Connaissez-vous vraiment Dolby ?

Depuis les premières innovations dédiées aux studios d’enregistrements des années 60, Dolby ne cesse d’innover pour l’industrie et le grand public. Revenons sur l’épopée de Dolby Labs et ses inventions, des sixties à nos jours.
Ray Dolby dans son laboratoire. © DR

 

Dans les années 80, nous étions nombreux à nous demander à quoi servait exactement le bouton Dolby de notre chaîne Hi-fi. Depuis, les logos Dolby ont fleuri sur les affiches de cinéma, les téléviseurs ou les pochettes Blu-Ray. La technologie Dolby se trouve aussi, souvent à notre insu, dans les smartphones, la TNT ou l’audio de nos caméras.

 

Ray Dolby dans son laboratoire. © DR

« Magic taking the hiss away »

Ray Dolby, né en 1933 à Portland dans l’Oregon, a étudié à l’université de Stanford. À dix-sept ans, il a travaillé en stage chez Ampex, société pionnière dans les bandes magnétiques, où il a contribué à créer le premier magnétoscope de l’histoire, à l’âge de dix-huit ans. Il a réalisé, comme hobby, de nombreux enregistrements de musique classique, notamment des chœurs de l’université de Cambridge où il poursuivait ses études. À l’époque, chaque enregistrement sur bande (et pas seulement les siens) était gâché par un bruit de fond : une sorte de sifflement appelé « hiss ». Ce bruit correspond aux particules qui ne sont pas magnétisées pendant l’enregistrement. Ce problème, bien connu chez Ampex, était considéré comme insoluble par les ingénieurs de l’époque.

En se penchant sur le problème, Ray Dolby réalisa qu’il fallait agir en amont, c’est-à-dire traiter le signal avant de l’enregistrer puis le décoder à la lecture. Ainsi en 1965, à vingt-six ans, il a fondé sa société Dolby à Londres et a commercialisé le premier système de réduction de bruit : le Dolby A. Le produit est conçu comme une grosse boîte noire pour que les gens ne sachent pas ce qu’il y a à l’intérieur et est muni d’une seule interface on/off permettant une écoute comparative, avec et sans réduction de bruit. Ce boîtier a été présenté par Ray Dolby comme « magic taking the hiss away ».

 

Principe de la réduction de bruit Dolby A. Après compression de la dynamique, le bruit va se glisser sous les niveaux les plus faibles. © DR

 

La réduction de bruit Dolby, comment ça marche ?

Le système Dolby A n’est pas un simple filtrage, mais un système basé sur le principe d’encodage/décodage. C’est d’ailleurs l’origine du logo Dolby, inchangé depuis 1966, dont les deux D représentent l’encodage et le décodage. Le Dolby A est en fait un compandeur : compresseur/expandeur. L’encodage consiste à réduire la dynamique en gardant le signal le plus haut possible, ce qui a pour effet d’augmenter les faibles niveaux du signal. Le bruit généré à l’enregistrement viendra se glisser sous les niveaux les plus faibles du signal. Le décodage aura pour effet de rétablir la dynamique en rabaissant les faibles niveaux et donc en écrasant le bruit. Le traitement sera effectué par bandes de fréquences (quatre bandes de fréquences en Dolby A) et présente une amélioration du rapport signal/bruit de 10 dB dans la bande 20 Hz – 9 kHz et de 20 dB dans la bande 9 kHz- 20 kHz.

 

Ce qui ressemble à un QR code entre chaque perforation est l’audio codé en Dolby Digital. À côté en bleu, les deux pistes son analogiques. © DR

Premiers succès dans la musique

Ray Dolby fera d’innombrables démos à des ingénieurs sceptiques « à qui on avait appris que la réduction du bruit était impossible et que ceux qui prétendaient pouvoir le faire étaient des charlatans » comme il l’expliquera lui-même. Il finit par vendre ses six premières machines au studio Decca Records en 1966. Cette même année, Mahler Symphony sera le premier disque avec réduction de bruit Dolby A. En 1969, une centaine de machine sont vendues. Les premières cibles étaient les studios de musique classique.

Cependant, l’avènement du rock exigera une écoute de meilleure qualité, mais surtout l’utilisation de magnétophones multipistes (seize pistes en général pour le rock). Or, le bruit sur une bande seize pistes est plus important d’abord car chaque piste est plus étroite que sur un deux pistes stéréo mais aussi car la tendance sera à la réduction de la taille des bandes et de la vitesse d’enregistrement pour réduire les coûts de production. Tandis qu’un seul boîtier Dolby A suffisait pour la musique classique, Dolby pourra désormais vendre huit machines stéréo pour les seize pistes, (plus une machine pour le mastering). En 1968, l’album de The Doors Waiting for the Sun est un des premiers album rock en son Dolby. C’est un succès commercial pour Dolby qui devra cependant passer à autre chose pour perdurer.

