Canon R5 et R6… Que valent-ils en vidéo ?

Après l'EOS R et le RP qui ont quelque peu frustrés les videastes en 2018, Canon a récemment lancé les EOS R5 et R6, deux nouveaux hybrides beaucoup plus convaincants.
Un boîtier compact et léger à l’ergonomie presque parfaite. © DR

Le marketing qui a accompagné le lancement du R5 était quelque peu agressif et annonçait des caractéristiques très ambitieuses comme du 8K Raw en interne sur le R5. J’ai eu la chance de pouvoir tester les deux boîtiers en profondeur pendant pratiquement deux mois. Si vous avez suivi le sujet brûlant du feuilleton de cet été voici mes conclusions.

Comme beaucoup de monde j’ai rêvé devant Rêveries de Vincent Laforêt à l’automne 2008. Tourné à New York, ce film révélait les capacités incroyables du Canon EOS 5D Mark II en vidéo, en proposant pour la première fois une image cinématographique capturée par un appareil photo qui filmait en haute définition.

Si Canon n’avait pas anticipé la révolution initiée par ce boîtier qui était le premier appareil photo doté d’un capteur 24 x 36 mm capable d’enregistrer de la vidéo HD, c’était une grosse claque qui a ébranlé la communauté créative !

À l’époque, les limitations étaient nombreuses, durée d’enregistrement limitée à douze minutes, fréquence d’image bloquée en 30p, faible dynamique, moiré, aliasing, mais c’était le premier et nous étions capables de tout pardonner pour avoir accès à ces images magiques pour un prix relativement accessible. Les caméras proposant une telle qualité et surtout une telle taille de capteur n’existaient tout simplement pas et les rares exceptions étaient au moins vingt fois plus chères.

La suite de l’histoire, vous ne la connaissez peut-être pas dans les détails, mais quelques années après, alors que, comme de nombreux primo adhérents au 5DMKII, j’attendais un 5DMKIII hybride à visée électronique et aux fonctionnalités vidéo évoluées, il n’en fut rien. Canon a choisi une autre voix et ils ont sorti une gamme de caméras baptisée EOS C, C comme Cinéma. La première C300 a été lancée trois ans plus tard, faisant des heureux et quelques malheureux.

Même si les caméras de la gamme EOS-C sont pour la plupart excellentes, en tant qu’utilisateur hybride qui aime faire de la photo et de la vidéo avec le même boîtier, j’ai enchaîné les frustrations à chaque nouveauté chez Canon car si la partie photo a toujours été plutôt exemplaire les fonctionnalités vidéo étaient de plus en plus décevantes face à l’évolution de la concurrence, Sony avec ses Alpha 7, Panasonic avec ces GH, puis la gamme Lumix S et Nikon avec les Z6 et Z7…

Cet été Canon a annoncé l’arrêt de la série reflex 5D, il n’y aura pas de Mark V. Ils se sont enfin lancés dans l’hybride plein format en 2018. À l’arrivée du EOS R il y a deux ans, j’ai eu un sursaut d’espoir vite étouffé par des spécifications trop limitées, notamment un crop factor trop important quand on tourne en 4K ; l’ergonomie était pourtant au rendez-vous et la nouvelle monture RF ainsi que les optiques qui ont été lancées étaient annonciatrices d’un renouveau fort excitant.

L’annonce des R5 et R6 m’a encore mis l’eau à la bouche et Canon a joué le teasing du lancement du R5 en annonçant des fonctionnalités exceptionnelles, comme le fait de pouvoir enregistrer du 8K en Raw en enregistrement interne sans crop sur le capteur. Toute la communauté des films makers était forcément émoustillée par ces annonces et bon nombre de youtubeurs sont partis dans des débats fondés sur des supputations incroyables quant au prix et aux fonctionnalités qui seraient sabrées comme d’habitude et ce, bien avant que le constructeur ne fasse d’annonce finale officielle.

 

Qu’en est-il de ces histoires de chauffe ?

Le R5 est arrivé en juillet, le R6 plus récemment et il y a déjà des heures et des heures de vidéos sur le sujet sur le net, le R5 et le R6 auraient des problèmes de surchauffe ?!

J’ai d’abord eu un R6 en test et j’avoue avoir été déçu car ces soucis étaient vraiment handicapants, mais après discussion avec les équipes de Canon France nous en sommes arrivés à la conclusion que le prototype qu’ils m’avaient mis à disposition était bien buggé !

Quelques semaines plus tard, je reçois le R5 et un nouveau R6 avec de nouveaux firmwares et je peux enfin faire des tests plus poussés sans crainte.

Afin de ne pas faire durer le suspense plus longtemps, oui il subsiste des limitations sur la durée d’enregistrement en 8K Raw comme en 4K 120 sur le R5 et en 4K 60p sur le R6, mais et je conseille à tous les utilisateurs qui cherchent à tourner des heures durant dans ces définitions extrêmes et à ces cadences d’images de faire d’autres choix. Pour ma part, si j’ai besoin de tourner pendant des heures en 8K Raw, je loue une Red Monstro par exemple.

