2019 aura été une année dans la lumière pour Yov Moor, étalonneur freelance basé à Paris ! Initialement repéré pour son travail sur le film Mustang de Deniz Gamze Ergüven, il a fait son chemin sur les tapis rouges du monde entier puisque rois de ses films ont notamment été projetés à la Mostra de Venise : Only the Animals de Dominik Moll, Balloon de Pema Tseden et Revenir de Jessica Palud… Avec, pour tous, des nominations et récompenses…
Œuvrer à l’identité visuelle d’un film pour des cinéastes indépendants n’est cependant pas une mince affaire ! Rencontre avec Yov Moor qui nous livre (peut-être…) quelques astuces pour se faire remarquer au sein de la compétition à Venise et qui s’exprime au sujet de l’évolution du métier d’étalonneur à l’ère de la démocratisation des outils de postproduction.
Moovee : Trois des films sur lesquels vous avez travaillé se sont retrouvés en compétition à Venise cette année : Balloon, Revenir et Only the Animals. Y a-t-il une recette ?
Yov Moor : Parfois, j’ai de la chance et parfois moins ! En ce qui concerne le cinéma indépendant, il est essentiel d’arriver à une qualité finale qui légitime une sélection en festivals ; le fait que le film puisse être projeté dans une salle de cinéma va ouvrir des portes financières à l’auteur et au producteur… Il m’a fallu environ dix jours pour étalonner chacun de ces trois films, et pour chacun je me suis concentré sur la création d’un rendu final étonnant. J’utilise Resolve et je pose fréquemment des nœuds sur toute la longueur du projet pour pouvoir modifier complètement la couleur ou la texture en quelques secondes si le réalisateur et le directeur de la photo en expriment le souhait, comme ce fut le cas avec le talentueux chef opérateur Lu Songyu sur Balloon. Les films d’art et d’essai ont généralement beaucoup moins de budget que les films commerciaux et le pipeline de travail doit être très fluide et très productif.
M. : Pensez-vous que les étalonneurs peuvent apporter leur contribution en termes d’optimisation et de productivité de pipeline ?
Y.M : Oui, tout à fait ! Nous devons offrir plus et travailler plus vite qu’autrefois, cela va dans le sens d’une histoire où les budgets sont de moins en moins confortables et les outils de plus en plus polyvalents. En tout cas, cela fait partie de ma valeur ajoutée : je ne propose pas uniquement un étalonnage, mais aussi une économie de temps et d’argent dès que cela est possible… Par exemple, j’utilise fréquemment la page Fusion de Resolve pour les travaux de cache et de nettoyage, tels que l’effacement rapide des perches de micros ou la génération de particules de fumée, ce que j’ai fait pour Only the Animals. Cela évite une étape d’aller et retour vers la production d’effets visuels, ce qui s’avère assez coûteux. J’accompagne aussi parfois le réalisateur qui veut essayer une nouvelle coupe de montage, mais qui n’a tout simplement pas de temps pour un aller-retour en salle de montage. C’est très simple pour moi de travailler directement sur le montage dans Resolve et d’avoir un aperçu du rendu. Ensuite, si cela fonctionne, le réalisateur revient vers le monteur pour intégrer le changement final.
M : Est-ce que votre façon de travailler a évolué dans le temps ?
Y.M : Absolument, et cela se reflète à toutes les étapes. De nos jours, si vous parlez aux réalisateurs, la grande majorité connaît Resolve ! Je vois de plus en plus de chefs opérateurs et de réalisateurs ouvrir le logiciel, essayer et tester des ambiances colorimétriques sur le plateau, même sans équipe de DIT. Pour moi, c’est formidable, car je peux connaître très précisément l’intention photographique très en amont… Cela a été le cas avec le directeur de la photo sur Revenir, Victor Seguin. Nous avons pu parler immédiatement le même langage technique car nous connaissions le même logiciel. Il pouvait me demander d’ajouter un certain effet en sachant exactement combien de temps cela prendrait, quel était son degré de complexité et tout simplement sa faisabilité. Cela facilitait beaucoup le travail.
M : Est-ce un signe de la disparition des spécialistes ?
Y.M : Pas vraiment, nous nous engageons dans le même chemin que l’industrie de la musique. Au début, beaucoup de gens ont eu peur du fait qu’il était facile et peu coûteux d’acheter des outils de production audio… Mais au final, il n’y a que les gens talentueux qui restent au premier plan ! Si vous avez du talent, vous n’êtes pas en danger. La nouveauté, c’est que l’étalonnage n’est plus désormais réservé aux personnes disposant d’un budget et d’un accès à un ordinateur hyperpuissant…
M : Avez-vous des conseils pour les coloristes en herbe ?
Y.M : Mon approche n’a jamais été très académique. Je suis autodidacte dans différents domaines du cinéma, et si je peux donner un conseil, c’est d’essayer d’entrer dans l’industrie par toutes les portes possibles. Essayez de devenir un assistant étalonneur et apprenez en demandant d’ajouter une ombre durant une session. Téléchargez Resolve gratuitement et essayez d’étalonner tout ce qui vous tombe sous la main ! C’est comme jouer d’un instrument : plus vous travaillez, mieux vous comprenez le processus, le point de vue du réalisateur et la façon dont un coloriste construit ses relations avec les autres interlocuteurs du projet cinématographique. N’hésitez jamais à vous entraîner avec d’autres personnes et essayez de sortir constamment de votre zone de confort en jouant avec un maximum de couleurs différentes…
Article paru pour la première fois dans Moovee #1, p.90/92. Abonnez-vous à Moovee (4 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.