 

Le son Dolby Stereo consiste à matricer quatre canaux sur les deux pistes audio de la pellicule, puis à les dématricer à la projection. © DR

Démocratisation des réducteurs de bruit

Pour le grand public, Dolby a fabriqué le Dolby B (1968), le Dolby C (1980) puis le Dolby S (1990) dédiés aux lecteurs de cassettes. Le Dolby B est un réducteur de bruit certes moins efficace que le A mais plus simple à fabriquer. Le Dolby C améliore le Dolby B avec l’ajout de deux technologies : le spectral skewing (répartition spectrale du bruit restant après réduction) ainsi qu’un système anti-saturation des hautes fréquences. Le Dolby S reprend la qualité professionnelle du Dolby A sans le problème de compatibilité du C (mauvais son lors de la lecture de cassettes non Dolby).

En 1986, le Dolby SR (Spectral Recording) est dédié aux professionnels de l’audio, aux broadcasters et à la postproduction. Dans un boîtier très compact, il offre ce qui reste sans doute le meilleur son analogique du marché. Après l’arrivée du son numérique au cinéma, le son analogique Dolby SR sera quand même enregistré en backup sur les pistes de la pellicule 35 mm.

 

Débuts de Dolby au cinéma

Ioan Allen, un des premiers associés chez Dolby, est devenu l’homme des évolutions de Dolby au cinéma. Il avait la chance de connaître Wendy Carlos, compositrice rendue célèbre pour son album best-seller Switched on Bach et à qui une musique de film avait été confiée par un certain Stanley Kubrick. Ce dernier accepta alors de faire confiance à Dolby pour le son et en 1971 sortit le premier film au cinéma utilisant le système de réduction de bruit Dolby : Orange Mécanique.

 

L’avènement du surround

Jusqu’à 1976, le son au cinéma est enregistré et lu en mono sur les pellicules 35 mm, (procédé optique). Une des premières expériences de son multicanal est le Cinerama présenté pour la première fois en 1952. Il permettait la diffusion de plusieurs pistes son car en plus des trois projecteurs utilisés en salle, une autre pellicule 35 mm était dédiée uniquement au son. Cependant ce procédé fut très marginal. À partir de 1976, il était possible d’enregistrer deux pistes audio gauche et droite, notées L et R (left et right) sur une pellicule cinéma 35 mm.

Dolby va alors travailler sur un système permettant d’enregistrer quatre canaux sur les deux pistes, puis à les extraire, toujours selon le principe d’encodage/décodage que l’on pourrait appeler ici matriçage/dématriçage. Ainsi Dolby va concevoir les Dolby Stereo Matrix Encoder et Dolby Stereo Cinema processor, ce dernier permettant de générer les quatre pistes L/C/R/S à partir de la paire L/R. Plus précisément, le canal central C est un mix de L et R à -3 dB, et le canal surround S correspond à L +90° et R- 90° avec 3 dB d’atténuation.

Le Dolby Stereo, ainsi conçu pour le cinéma, permet d’amener le surround L/R/C/S dans les salles en n’utilisant que les deux canaux de la pellicule (sans oublier la réduction de bruit). Le film A Star is Born, du réalisateur Frank Pierson, sera le premier à être diffusé en Dolby Stereo, mais c’est le film événement Star Wars, sorti en 1977, qui va véritablement créer la demande pour cette technologie. Trente cinémas se convertiront au son Dolby grâce à Star Wars.

L’ère du numérique

En 1992, le son numérique Doby Digital fit son apparition au cinéma. Utilisant une compression numérique AC-3, il permit d’encoder six canaux (avec un débit de 32 à 640 kbps). Les données audio Dolby Digital étaient enregistrées sur la pellicule entre les perforations (à 320 kbps), permettant ainsi de ne pas toucher aux pistes originelles analogiques conservées en backup. Avec l’arrivée de la HD en télévision, le Dolby Digital Plus a fait son apparition. Il s’agit d’un format AC-3 amélioré : le AC-3+ qui propose un débit plus important, (jusqu’à 6 144 Kbps) jusqu’à seize canaux en 15.1.

En 1999, le Dolby Digital EX fut conçu pour les besoins du film Star Wars Épisode 1 – La Menace Fantôme. Il s’agit d’un format 6.1 comprenant les canaux L/C/R/Ls/Cs/Rs/LFE. Mais il restera très confidentiel par rapport au 5.1. En 6.1 le canal Cs est matricé sur Ls et Rs (gauche et droite surround) et le LFE (Low Frenquency Effect) représente le « caisson de basse ».

