Figra 2023 – Une trentième édition dans la continuité

Le 30e Festival du Grand Reportage et du Film d’Actualité s’est tenu à Douai. Comme à l’accoutumé, la programmation de la compétition officielle était très variée, tant sur les sujets retenus que sur le parcours des réalisateurs.
Retrouvez l’ensemble du palmarès du Figra 2023 sur www.figra.fr. © Raphaëlle Jasmin

 

Avec trente éditions au compteur, c’est aussi l’occasion de faire le point sur l’évolution de cet événement devenu incontournable qui a eu lieu pour la troisième année consécutive dans la ville de Douai (30 mai au 4 juin). Comme pour les précédentes éditions les sélections officielles se décomposaient en quatre grandes catégories. La compétition internationale des œuvres de plus de 40 minutes (seize films), celle des moins de 40 minutes (quatorze reportages), Terre(s) d’Histoire (treize œuvres), Autrement Vu (treize également) et enfin le Coup de Pouce pour cinq projets retenus.

Les films de cette trentième édition ne dérogent pas à la règle de la diversité du grand reportage. Il faut bien reconnaître que l’actualité ne manque pas de sujets troublants. Mais même si le dérèglement climatique, la guerre en Ukraine ou encore les violences faites aux femmes sont largement traités, d’autres angles plus singuliers sont abordés notamment dans la sélection Autrement Vu.

 

Des binômes aux manettes

Si l’origine de l’écriture d’un projet repose souvent sur un désir personnel, le travail de développement et de réalisation d’une œuvre documentaire d’actualité peut parfois se concrétiser à deux. Plusieurs films cette année reposaient en effet sur la collaboration étroite entre deux auteurs.

 

Élodie Emery (ici sur la photo) et Wandrille Lanos, qui ont signé le 90 minutes Bouddhisme, la loi du silence, diffusé sur Arte, ont reçu le prix SCAM de l’investigation et le prix Aïna Roger attribué par les élèves de l’ESJ Lille. © Fabrice Marinoni

Pour Élodie Emery et Wandrille Lanos, qui ont signé le 90 minutes Bouddhisme, la loi du silence, diffusé sur Arte, leur association était indispensable à l’aboutissement du projet. « J’enquêtais depuis très longtemps en presse écrite sur le sujet des affaires d’abus sexuels dans le milieu du bouddhisme, mais je n’avais aucune expérience de la télévision. Wandrille, que j’avais rencontré dans un cadre privé, était lui très expérimenté en la matière. Il s’est montré tout de suite très intéressé par le thème du film », explique Élodie Emery. Pour la journaliste, dont les enquêtes très poussées lui avaient fait découvrir de très nombreuses affaires en cours, la médiatisation du problème passait nécessairement par la télévision.

Lors de leur rencontre, Wandrille Lanos réalise des reportages et des enquêtes depuis une dizaine d’années. Il est notamment passé par des agences comme CAPA ou des cases éditoriales comme Cash Investigation (France TV). Wandrille Lanos raconte : « Nous avons rapidement trouvé nos marques. Il m’incombait de m’assurer que nous avions bien tourné ce dont nous avions besoin. La seule difficulté, au début, a été de lutter contre le besoin d’immédiateté d’Élodie. Un rythme acquis par son vécu en presse écrite. La mise en scène nécessite de la préparation et de l’organisation. Il a fallu trouver un équilibre entre une volonté assez forte d’avoir une esthétique affirmée mais en même temps d’arriver à respecter le naturel de chaque interviewés. » Pour Élodie l’expérience a été bénéfique puisque la journaliste affirme clairement avoir l’envie de poursuivre dans l’audiovisuel pour s’éloigner du travail en solitaire de la presse écrite. Le documentaire est une réussite puisqu’il a reçu le prix SCAM de l’investigation.

Ukraine, des femmes dans la guerre, de Charles Comiti et Julien Boluen, est un reportage de 55 minutes diffusé sur Canal+. Comme son titre l’indique, les deux réalisateurs ont suivi la vie de combattantes sur le front ukrainien. Les deux hommes coréalisent ensemble depuis un certain temps. Leur première expérience collaborative s’est déroulée en Birmanie. Cette fois, l’association est différente de celle d’Élodie et Wandrille. « Nous prenons la caméra tous les deux. Cependant sur des scènes de guerre, il est préférable que l’un d’entre nous surveille ce qui se passe autour lorsque l’autre est absorbé par ce qu’il filme », précise Julien Boluen. L’expérience de la réalisation étant similaire pour les deux journalistes, la postproduction est chapeautée une fois sur deux par l’un ou l’autre. Pour Ukraine, des femmes dans la guerre, Frédéric Decossas et Gérard Lemoine ont officié en tant que monteurs.

Le binôme peut aussi reposer sur la complémentarité du travail entre le réalisateur et son producteur. Nina Robert, qui a signé L’affaire Maureen Kearney, a pu en effet compter sur le soutien complet de Bertrand Faivre (The Bureau Films) : « Nous nous étions rencontrés alors que je réalisais avec mon père (ndrl : l’écrivain Denis Robert) un film sur Cavanna. Il nous a véritablement aidés en termes de production. Une confiance s’est établie entre nous », explique-t-elle.

