Collaborer avec les plates-formes, retour d’expériences Made in France

Netflix, Amazon Prime Video, Apple TV+, Disney+... Les plates-formes SVOD américaines sont omniprésentes et deux petites dernières se déployant uniquement aux États-Unis aujourd'hui les ont même rejointes : WarnerMedia avec HBO Max et NBCUniversal avec Peacock. Mais quelle place ces géants internationaux comptent-ils laisser à la création française ?
© Emmanuel Nguyen Ngoc

Devons-nous nous attendre à un raz-de-marée américain hégémonique ? Qu’en sera-t-il de l’exception culturelle française ? Plutôt que d’attiser ces craintes, nous avons préféré mettre en parallèle trois retours d’expériences qui, chacun dans leur domaine, permettent de démystifier un peu les choses, voire de considérer les plates-formes SVOD comme une opportunité de redistribuer les cartes et permettre d’insuffler un renouveau dans la production française, européenne et internationale…

 

L’expérience du studio français Unit Image

Unit Image fabrique à la base essentiellement des trailers pour l’industrie du jeu vidéo et des effets spéciaux pour des longs-métrages. C’est un studio d’animation français 3D VFX spécialisé dans l’animation très réaliste et très détaillée de la reproduction de l’être humain.

Célia Digard, directrice des productions chez Unit Image, relate qu’ils ont été contactés par Netflix via l’intermédiaire du studio américain Blur Studio pour produire un épisode d’un projet fou, à la hauteur de ses producteurs David Fincher (Seven, Fight Club, Mindhunter) et Tim Miller (Deadpool et fondateur de Blur Studio, studio d’animation qui réalise aussi des trailers de jeux vidéo aux États-Unis). Unit Image a donc ainsi réalisé l’épisode Derrière la faille (Beyond the Aquila Rift) pour la série d’anthologie d’animation pour adultes, Death, Love + Robots. La série comprend 18 épisodes. Le synopsis de l’épisode 7, réalisé par le studio français, est celui-ci : l’équipage d’un vaisseau à la dérive se réveille à des années-lumière de sa trajectoire d’origine… Les épisodes sont indépendants les uns des autres et chacun reprend une technique d’animation spécifique et différente : stop motion, 2D, etc.

Célia Digard explique que cela a été une prise de risque pour Netflix. Ils auraient très bien pu rester aux États-Unis et travailler avec des studios américains… Ils ont fait la démarche d’aller contacter également des studios coréens ou hongrois. Pour Unit Image, l’animation pour adultes était une sorte de « rêve secret » ! Cela a clairement été une chance pour eux de pouvoir s’inscrire et collaborer au projet alors qu’ils n’avaient jamais fait de production aussi lourde. Habituellement, ils doivent rendre un trailer de 3 à 4 minutes maximum. Dans ce cas, la commande était un épisode de 14 minutes !

La production de l’épisode a duré plus d’un an. Leur intermédiaire avec Netflix était le studio Blur. Ils ont disposé d’un script comme seule base de travail et, pour reprendre les termes de Célia Digard : « Tout s’est déroulé de manière très fluide en nous laissant une grande liberté car le point de départ était uniquement un script et pas une licence de jeu où il faut respecter l’univers du jeu. » Ils ont alors pu créer le design et même faire des propositions. Les choses n’étaient pas figées, loin de là, et ils ont pu faire des aménagements pour des raisons de narration ou de fabrication.

Le studio français échangeait toutes les deux à trois semaines avec le studio américain et Blur rendait des comptes tous les trois mois environ à Netflix pour signifier l’avancement du projet. Toutes les étapes ont été déterminées par un planning de fabrication. La plus importante pour Unit Image fut celle de la pré-production qui représentait tout l’artistique du projet et la création des designs. Ils ont eu le choix de leurs prestataires, de leur équipe et même du style d’animation qu’ils voulaient pour l’épisode.