Tandis que l’AC-3 est une compression avec pertes, le Dolby True HD proposera plus tard une compression lossless (sans perte) basée sur un codec audio de Meridian. L’enregistrement en 24 bits et jusqu’à 192 kHz offre un débit de débit 18 Mbit/s pour quatorze canaux.

En 2000, pour le grand public et grâce aux traitements désormais numériques, le Dolby ProLogic a été amélioré en Dolby Pro Logic II qui permet de reconstituer un environnement 5.1 à partir d’une source stéréo.

En 2003, la Dolby ProLogic IIx permettait de reconstituer un environnement 6.1 ou 7.1 toujours à partir d’une source stéréo ou 5.1. Aussi plusieurs modes pour différents rendus pouvaient être sélectionnés pour les films, la musique ou les jeux vidéo. Pour la TV, en 1999 apparaît le Dolby E, un système d’encodage/décodage réservé au monde professionnel et utilisé en France pour la TNT HD. Il permet la compression de huit canaux dans différents formats avec métadonnées dans un flux numérique et leur transport sur AES. Aujourd’hui, sur la partie TNT ou satellite, l’état de l’art est le Dolby Digital +.

 

Pendant ce temps chez les concurrents…

Avec le numérique, Dolby a été confronté à deux systèmes concurrents : DTS (Digital Theatre System) et SDDS (Sony Dynamic Digital Sound). Le film Jurassic Park (1993) a utilisé pour la première fois le système DTS. Le son est lu à partir d’un CD ROM synchronisé avec l’image grâce au timecode DTS « embéddé » sur la pellicule. Aussi DTS, racheté par Tessera en 2016, s’appelle désormais Xperi.

Last Action Hero (1993) est le premier film à utiliser le système SDDS. L’audio est enregistré en numérique sur la pellicule dans l’espace entre les perforations et le bord de la pellicule. Le SDDS propose pour le son surround 7.1 répartis en cinq canaux frontaux et deux canaux surround, soit pour la première fois huit canaux indépendants enregistrés sur la pellicule 35 mm. Cependant, il disparaît en 2000.

 

Pour le home cinéma, le son Atmos tridimensionnel peut s’obtenir grâce aux barres de son et autres « up firing speakers » qui utilisent les réflexions du plafond pour simuler une source sonore au-dessus du spectateur. © DR

 

Le son objet Dolby Atmos

L’amélioration majeure de ces dix dernières années est le son « objet » qui sera à l’origine du Dolby Atmos. Anaïs Libolt, responsable de Dolby France, explique : « L’ajout du Dolby Atmos c’est la verticalité et l’objet sonore. L’objet sonore est un son qu’on va pouvoir déplacer dans un espace à trois dimensions. Il ne s’agit plus de penser la diffusion sonore comme une piste (un canal) reliée à une enceinte, mais comme une piste étant un objet sonore qui peut se déplacer d’une enceinte à l’autre ».

Les configurations d’écoute typiques de l’Atmos sont le 5.1.2, 5.1.4, 7.1.2 ou 7.1.4 c’est-à-dire un 5.1 ou 7.1 classiques auquel on ajoute deux ou quatre enceintes d’élévation. Par ailleurs, Atmos signifie aussi que le son est encodé dans un format de compression Dolby Digital Plus ou AC-4 pour les compressions à perte, et Dolby True HD pour une compression lossless.

 

Le Dolby Cinema

Le label Dolby Cinema inclut deux technologies : le Dolby Atmos et le Dolby Vision. Ce dernier est l’offre de Dolby sur le marché du HDR. Dolby Vision utilise notamment la courbe PQ (EOTF) avec une quantification de 12 bits. Ce format a été adopté par les plates-formes de streaming Netflix, Disney+ et Apple TV+. C’est un pas de Dolby vers le monde de l’image qui avait été précédé de la commercialisation d’un moniteur d’étalonnage (PRM). Aussi le Dolby Vision IQ développé avec Panasonic et LG propose une gestion intelligente de la luminosité s’appuyant sur les capteurs de luminosité ambiante des téléviseurs.

Dolby va utiliser le cinéma comme une vitrine de la technologie Dolby à travers des salles Dolby Cinema qui font partie de ce qu’on appelle les salles PLF (Premium Large Format) comme celle du Pathe Baugrenelle en France.

 

La Salle Dolby Cinéma du Pathé Beaugrenelle à Paris. Projection laser Dolby Vision et son 3D Dolby Atmos. © DR

Dolby et le grand public

Dolby fut présent dans le grand public dès les premiers réducteurs de bruit dans les années 70. Plutôt que de fabriquer ses propres lecteurs, Dolby a fait le choix stratégique dès le départ de ne pas concurrencer les fabricants d’équipements audio mais plutôt de vendre des licences, avec l’idée de mettre un bouton « Dolby » ou un label Dolby sur les équipements.

