Autre

Ecrire pour les nouveaux media: le webdocumentaire

Très en vogue dans les années 90, le CD-ROM multimédia interactif est à l’origine de ce qu’on appelle aujourd’hui le webdocumentaire. Avec l’arrivée du haut débit sur Internet, deux technologies se sont rencontrées : l’arborescence et l’interactivité, mais aussi le partage des données et des informations…
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Le genre apparaît en France en 2005 avec La cité des mortes, produit par Upian. Une citation sur la page d’accueil met l’internaute dans l’ambiance : « L’originalité du webdocumentaire lacitedesmortes.net réside aussi dans la manière dont l’internaute est amené à naviguer. Intuitive et graphique, la navigation place l’internaute dans une posture active. Soyez curieux ! » À peine deux ans plus tard, Upian met en ligne Thanatorama « Une aventure dont vous êtes le héros mort ».

http://www.lacitedesmortes.net/

http://www.thanatorama.com/

 

Le webdocumentaire évolue en même temps qu’Internet, avec l’arrivée des forums de discussion, l’évolution du langage HTML et de la technologie Flash, qui permet d’ajouter des animations et des objets interactifs. À partir de 2008, les projets sortent à vitesse grand V… Parmi les plus connus, Voyage au bout du charbon diffusé sur le site du Monde et Gaza-sderot sur celui d’Arte.

http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/visuel/2008/11/17/voyage-au-bout-du-charbon_1118477_3216.html

http://gaza-sderot.arte.tv/fr/

 

Un nouveau genre vient d’être lancé… Exit le spectateur passif devant son écran, l’internaute devient actif et doit, comme dans un jeu, mener l’enquête ! C’est ce que constate Louis Villers, co-fondateur du site webdocu.fr : « Le webdocumentaire s’inspire souvent de la narration des jeux vidéos. C’était déjà le cas dans Prison Valley, mais ça l’est encore plus dans Manipulations, une enquête sur l’affaire Clearstream ».

http://prisonvalley.arte.tv/?lang=fr

http://www.francetv.fr/manipulations/

 

Antonin Lhôte, journaliste « projets nouveaux medias » nous éclaire sur Prison  Valley : « C’est une référence éditoriale qui a bénéficié d’un gros budget. Il a été proposé de mettre en relation les personnages de l’histoire avec les internautes. Il peut être vu de façon linéaire mais aussi différemment : il y a des fiches de personnages et d’informations, des liens…».

 

Le phénomène révolutionne les médias. En 2011, Télérama définit en ces termes Manipulations « Entre le jeu de rôle et le webdocumentaire. Un projet extrêmement ambitieux initié par Upian. L’originalité du dispositif ? L’internaute est ici invité à se transformer en enquêteur et à suivre ses propres pistes. Totalement délinéarisée, l’expérience peut être conduite de multiples façons ».

 

Les journalistes de Franceculture.fr s’interrogent quant à eux sur un nouveau webdoc, initié par le Monde.fr sur les primaires socialistes : « Depuis quelques années, le jeu vidéo est sorti de son cadre purement ludique pour devenir sérieux. Après avoir été utilisé à des fins pédagogiques, pour enseigner et former, ce sont aujourd’hui les médias qui s’en emparent. Pour la première fois en France, le journal Le Monde lance ce nouveau support d’information, le « newsgame », sur son site internet ».

http://www.lemonde.fr/week-end/visuel/2011/06/24/primaires-a-gauche-jouez-votre-campagne_1524806_1477893.html

 

Le webdocumentaire: jeu vidéo d’information?

 

Pour Louis Villers, il n’y a pas de définition précise du webdocumentaire. Mais il y a un historique et des questions qui se posent : « Je dirais qu’un webdocumentaire est une œuvre multimédia interactive et connectée. Or souvent, ce qu’on qualifie de webdocumentaire, ce n’est finalement que du reportage. Les évolutions technologiques et les possibilités transmedias offertes par les nouveaux medias sont peu au rendez-vous. Par exemple sur arte.tv : Havana – Miami – Les temps changent. Ce « portrait croisé de la nouvelle génération cubaine » n’est finalement qu’une suite de reportages ». http://havana-miami.arte.tv/fr/ »

 

Antonin Lhôte précise que le webdocumentaire est un espace de liberté intéressant pour beaucoup de journalistes, déçus ou à l’étroit dans les médias classiques, ce que confirment de nombreux auteurs : « Ce format propose de ne pas se fixer de règles et procure une liberté éditoriale indéniable. Mais les sujets traités sont souvent proches du grand reportage ».

 

Cela correspond à la réalité de la majeure partie des auteurs qui sont essentiellement des journalistes et des photojournalistes. « Encore aujourd’hui, on explore une friche, mais la question principale est : la narration interactive donne-t-elle du sens à une histoire ? » insiste Antonin Lhôte.