Célia Digard relate qu’ils sont « les représentants de la 3D réaliste, mais nous aurions pu faire autre chose, c’était ouvert. Nous avons préféré consolider nos acquis et pousser la qualité de ce que nous savions déjà faire encore plus loin ». Pas de pénalités prévues si le studio ne respectait pas les délais, c’est même le contraire, Netflix et Blur Studio avaient plutôt envie de leur laisser du temps supplémentaire pour terminer proprement leurs images. Ils ont également pu faire le sound design et la musique alors que c’est Netflix qui s’en charge habituellement. Le projet a obtenu l’aide du crédit d’impôt, Unit Image n’avait jamais pu y prétendre avant. Netflix les a « naturellement » accompagnés dans ces démarches… Concernant le devis du projet, Netflix n’est pas revenu sur chaque poste ni sur chaque ligne pour justifier chaque dépense.

La plate-forme SVOD américaine a néanmoins exigé un « proof of concept » au début du projet. « Nous leur avons montré deux plans, cela les a rassurés tout de suite et ils nous ont fait confiance », rappelle Célia Digard. Netflix a eu des exigences pour le choix du casting des acteurs principaux. Unit Image a pu caster les secondaires. Enfin, Netflix a également été très attentif à la fin au moment du rendu des contenus sur la vérification des images. Suite à cette expérience, c’est une étape que Unit Image a désormais intégrée dans son process de fabrication.

Quant à leurs contrats juridiques, Célia Digard avoue : « Nous prenons exemple sur les leurs maintenant » ! Elle ajoute : « Nous avions des contrats spécifiques pour chacune des personnes ayant travaillé sur le projet, ce n’était pas le contrat habituel de Unit Image. Les accords de confidentialité dans les contrats Netflix sont différents et plus poussés, c’est un fonctionnement américain. »

Au final, Unit Image a bénéficié d’une grande liberté dans un cadre délimité. Célia Digard parle de « réelle collaboration » avec la plate-forme SVOD. L’expérience a été plus que concluante pour le studio français qui se dit ravi car leur épisode « a eu la meilleure note sur IMDb (8,6/10, ndlr) » !

 

De nouvelles pratiques juridiques

Myriam Losego-Lamandé est directrice de pôle risques spéciaux chez Diot, courtier en assurances. Elle voit arriver depuis deux ou trois ans en France de plus en plus de projets émanant des plates-formes américaines. Elle explique que les contrats avec ces dernières ont leur propre particularité et placent le producteur français dans une position singulière. En effet, il sera à la fois producteur exécutif et producteur délégué, il aura toute la responsabilité du budget. S’il y a un dépassement, ce sera au producteur français d’avancer les frais et il verra ainsi fatalement sa marge diminuer. La plate-forme ne prend aucun risque, elle paie uniquement les dépenses approuvées au préalable sur devis.

Comme avec Unit Image, la plate-forme laisse une liberté indéniable au producteur ou au studio français, mais cette liberté trouve ses propres limites. En séries télé, les budgets sont très serrés. Les plates-formes demandent plusieurs devis par poste pour pouvoir tout choisir à moindre coût. Comme le rappelle la responsable du pôle assurances, cela a des répercussions sur toute la filière audiovisuelle, des loueurs aux prestataires de postproduction.

Les producteurs n’ont pas les droits des contenus, cela reste la propriété des plates-formes. « L’expérience des producteurs : ils n’ont pas gagné beaucoup d’argent, mais ont bénéficié de la visibilité qu’apportent les plates-formes, ce qui est intéressant pour leur catalogue. » souligne-t-elle.

Myriam Losego-Lamandé nous livre son expertise : « Le producteur français ne choisit pas son contrat d’assurance. C’est l’assurance de la plate-forme, un accord international pris aux États-Unis, qui lui est imposée avec des taux très intéressants puisque la masse est tellement énorme au niveau mondial. Le taux est divisé par deux facilement. »

Ces contrats ne prennent pas en compte les spécificités des territoires. Par exemple si un tournage est bloqué à cause d’une grève, ce qui en France peut arriver relativement souvent, les contrats français d’assurance vont couvrir la totalité des frais liés à l’interruption du tournage. Les contrats des plates-formes vont, eux, plafonner leur montant d’indemnisation à un million d’euros.

Ces contrats nord-américains se destinent aux territoires anglo-saxons où les législations diffèrent des nôtres. Pour l’Europe, les contrats vont dépendre de Londres et induire donc un temps de réponse beaucoup plus long que pour un contrat français pour toute modification à apporter sur des risques de production pure ou de responsabilité civile.