Dolby va adapter au marché grand public les technologies développées pour le marché professionnels. Le Dolby Digital est utilisé sur le laser Disc dès 1995. Le Dolby Stereo (L/C/R/S), réservé au cinéma, a donné naissance en 1982, au son « surround » pour le home cinéma en ajoutant à la stéréo L/R le canal S. En 1987, le Dolby Surround Pro Logic a proposé l’ajout d’un quatrième canal central (noté C) pour reproduire les dialogues des acteurs.

Aujourd’hui le son ne se limite plus à la Hi-fi ni même la télévision, mais il a toute son importance dans jeu vidéo ou les smartphones. Même Windows 8 dispose d’un décodeur Dolby. Pour le jeu vidéo, Dolby développera Dolby Digital Live (DDL) dans lequel le 5.1 venant du PC est redirigé en temps réel vers la sortie SpDif. La fonction DDL se trouve notamment dans le périphérique Soudstorm de la Xbox (Chipset nForce 2).

Une des premières briques de la démocratisation du Dolby Atmos à la maison, est le système de up-firing speakers : un module que l’on pose sur une enceinte et qui va utiliser les réflexions du plafond pour créer l’illusion que le son vient d’en haut. Les barres de son utilisent aussi les réflexions sur les murs ou les plafonds pour simuler un son 3D. L’enceinte connectée Amazon Echo Studio restitue le Dolby Atmos en envoyant le son dans toutes les directions. Elle contient plusieurs hauts parleurs et également plusieurs micros qui analysent les réflexions.

Aussi le codec Dolby AC-4 standardisé en 2014, répond à la demande de distribution de médias sur les nouveaux appareils grand public, du smartphone au home cinéma. Il permet d’encoder différents formats : du mono à l’Atmos et leur distribution en streaming (OTT). L’AC-4 présente des innovations intéressantes, il permet entre autres d’adapter des caractéristiques du signal comme la dynamique en fonction du système d’écoute, mais aussi de contrôler le volume des éléments sonores, ce qui permet par exemple de régler le canal des dialogues dans un film indépendamment de la musique.

 

Et maintenant ?

Par souci de simplification de la multiplicité des labels, l’offre Dolby se décline aujourd’hui en deux familles : Dolby Audio pour tout ce qui touche au son et Dolby Vision pour la technologie HDR. Dolby Cinema et Dolby Atmos ont leurs logos séparés en temps qu’expériences reconnaissables du public. Dolby ne fabrique quasiment plus de hardware. Anaïs Libolt explique : « À l’époque il y avait des encodeur-décodeurs hardware pour le Dolby E, mais cette partie s’est délocalisée dans des cartes de fabricants partenaires comme Axon (EVS), SAM, etc. La partie commerciale avec les chaînes TV se concentre désormais sur la pédagogie et l’aide technologique pour l’adoption des technologies ».

Aujourd’hui ce sont essentiellement les appareils grand public qui créent la majorité du revenu à travers le licensing. Autre avantage de la licence décrit par Ioan Allen : « C’est le fabriquant grand public qui fait les frais de publicité pour le produit Dolby ».

Au cinéma, Dolby conserve une activité vente de serveurs par exemple pour les processeurs Dolby Atmos. Il y a aussi des cartes qui équipent les projecteurs, qui calculent le rendu. Côté grand public il y a encore beaucoup de développements possibles pour les équipements pour particulier. Par exemple, les smart speakers Bluetooth ne sont pas encore immersifs (ou très peu de modèles), on pourrait en coupler plusieurs ensembles pour restituer du son Atmos. L’histoire n’est pas finie…

 

Rétrospective des innovations du son au cinéma

  • 1940 Fantasia: premier film avec un son multicanal appelé « Fantasound »
  • 1952 This is Cinerama: premier film en Cinerama (projecteurs multiples) avec sept canaux L LC C CR R S1 S2
  • 1971 Orange Mécanique: premier film avec réduction de bruit Dolby
  • 1976 A star is Born: premier film en Dolby Stereo
  • 1977 Star Wars: premier film avec réduction de bruit et Dolby Surround
  • 1979 Apocalypse Now: premier film en Dolby 5.1 non compressé avec réduction de bruit, sur six pistes magnétiques de pellicule 70 mm
  • 1987 Robocop: premier film en Dolby SR
  • 1992 Batman Returns: premier film en Dolby Digital (5.1 et compression AC-3)
  • 1993 Last Action Hero: premier film en SDDS
  • 1993 Jurassic Park : premier film en DTS
  • 1999 Star Wars Épisode 1 – La Menace Fantôme: premier film en Dolby Digital EX 6.1
  • 2010 Toy Story 3 : premier film en Dolby Surround 7.1
  • 2012 Rebelle (Disney) : premier film en Dolby Atmos

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #46, p. 136-140