 

Bruno Masi, journaliste et auteur de webdocumentaires (La zone, 2009) affirme que se poser des questions sur l’écriture est essentiel : « Le public est-il prêt à rester des heures devant un webdocu ? Il faut faire un effort sur le choix du sujet et le contenu. Tous les sujets sont-ils bons à traiter dans ce format ? De quelles sources dois-je m’inspirer pour écrire un webdocu : film ? Jeu vidéo ? Internet ? CD ROM ? Il faut tester les usages et les nouveaux outils. Il faut avoir envie de travailler sur des médias différents, de les mélanger et de délinéariser le récit. Il faut aussi des personnes qui accompagnent le projet sur le Net avant et après, pour le faire vivre ».

http://www.lemonde.fr/week-end/visuel/2011/04/22/la-zone-retour-a-tchernobyl_1505079_1477893.html

 

À l’une de ces questions, Antonin Lhôte répond sans réserve : «Non, tous les sujets ne sont pas adaptés au webdocumentaire. Les questions à se poser sont : qu’est-ce que le webdoc apporte au sujet ? Est-ce que ça lui donne du sens, le valorise, l’enrichit ? Le webdoc ne dit pas tout. Là aussi, il faut un angle pour traiter un sujet. Ce n’est pas un fourre-tout. Pour qu’un webdoc ait plus de sens qu’un autre media, il faut se poser les questions de sens, d’interaction et de partage. L’intérêt c’est aussi pour des sujets difficiles comme le travail au noir, la prison, les violences… Il y a des choses qu’on ne peut pas traiter en vidéo, ou difficilement. Là on peut jongler avec différents supports : photos, vidéos, dessins, BD, textes, musiques etc. »

 

Créer des projets novateurs

 

Toutes ces questions, les auteurs et les producteurs se les posent au quotidien. Novateurs et exigeants, ils expérimentent sans cesse. Mathieu Detaint, producteur de Kids up Hill (ex. Inflammable Production) a lui-même traité de sujets difficiles en utilisant la BD. C’est le cas dans Na’ana’s, poète du désert,  l’histoire d’une femme qui vit dans un camp de réfugiés du Sahara occidental.

 

http://www.kidsuphill.com/

 

Le producteur se positionne : « Dans nos projets, on essaie souvent des choses, il n’y a pas de recettes toutes faites. L’écriture se fait à plusieurs et je suis très impliqué. Les questions qui se posent : comment être plus immersif, plus interactif, plus participatif. Est-ce pour le web, le web + la TV ? Facebook ? Un minisite ? Les réseaux sociaux ? Les tablettes ? Les smartphones ? Le projet est différent selon les partenaires aussi ».

 

Antonin Lhôte conclut : « Ce qui est important dans le webdocumentaire, c’est l’enrichissement permanent de contenus, la vision de l’information. On apporte du sens grâce au partage. C’est un objet vivant : l’auteur peut interagir, se réactualiser, l’internaute peut intervenir. Le webdocumentaire a cette possibilité de se transformer. L’idée, c’est de le concevoir comme une série d’objets transmedia pour pouvoir suivre l’histoire sous différents formats dans la durée. »

 

C’est le cas de Brèves de Trottoirs d’Olivier Lambert et Thomas Salva. http://paris-ile-de-france.france3.fr/brevesdetrottoirs/. Le webdocumentaire sur Internet propose de télécharger une application Iphone. Le trailer est sur Dailymotion et Youtube, avec des liens sur Twitter et Facebook. Le projet se prolonge par un documentaire de 52’ qui sera diffusé sur France 3. Olivier Lambert témoigne : « Ce sont des portraits humanistes, de 5 à 10’ qui mélangent la photo et la vidéo. Nous avons dû réfléchir à une narration interactive avec une carte, une minibio, des vidéos, des photos, des onglets, des bonus… Nous nous sommes autoformés quant à l’interactivité… Nous n’avions aucune connaissance en programmation. Du coup, on s’est focalisé sur la réalisation, l’esthétique et la partie éditoriale ».

 

Les deux auteurs se sont d’abord autofinancés, puis, ils se sont très vite fait connaître grâce aux réseaux sociaux. En mai 2010, c’est le BUZZ et de nombreux médias s’intéressent à eux. Ils gagnent des prix, sont sélectionnés à des festivals et obtiennent une aide du CNC. C’est la consécration ! « Nous avons alors rencontré Darjeeling Production. Ils ont tout de suite collé à l’esprit du projet et se sont occupés de la partie diffusion. Nous avons ensuite rencontré Olivier Monteil, directeur d’antenne à France 3 IDF.».

 

Difficultés économiques et techniques 

 

Le témoignage d’Olivier Lambert pose deux questions. L’une économique, l’autre technique. Tout d’abord, nombre d’auteurs se lancent seuls ou à deux, dans des projets sans financement préalable. Par ailleurs, peu maitrisent le développement informatique.

 

Avec l’arrivée de nouveaux logiciels de création comme Vuvox, Klint ou 3wdoc, il semble que la création soit de plus en plus facilitée.

 

Toutefois, Olivier Lambert constate qu’« il n’y a aucun modèle économique. On est en train d’en créer un, mais il est hybride. C’est entre le modèle classique qui vient de la TV et du ciné, et le numérique. D’un point de vue économique, on peut difficilement en vivre sur le Net. Dailymotion et Youtube commencent à passer des accords, mais ça reste flou. Pour nombre de projets, on peut espérer une diffusion TV. Pour cela on n’a pas forcément beaucoup d’argent, mais ça permet d’avoir des droits d’auteurs ».

 

Quant à Louis Villers, il déplore le manque de financement des diffuseurs : « Ils ne mettent pas beaucoup d’argent dans la création. Il y a de plus en plus de projets et personne ne gagne d’argent dessus. Par contre, le fait d’en faire sur les sites du Monde ou d’Arte permet de se créer une vitrine pour être sur d’autres projets ensuite ».

 

Pour le producteur Mathieu Detaint, chaque projet doit trouver sa propre économie, notamment en fonction de son diffuseur. Mais la principale difficulté n’est pas là. « La difficulté, c’est que tous les auteurs ont des métiers différents et connaissent peu les métiers du web et ses impératifs. Or, il faut fidéliser un public, une audience… L’idée, c’est aussi de construire une audience autour du projet global ».