Myriam Losego-Lamandé précise : « Sur le marché français, en risques spéciaux, nous avons un délai maximum de réponse de 24 heures, cela va très vite. Souvent nous conseillons d’exclure la responsabilité civile du package de la plate-forme et de souscrire à un contrat de responsabilité civile français, la plate-forme accepte. Le producteur est ainsi mieux protégé. »

Les plates-formes SVOD imposent aussi de prendre une garantie pour tout problème de plagiat appelée Errors and Omissions, la fameuse « E&O » pour les spécialistes. En coproduction internationale, il y a un partage des risques. Aux États-Unis, les usages sont de prendre l’E&O dès le début de la fabrication du contenu, c’est-à-dire deux ou trois mois avant le tournage. En France, les producteurs la souscrivent bien après, à partir de la diffusion. Cela induit donc un coût supérieur pour le producteur français. Tous ces éléments sont des subtilités à bien avoir en tête en cas de collaboration avec une plate-forme.

Myriam Losego-Lamandé résume très bien la situation : « L’adaptation des plates-formes au marché français, qui est très particulier, va encore évoluer. Les producteurs français auront moins la sensation d’être pris en otage. Les plates-formes permettent de faire émerger des nouveaux talents, des plus petits producteurs qui ont moins d’assise et elles viennent titiller les chaînes hertziennes. »

 

Quid du côté des auteurs…

En France, la personne qui porte et défend le projet devant les chaînes et les diffuseurs est traditionnellement le producteur. L’arrivée des plates-formes américaines chamboule toute cette hiérarchie puisque désormais elles entrent directement en contact avec l’auteur scénariste. Preuve en est avec l’exemple de la plate-forme WeFilmGood créée à l’initiative de la Maison des Scénaristes en 2013 pour pouvoir mettre plus en lumière et en relation les auteurs entre eux et avec des producteurs.

Sarah Gurévick, co-fondatrice de la Maison des Scénaristes, analyse : « Les plates-formes remettent les auteurs au centre. Netflix peut faire du mal sur plein de points, mais au moins les auteurs ne sont plus dans l’ombre. Sur les séries Netflix, c’est le créateur qui est mis en avant. »

La plate-forme WeFilmGood, c’est 1 300 projets par an, 150 lecteurs, huit langues différentes, environ 300 propositions par appel à projets et une connexion à 135 pays. Le fait que les plates-formes SVOD puissent contacter directement des auteurs via cette plate-forme induit de nouvelles pratiques pour les auteurs… La question de l’exercice du pitch devient plus que jamais importante. « L’auteur doit savoir parler, se positionner, se présenter et évidemment parler anglais », insiste Sarah Gurévick.

La plate-forme travaille depuis peu avec une directrice marketing et communication et accompagne les auteurs à la manière d’une direction d’acteurs… Exercice pas toujours évident pour certains auteurs.

Produire pour les plates-formes SVOD implique donc des contraintes, mais offre aussi beaucoup de possibilités ! Raz-de-marée ou non, les plates-formes SVOD bouleversent un marché qui avait peut-être besoin de l’être. La production est une activité qui se doit d’être en constante évolution, en lien permanent avec les actualités d’une société, d’une économie et de la création… Il revient maintenant à la législation française et européenne de s’adapter et de mettre en place un minimum de régulation pour éviter de trop grandes disparités entre les différents acteurs de l’industrie. Plus facile à dire qu’à faire…

Toujours est-il que Netflix n’a attendu aucune loi pour miser sur la création française et s’engager pour la diversité et l’égalité des chances pour l’accès aux métiers de l’audiovisuel puisqu’il a d’ores et déjà mis en place des partenariats avec La Fémis, les Gobelins et l’association 1 000 Visages créée par la réalisatrice Houda Benyamina qui a collaboré sur le projet de série de Damien Chazelle, The Eddy avec les acteurs français Leïla Bekhti et Tahar Rahim, tournée à Paris et commandée par… Netflix !

Avec 6,7 millions d’abonnés à Netflix en France et l’arrivée de la concurrence accrue des autres plates-formes, l’américain montre en tout cas patte blanche pour s’inscrire dans le paysage audiovisuel français de manière pérenne…

 

Cet article est issu d’une conférence organisée durant le Satis 2019 organisée et modérée par l’avocate Lucie Walker.

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