Il faut prendre en considération que ces composants électroniques dégagent de la chaleur, la dissipation thermique est un point important qui a causé bien des soucis aux utilisateurs de nombreux boîtiers, chez Sony, comme chez Canon ou Fujifilm par exemple. L’électronique en fonctionnement dégage de la chaleur et c’est normal ! N’importe quel appareil électronique chauffe, le capteur chauffe, la batterie chauffe et l’enregistrement sur les cartes chauffe aussi.

Canon communique sur le fait qu’ils ont refusé de mettre un circuit de refroidissement actif, comme sur le S1H qui est équipé d’un ventilateur, afin de conserver le maximum de compacité et avoir un niveau d’étanchéité conforme aux exigences des photographes professionnels.

J’ai essayé le R5 en utilisation normale, à savoir en 4K25p avec quelques plans tournés dans la journée en 4K100p et 120p et quelques plans en 8K Raw pour voir, je n’ai pas été embêté par le moindre problème de chauffe. Certes, je ne tourne pas en continu des heures durant, mais à part pour du spectacle vivant, des interviews ou de l’évènementiel, qui fait ça ?

L’annonce cet été du Sony Alpha 7S III a forcément mis les deux marques en concurrence, mais pour moi c’est impossible de les comparer, le Sony est clairement une caméra vidéo qui a ses limites en photo, alors que les R5 et R6 sont des appareils photo avec des possibilités vidéo intéressantes et performantes.

 

Les différences entre le R5 et le R6

Tout d’abord il y a le prix, le R5 est vendu environ 4 500 € boîtier nu alors que le R6 est à 2 700 €. Ensuite il y a le capteur ; le R5 est doté d’un capteur de 45MP, alors que le R6 se contente de 20MP. Côté fonctionnalités vidéo, seul le R5 propose le 8K Raw en vidéo et la 4K jusqu’à 120p. De son côté le R6 est limité à la 4K60p. Côté viseur nous avions 5,76MP sur le R5 et 3,68 sur le R6.

La résolution et la taille de l’écran tactile orientable change aussi entre les deux modèles : 3,2 pouces 2,1MP sur le R5 contre 3 pouces et 1,62MP sur le R6. À l’usage, pas de grandes différences perçues pour moi. Curieusement il y a plus de collimateurs autofocus dans le R6 : 6 072 points contre 5 940 sur le R5 alors que sa définition est inférieure.

Sur l’aspect extérieur des deux boîtiers, le R6 est équipé d’une traditionnelle roue de sélection des modes PSAM, alors que le R5 dispose d’un petit écran Oled noir et blanc couplé à une molette de sélection. À noter que j’ai été surpris qu’il faille passer par le fait d’appuyer sur le bouton Mode et ensuite sur le bouton Info pour basculer de la photo à la vidéo sur le R5. C’est surprenant, mais pas dénué d’intérêt ; cela étant dit, j’ai aussi apprécié que le mode vidéo utilisé soit paramétrable en amont quand on presse le bouton d’enregistrement vidéo quand on est en photo. Il est ainsi possible de basculer de la photo à la vidéo en utilisant des réglages que vous aurez préalablement paramétrés.

Forcément le capteur du R6 est aussi beaucoup plus sensible puisqu’il monte à 204 800 ISO en mode étendu, contre seulement 51 200 sur le R5. Si la sensibilité est un facteur important pour vous, c’est surement le R6 qui vous donnera les meilleurs résultats.

Malgré leurs différences, les deux boîtiers proposent des caractéristiques techniques communes, comme la stabilisation du capteur sur cinq axes. Un niveau de rafale à 12 i/s (en obturation mécanique) ou à 20 i/s (en obturation électronique) ce qui est assez exceptionnel. La stabilisation sur le capteur est très efficace. Elle peut être aussi épaulée par une stabilisation sur l’optique et une autre couche de stabilisation électronique qui, d’après le constructeur, garantit 8 diaphs de gagnés en photo.

Il ne faut pas oublier le fameux tracking des sujets en temps réel et la détection des yeux qui est redoutable. Une mention spéciale pour les nouveaux algorithmes de détection et de suivi des humains et des animaux. Je me suis amusé avec le R6 à photographier des goélands en plein vol un jour de grand vent, et j’ai été étonné par la précision de ce système, sans compter que c’est aussi efficace en photo qu’en vidéo.

 

Ergonomie générale

J’ai toujours porté énormément d’attention sur l’ergonomie, c’est quelque chose que je place au premier niveau dans la liste de mes critères pour choisir mon matériel et là-dessus Canon comme Nikon ont toujours une bonne avance sur leurs concurrents.

Je ne cacherai pas mon enthousiasme : la prise en main des deux boîtiers est absolument géniale, c’est vraiment comme s’ils étaient un prolongement naturel de ma main. Tout est simple, nature, évident et très agréable.

