La sélection officielle du Figra 2017 est placée sous une diversité de regards, de sujets et de traitements. Pourtant, cette année l’influence du terrorisme de Daesh, est omniprésente. Comment pourrait-il en être autrement dans une période marquée par les attentats et les questions liées aux réfugiés issus des pays en guerre ?
Portraits et témoignages de victimes de la violence aveugle
Sur l’ensemble des films que nous avons pu voir, trois nous ont profondément touchés par leurs forces émotionnelles. Le premier, Vous n’aurez pas ma haine, d’Antoine Leiris et Karine Dusfour, est un témoignage profond de 71 minutes, il obtient d’ailleurs le prix du public dans la catégorie Autrement Vu.
Antoine Leiris a perdu sa compagne dans les attentats du Bataclan. Trois jours après les tragiques événements, le journaliste avait publié sur le Net une lettre aux assassins expliquant qu’il ne céderait ni à la colère ni à la peur. Dans le film qu’il coréalise cette fois, Antoine Leiris va à la rencontre de ceux qui, comme lui, ont été touchés directement par la violence aveugle. « Avec Karine, les choses se sont faites naturellement, j’allais vers ceux dont je souhaitais obtenir des témoignages et je la laissais filmer », précise Antoine Leiris.
À l’occasion de l’une de ces rencontres, nous croisons brièvement Latifa Ibn Ziaten, la maman d’Imad, ce jeune parachutiste de l’armée française assassiné par Merah à Toulouse en 2013. Cette femme exceptionnelle qui depuis ne cesse d’aller aux devants des jeunes, et même dans les prisons parfois, afin de prôner la tolérance et le respect mutuel contre les radicalismes, a fait également l’objet d’un film : Latifa, une femme dans la République. Jarmilla Buzkova, la réalisatrice, a suivi pendant un an et demi Latifa à l’occasion de ses différentes interventions, mais aussi dans des scènes plus intimes avec sa famille.
« J’avais vu Latifa sur un plateau télé, il y a quelque temps déjà. Plus tard quand je l’ai rencontrée pour le projet de film, il a fallu un peu de temps pour la convaincre de me faire confiance et qu’elle se laisse filmer. Je pense qu’au début elle avait du mal à appréhender l’intérêt de ce film. Par la suite, au visionnage, elle a fondu en larmes. Je crois, qu’à ce moment, elle a vraiment compris que ce documentaire pouvait faciliter la circulation du message qu’elle souhaite faire passer », explique Jarmilla Buzkova.
Bernard Maris, à la recherche d’un anti-économiste, est le portrait d’une personnalité du monde de l’économie connu pour ses démarches singulières et son analyse virulente du capitalisme. Bernard Maris écrivait dans Charlie Hebdo. Le 7 janvier 2015, il fut victime des frères Kouachi.
Son parcours et sa carrière sont habilement racontés dans le documentaire proposé par deux Hélène : Fresnel, la dernière compagne de l’écrivain, et Risser, journaliste pour Public-Sénat. Le film produit par Day For Night, en coproduction avec France 3 IDF et Public-Sénat, donne envie de lire ou relire les ouvrages de Bernard Maris. Le travail de réalisation s’est appuyé sur de très nombreuses images d’archives puisées ici et là.
Mais au-delà de nos trois coups de cœur, ce sont près de 70 films qui sont inscrits et répartis entre la sélection officielle et les sections parallèles. Les différents jurys ont attribué plusieurs prix en fonction des catégories de films. Le palmarès complet est accessible ici.
Annick Cojean, une présidente de jury mise à l’honneur
Le jury de la compétition des films de plus de 40 minutes était présidé par une personnalité reconnue du journalisme. Annick Cojean, journaliste au quotidien Le Monde depuis 1981, a en effet reçu le prix Albert Londres en 1996. Elle est d’ailleurs, depuis 2010, présidente de cette prestigieuse récompense. Journaliste de presse écrite avant tout, elle n’hésite pas à franchir parfois le pas et s’atteler à la réalisation de films documentaires.
« Pour moi, les contraintes liées à la technique sont assez éprouvantes. Moi qui aime le contact direct et l’intimité qui peut s’instaurer durant une interview, je suis assez décontenancée lorsqu’il faut faire attendre la personne afin de l’éclairer, de peaufiner le cadre ou encore s’assurer qu’il n’y ait pas de bruit pour la prise de son », affirme-t-elle.
À sa filmographie, on retrouve Le parcours des combattantes et Best-seller à tout prix (coréalisé avec Vassili Solovic). Le public a pu faire mieux connaissance avec la journaliste à l’occasion d’un entretien d’une heure, suivi d’une séance de dédicace de ses ouvrages, dont Les proies paru aux éditions Grasset.
Cette année, pour la première fois une place toute particulière a été attribuée au spectacle vivant qui intégrait, dans sa programmation, le théâtre-documentaire. Je ne vois que la rage de ceux qui n’ont plus rien est une pièce engagée et militante, écrite par Christophe Martin, auteur en résidence à Boulogne-sur-Mer et mise en scène par Bruno Lajara. Cinq comédiens interprètent ce sujet fort, illustrant la dérive de nos sociétés de consommation.
« Nous souhaitons faire évoluer chaque année notre festival. Le théâtre-documentaire est une piste que nous voulions également essayer. Il se peut que l’expérience soit reconduite dans les prochaines éditions avec, pourquoi pas, une sélection et un prix dédié », intervient Georges Marques-Bouarret, délégué général du Figra.
Présent à tous les postes pendant l’ensemble de la manifestation, celui-ci a déjà quelques idées novatrices en tête pour l’édition 2018 du Figra qui soufflera ses vingt-cinq bougies.