COMPRENDRE LA DÉMATÉRIALISATION DE LA FILIÈRE CINÉMA

C'est à l'initiative de la FICAM que s'est tenu, le 6 février, un atelier professionnel consacré à la dématérialisation et aux workflows IT pour les industries du cinéma ; c'est plus précisément au service Focus Innovation (ex Dig-it) et à son pilote Marc Bourhis que l'on doit cette journée de rencontres et d'échanges particulièrement riche et éclectique, portée sur un thème dont les enjeux sont stratégiques pour l'avenir de ce secteur.
InnovationDemat.jpg

 

En basculant dans l’univers des technologies numériques, les filières de fabrication et de distribution des fictions de long-métrage subissent un contrecoup lié à l’abandon des pratiques matérielles associées au film. Elles sont aussi impactées par la remise en cause profonde des équilibres économiques régissant les rapports entre les acteurs du secteur. L’objectif de cet atelier Focus Innovation était de décrire les processus techniques identifiés, en expliquant les notions technologiques souvent abstraites issues du monde de l’informatique et des réseaux, sans ignorer la problématique du jargon associé à ces notions… Pour comprendre le cheminement complexe des fichiers qui remplacent désormais les bobines, du tournage à la distribution, en passant par la conservation, c’était là l’occasion d’entendre les meilleurs experts français venus d’horizon divers pour alimenter la réflexion sur les enjeux technologiques et économiques liés à l’industrialisation des processus numériques du cinéma.

 

Premier intervenant de cette journée en tant qu’expert formateur, c’est Franck Montagné qui ouvrait le débat sur la question centrale de l’interopérabilité, mettant à l’index le manque de discernement et la confusion liée à l’emploi abusif du mot « format » pour parler d’image, de codage et de fichier. Son exposé méthodique, richement illustré et animé sur la diversité des traitements de codage a permis de prendre la mesure de la complexité liée à la dématérialisation des fichiers tout au long de la chaîne d’exploitation d’une œuvre. Son argumentation intégrant les spécificités de la distribution sur les réseaux TV, VOD, IPTV et sur les supports disques DVD & BRD venait conforter l’intérêt d’un format mezzanine standardisé comme celui préconisé désormais par la recommandation CST RT021.

 

Pour parler de la dématérialisation des rushes sur les lieux de tournages, c’est Matthieu Straub, expert en Data Management, qui donnait ensuite par l’exemple les règles essentielles régissant les bonnes pratiques pour la sécurisation et le transport des données. Son témoignage faisait écho à celui de Tommaso Vergalo, Directeur de Digimage Cinéma, à propos de la gestion dématérialisée sur le film de Jean-Pierre Jeunet L’extravagant voyage du jeune et prodigieux TS Spivet. Pour sa distribution commerciale, ce film a dû être reconditionné en 28 versions présentant des spécifications techniques différentes ! Comment ne pas se perdre dans la jungle de ces fichiers de captation, de postproduction, et autres fichiers pivots, mezzanines ou de conservation…

 

Expert des formats pivots, c’est Benoit Février de la société EVS-Opencube qui donnait un panorama des différents standards existants en matière de fichiers d’échange, de distribution et de conservation, avec notamment les standards MXF et le plus récent et prometteur format interopérable IMF. Son exposé mettait en évidence l’importance du format MXF-OP1A, malgré les déclinaisons et préconisations diverses liées aux autres formats les plus fédérateurs ; il montrait aussi les influences déterminantes en provenance d’acteurs majeurs du secteur de la production et de la distribution aux USA et en Grande-Bretagne.

 

Expert en format mezzanine, François Helt, directeur scientifique de la société Highland Technologies Solutions, abordait ensuite les problématiques de gestion des couleurs et de compression dans la perspective d’une conservation numérique à long terme. Rappelant les notions fondamentales de reproduction des couleurs et leurs limites – correction de gamma, espaces de représentation des couleurs – il en venait à invoquer le principe selon lequel « les théories scientifiques sont des sophismes ». Son propos sur la durée de vie des supports matériels pour l’archivage numérique était plutôt alarmiste : présenté à l’origine comme un support de très longue préservation, le DVD est aujourd’hui couramment considéré avec une espérance de conservation de 5 années seulement. À défaut de supports résolument pérennes, la préservation doit rester une préoccupation constante pour tous ceux qui ont la charge de transmettre des patrimoines audiovisuels aux générations futures. S’en suivait une table ronde réunissant les intervenants de la matinée pour réfléchir aux conséquences de la dématérialisation sur l’évolution des métiers et compétences des industries techniques du cinéma.

 

L’après-midi s’est ouverte sur le thème de l’évolution vers des architectures informatiques plus agiles et vers le Cloud Computing. Nicolas Berthier, Directeur du Développement de RS2i, en relais avec Charles De La Morandière, consultant, présentaient les grands principes des architectures informatiques orientées services. Quels sont les solutions techniques applicables et les bénéfices possibles pour des SOA dédiées à la filière cinéma ? Ces solutions sont-elles modulaires, évolutives, réutilisables, transposables ? Les solutions standardisées sous forme d’API, de Web Services et de fichiers structurés au standard XML prennent sens dans ce qui est avant tout une démarche de développement indépendante des technologies appliquées ; avec l’exemple de processus de développement complexes dans la construction aéronautique, ou dans le multimédia comme pour la chaine TV5Monde, le propos démontrait les caractéristiques de flexibilité et de neutralité commune à la méthodologie Agile et à l’architecture SOA. Autre questionnement actuel : comment appréhender les technologies et business models du Cloud computing dans les process du cinéma ? Pour tenter de répondre à cette question, on a pu entendre le point de vue avisé de Philippe Recouppé, président fondateur du forum Atena et spécialiste du Cloud Computing.

 

À la fois enthousiaste et prudent, convaincu que les conditions d’émergence du modèle en nuage sont désormais réunies, il construisait un raisonnement argumenté pour convaincre l’auditoire de la pertinence de ces infrastructures techniques desservies en réseau, et des nouvelles solutions labélisées AAS (As A Service).

 

Autre témoignage d’une personnalité impliquée, celui de Muriel Le Bellac de la société Vidéomenthe. Spécialisée à l’origine dans la commercialisation de logiciels dédiés à forte valeur ajoutée, Vidéomenthe propose désormais des services en cloud pour le transcodage et le contrôle de qualité technique des fichiers médias professionnels. Développés en partenariat avec plusieurs éditeurs d’outils logiciels de transports et de traitements de fichiers médias, ces services s’adressent à de nouveaux clients, mais doivent aussi être considérés en complément des systèmes installés chez les producteurs de contenus pour absorber les surcharges temporaires d’activité. C’est aussi le moyen d’expérimenter un allégement notable des investissements CAPEX au bénéfice d’un nouveau modèle économique ; fondés sur une sous-traitance de la fourniture d’outils spécialisés en ligne, ces services en cloud disposent de configurations modulaires et ajustables en capacités, en performances comme en durée d’utilisation.

 

 

Cette journée d’échange s’est conclue par un débat ouvert, entre les intervenants experts dans leurs domaines respectifs et les professionnels présents, sur les compétences à développer pour que la filière des industries techniques s’adapte aux nouveaux paradigmes numériques. Si le cap semble faire l’unanimité à l’horizon des participants, le chemin à suivre pour y parvenir sera sans doute long et semé d’imprévus.