemble de mesures, à la suite du constat suivant : la cantine et la déconstruction des décors sont deux des activités qui engendrent le plus de déchets. Parmi les actions mises en place, la diversification des flux de déchets est un grand progrès, pour aider à la gestion des bio-déchets, mais aussi des piles, peintures ou aérosols, et enfin, la récupération de matériaux comme les rolidals et les béquilles des feuilles de décors. Un nouvel enjeu émerge également : il s’agit désormais de trouver des espaces de stockage pour conserver et réutiliser l’ensemble des matériaux réutilisables.

 

La « racoon », roulante autonome qui permet de laver et sécher des gobelets réutilisables quel que soit le lieu du tournage ; une innovation Nestor. © Nestor Factory

Des solutions concrètes pour accompagner les productions

L’un des reproches récurrents fait à l’écoproduction consiste à dire qu’il est difficile de mettre en application de meilleures pratiques responsables. L’entreprise Secoya, venue présenter son modèle de conseil, d’accompagnement et de formation des professionnels, aide à concrétiser ces objectifs. Son outil Secoset facilite la structuration du projet. L’outil intègre par exemple des critères à valider pour obtenir l’attestation « production responsable », ou encore des recommandations éco-responsables par thématiques et métiers. Avec Seco2, les productions audiovisuelles pourront structurer la réduction de l’impact carbone en amont, depuis les informations du projet, grâce à des estimations personnalisées.

Ce premier dispositif est complémentaire de ce que propose Nestor Factory. Cette entreprise accompagne les régies et HMC (habillage, maquillage, coiffure) des tournages. Avec leur entrepôt de 3 000 m² situé à Noisy-le-Sec, cette équipe de 18 personnes au service de plus de 1 000 tournages par an propose 700 références disponibles à la vente ou à la location, ainsi que 20 produits innovants. Son catalogue de matériel de qualité et durable est complété chaque année avec de nouveaux matériels adaptés aux besoins des régies, à l’instar du racoon, fabriqué dans ses locaux, qui permet de laver une centaine de Gobelets à l’aide de deux réservoirs d’eau de 25 L.

 

Qarnot mesure l’empreinte carbone des projets et apporte des solutions en matière énergétique pour faire de l’effet Joule une source utilisable de chaleur © DR

 

La pollution numérique, un problème brûlant

Lors de ce bilan 2022 de Circul’Art 2, Film Paris Région a également mis en avant des innovations pour réduire drastiquement la pollution numérique comme celles proposées par les entreprises Qarnot et Frames Dealer. La première mesure l’empreinte carbone des projets et apporte des solutions en matière énergétiques pour faire de l’effet Joule une source utilisable de chaleur, par exemple en disposant des data centers dans des sous-marins (projet Natick) ou à proximité de bâtiments nécessitant d’être réchauffés, l’énergie peut aussi être plus largement réutilisée et envoyée vers la ville (heat network). Par sa part, Frames Dealer lutte contre la pollution numérique en s’appuyant sur un réseau international et une base de données et en proposant aux productions des rushes « dormants ». L’initiative évite d’envoyer des équipes aux quatre coins du monde pour tourner quelques minutes de vidéo et il est même possible de tourner les images précises à partir d’une demande particulière, grâce à un réseau mondial de filmmakers.

Ces deux sociétés ont en commun de proposer un accompagnement sur-mesure aux productions. La pollution numérique est réellement un problème majeur (1 600 millions de tonnes de CO₂, soit 4 % de l’empreinte carbone mondiale) qui doit être maîtrisé rapidement et ces initiatives sont un point de départ non négligeable pour réduire la consommation énergétique dans le milieu audiovisuel.

 

De nouvelles lois pour de nouveaux défis

Pour accompagner la transition écologique et dans l’attente d’une réglementation plus stricte sur le plan légal, européen ou international, certaines collectivités ont déjà pris des mesures écoresponsables. C’est le cas de la collectivité de Corse qui propose désormais un éco-bonus de 15 % pour les productions présentant des initiatives écoresponsables. Le fonds de soutien Cinéma et audiovisuel de la Région Île-de-France propose également une bonification pour des pratiques innovantes, de 25 000 à 75 000 euros pour des films au budget inférieur à 6 millions d’euros, et jusqu’à 100 000 euros pour un budget supérieur.

Le défi climatique ne peut être porté uniquement par les institutions régionales. Pour faire face à son ampleur, le CNC a aussi mis en place le « Plan Action ! », pour « une politique publique de la transition écologique et énergétique »1. Celui-ci a prévu de se déployer en trois phases jusqu’en 2024 : inciter, sensibiliser la filière et former (2022) ; obliger toute œuvre financée par le CNC à présenter un bilan carbone, accompagner la rénovation thermique des salles et studios, définir les objectifs à atteindre dans les domaines de l’approvisionnement et la gestion des déchets, la mobilité et le numérique (2023) ; de nouvelles obligations, des mesures basées sur un budget carbone de référence des œuvres, conditionner les aides au respect d’obligations environnementales (2024). Sera-t-il adopté par la filière dans les délais ? Et surtout suffira-t-il pour maîtriser le réchauffement climatique ? Sans doute pas, mais il faut trouver des solutions rapidement, car pour cette question, le temps nous est désormais compté.

 

(1) https://www.cnc.fr/professionnels/actualites/lancement-par-le-cnc-du-plan-action–pour-une-politique-publique-de-la-transition-ecologique-et-energetique_1490879

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #47, p. 98-100