Au toucher c’est surprenant car ça semble très léger, mais c’est bel et bien robuste, l’alliage de magnésium a fait ses preuves depuis le temps. J’ai eu un sentiment de confiance très rapidement. Le bosselage est parfait, le positionnement des boutons est tout simplement impeccable et je me suis régalé avec l’ergonomie globale.

Le viseur est de bonne qualité, mais il manque un peu de grossissement face à la concurrence. Je préfère celui des Nikon Z par exemple et nous sommes loin de l’excellence du dernier Sony Alpha 7S III avec ses 9,4MP.

L’écran orientable est pour moi quelque chose d’important et je n’ai pas été déçu, c’est un vrai soulagement de voir que tous les constructeurs s’y mettent !

Pour moi l’agencement des menus chez Canon a toujours été exemplaire, une logique simple et efficace, tout est relativement bien rangé et assez accessible.

 

Qualité d’image

En photo comme en vidéo, les deux boîtiers offrent des images précises à la colorimétrie très juste. J’ai apprécié la texture et la signature d’image Canon. En vidéo, la présence d’un Canon Log est vraiment intéressante. Je suis néanmoins déçu qu’il n’y ait pas de Canon Log 3 et que ces fonctionnalités soient un peu anecdotiques.

J’ai aussi apprécié les fonctionnalités HDR vidéo qui m’ont permis d’accéder ; j’ai l’impression d’une dynamique étendue, même quand on finalise en SDR ; c’est parfois utile pour compenser de forts contrejours.

Sans avoir fait de tests poussés (cela reste mon ressenti par rapport aux autres caméras que j’ai pu tester), j’ai trouvé la dynamique en vidéo un peu inférieure à ce que propose la concurrence, on atteint assez vite les limites du signal dans les hautes lumières. Il faut donc penser à protéger celles-ci à l’exposition. Côté basses lumières le R6 est forcément meilleur avec ses 20MP et ces gros photosites. Sur le R5, le bruit est présent dès 3 200 ISO, mais reste très fin et totalement corrigible en postprodution.

La qualité du mode 8K est très intéressante, mais au final ce n’est pas forcément la facture de différenciation que j’espérais, même si la qualité est exceptionnelle. Tourner en 8K peut être très intéressant si on a besoin de précision et qu’on cherche à recadrer dans l’image pour une sortie 4K.

 

Test terrain et ressenti global

À l’heure où Canon est clairement devenue la cible d’un véritable « bashing » sur les réseaux sociaux à cause de ces histoires de chauffe, j’ai pris la décision d’utiliser les R5 et R6 en production sur deux journées de shooting pour un client international exigeant pour lequel je devais en même temps faire des photos et des vidéos. Il faisait 35° à l’ombre ce jour-là et certes mes deux boîtiers étaient chauds, mais je n’ai pas été ennuyé.

Je n’ai pas cherché à faire de la 4K 120p pendant des heures ni de la 8K Raw, mais je me suis limité à de la 4K25p et 50p en vidéo. J’ai pu tester les capacités de rafale impressionnantes jusqu’à vingt images seconde en photo pour du suivi de motos et scooters. Rien à jeter ou presque, quasi 100 % c’est du jamais vu !

J’ai apprécié la prise en main, le poids contenu et l’ergonomie générale qui est très intuitive. Au final j’ai pris beaucoup de plaisir à utiliser les deux boîtiers et la qualité des images que j’ai pu produire m’a vraiment plu. Les fichiers Raw en photo ont une bonne latitude, la colorimétrie est très bonne, et en vidéo c’est pareil, je retrouve avec plaisir la signature d’image Canon.

Alors oui, je suis un peu frustré sur le fait que ces caméras ne soient pas aussi magiques que ce que j’espérais. J’aurais rêvé que, comme Sony qui annonce que son Alpha 7SIII est officiellement considéré par le constructeur comme étant une caméra B ou C pour ceux qui tournent en Venice ou en FX9, le R6 ou le R5 soient aussi considérés pas uniquement comme d’excellents appareils photo, mais aussi comme d’excellentes caméras hybrides photo et vidéo qui pourront pleinement satisfaire les photographes les plus exigeants comme les vidéastes.

Un R5 avec une C300MKIII ou une C500MKII pourraient être des duos gagnants ; ce n’est pas encore le cas. La convergence initiée par le 5D MKII il y a douze ans n’est pas encore de retour chez Canon, mais on s’en rapproche et j’ai pris énormément de plaisir à photographier et à filmer avec ces deux boîtiers.

Les points forts sont vraiment la qualité de l’image, l’ergonomie générale et la puissance de l’autofocus ! Pour conclure, même si je reste un peu sur ma faim et que ces petites limitations me questionnent, je trouve ces deux boîtiers vraiment réussis et si j’avais à renouveler mon matériel, je crois bien que je me laisserais tenter.

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #5, p.14/17. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.