 

Nina Robert et son producteur Bertrand Faivre présentaient un remontage de « L’affaire Maureen Kearney » (proposé à France 3 IDF sous forme de 4×26 minutes). © Fabrice Marinoni

L’affaire Maureen Kearney (proposé à France 3 IDF sous forme de 4×26 minutes) est un film fort, remonté en 90 minutes pour le Figra. Nina Robert va à la rencontre de Maureen Kearney, et donne la parole à l’ancienne syndicaliste d’Areva. Maureen fut retrouvée chez elle, ligotée à une chaise, la lettre A scarifiée sur le ventre, le manche d’un couteau enfoncé dans son vagin. Cette agression est-elle liée à ses activités de syndicaliste au sein du groupe nucléaire ? Maureen Kearney était en effet engagée dans un combat contre sa direction pour empêcher des transferts de technologies entre la France et la Chine.

Bertrand Faivre a en parallèle produit la fiction cinéma dont le personnage principal est interprété par Isabelle Hupert, La Syndicaliste : « J’ai davantage l’habitude de produire de la fiction que du documentaire, et ce film d’auteur ne semblait pas entrer dans les cases des grands diffuseurs. Nous n’avons pas eu d’aide sélective du CNC ni même de crédit d’impôt. Heureusement, France 3 IDF s’est engagée sur un préachat, la région Grand-Est nous a accordé une subvention, tandis que la Procirep nous a également soutenus. J’ai complétement fait confiance à Nina et à son regard de réalisatrice. Elle me montrait les avancées du montage lorsqu’elle le souhaitait. J’ai simplement été vigilant sur les aspects juridiques. » Pour une enquête de ce type, mieux vaut en effet pouvoir exposer les faits et non des opinions afin de ne pas risquer une poursuite pour diffamation. Là encore le tandem a abouti à une œuvre de grande qualité.

 

Un travail d’ouverture avec le public

Après chaque projection, le Figra organise un moment d’échanges avec le public qui peut également voter pour ses films préférés. © Fabrice Marinoni

En plus d’être un festival et un lieu de rencontres entre professionnels, Georges Marque-Bouaret, fondateur et délégué général du Figra, a souhaité que l’événement s’inscrive dans une démarche citoyenne : « Dès le début j’ai voulu que le grand public vienne non seulement assister aux projections mais qu’il soit également très actif. »

En plus des échanges avec les réalisateurs effectués après les projections et les différentes masterclass ouvertes à tous, un travail conséquent est mis chaque année en place pour sensibiliser le jeune public. Sur le site Internet du Figra, les objectifs de la démarche sont clairement annoncés : « Notre souci de composer des parcours citoyens et culturels adaptés aux niveaux et aux âges de nos publics jeunes nous amène à prioriser des valeurs comme l’envie d’apprendre et de comprendre le monde, l’envie d’agir et de s’engager, l’envie de défendre les libertés, la tolérance, la justice, la solidarité, etc. Sensibiliser aux grands reportages et aux documentaires de société, c’est donner sens au chemin d’apprentissage des jeunes générations. »

Concrètement, le Figra s’engage auprès des jeunes et de tous les acteurs de l’éducation en proposant des actions de sensibilisation aux médias et à l’information. Avec les académies de Lille et d’Amiens, la Région Hauts-de-France, le département du Nord et leurs enseignants, de nombreuses actions sont organisées en amont et durant le Figra.

Dès le mardi 30 mai, les organisateurs accueillaient les lycéens du Jury Jeunes. Après avoir candidaté auprès de la Région des Hauts-de-France, les dix élèves et apprentis retenus ont vécu de l’intérieur l’événement. Durant cinq jours, ils ont été immergés dans les salles obscures et c’est dans les mêmes conditions que le jury professionnel qu’ils ont décerné le prix Jury Jeunes, à Ethiopie : Tigré, au pays de la faim de Charles Emptaz et Olivier Jobard (encore un binôme).

Le Figra propose également aux étudiants de l’ESJ de composer un jury afin de mener une réflexion critique sur les sujets d’actualité, d’engager les débats autour des représentations du monde contemporain et de s’interroger sur la diversité des écritures journalistiques. Ils confrontent leurs regards et leurs jugements pour décerner un prix à une réalisatrice ou un réalisateur sélectionné au festival. Ce reportage primé est ensuite projeté dans l’amphithéâtre de l’ESJ de Lille. Pour la trentième édition, le prix Aïna Roger ESJ Lille-Figra (attribué à une première ou seconde œuvre) a été remporté par Bouddhisme, la loi du silence, film déjà primé par la SCAM dont nous parlions plus haut.

En résumé, le Figra est un événement qui perdure tout au long de l’année dans les académies d’Amiens et de Lille. Les différents dispositifs mis en place permettent de toucher plus de 13 000 jeunes de la Région des Hauts-de-France.

 

Le regard porté sur 2024

Avec un petit budget de 360 000 euros (intégrant l’ensemble des subventions institutionnelles, le sponsoring, la billetterie et les frais d’inscription), le Figra peut s’enorgueillir d’être un événement de grande qualité qui s’est inscrit dans le paysage du grand reportage. Les équipes de Georges Marque-Bouaret doivent néanmoins repartir chaque année avec leur bâton de pèlerin afin de boucler les financements et accords nécessaires. Après être passé notamment par Le Touquet ou encore Saint-Omer, le Figra devrait, espérons-le, s’implanter durablement à Douai ville qui dispose assurément des infrastructures nécessaires au bon déroulement de l’événement.

 

Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #53, p. 118-122