HD Systems, le laboratoire qui développe les images numériques

Parmi les sociétés spécialisées dans l’imagerie numérique, HD Systems se positionne comme un artisan de l’image, soucieux d’apporter le plus grand soin aux œuvres numériques que les chefs opérateurs, réalisateurs et producteurs leur confient.
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Ce sont trois passionnés ayant fait leurs armes chez Panavision qui ont créé HD Systems : Hervé Theys fut directeur technique de Panavision pendant 20 ans et a quitté l’entreprise il y a treize ans ; il était spécialiste de la location de matériel et de l’argentique et possède une grande connaissance du développement ; Olivier Garcia est arrivé chez Panavision en 1994 pour travailler sous la direction d’Hervé, les caméras vidéo commençaient alors à faire leur apparition dans le cinéma et chez les loueurs ; Nicolas Pollacchi s’occupait de la Louma, toujours chez Panavision. Nicolas et Olivier nous ont reçus dans leurs locaux d’Aubervilliers pour un échange passionnant retraçant l’évolution du cinéma numérique qu’ils ont accompagnée.

 

Nicolas Pollacchi : Les caméras vidéo ont mis environ dix ans à s’installer dans le domaine du cinéma. La Sony HDCAM HDW-F900 a été la première caméra vidéo capable de faire du contenu et de pouvoir être optimisée pour des films de cinéma.

Olivier Garcia : Parmi les premiers tournages opérés avec cette caméra, nous avons travaillé sur quelques films expérimentaux, dont le célèbre Vidocq de Pitof (sorti en 2001).

N. P. : C’est également à cette période (été 2002) qu’Olivier est parti travailler en tant que freelance sur la vision du film Deux frères (sorti en 2004) de Jean-Jacques Annaud pour une aventure qui a duré huit mois. Le tournage était fait en HDCAM et finalisé en 35 mm via un télécinéma, les salles étant alors équipées de projecteurs 35 mm. Fin 2004 les premiers projecteurs numériques ont été installés dans les salles. Il y avait déjà des projecteurs numériques dans les laboratoires. La conversion des salles de cinéma s’est faite sur une période très courte de quatre ans (2009-2012) grâce aux aides du CNC (ce qui a également provoqué des dommages collatéraux chez les laboratoires historiques qui n’étaient pas préparés).

O. G. : Nous venons de l’univers du tournage et de la location de matériel de cinéma. Nous étions à l’origine de l’utilisation des premières caméras HDCAM pour faire des films de cinéma. Alors que j’étais chez Panavision, j’ai suivi de nombreuses formations pointues chez les constructeurs (Sony, Thomson et Ampex). J’ai travaillé à partir de fin 2002 comme ingénieur vision, métier que l’on nomme aujourd’hui DIT.

N. P. : La société HD Systems a été créée en 2003 avec la location d’accessoires. Nous avons alors fait deux films clés, plus l’offre de travail de DIT, suivis du film de Jacques Perrin Océans où nous nous sommes occupés de toute la partie prise de vue sous-marine qui était tournée en HDCAM, tout ce qui était en extérieur étant tourné en 35 mm. Le mélange des deux images a été facilité parce que les images sous-marines n’avaient pas les mêmes références que celles tournées sur terre. Sous l’eau on perd très vite de la lumière et on perd également très vite des couleurs, notamment le rouge. Les courbes que l’on applique à l’image s’avèrent très utiles parce que dès qu’on se retourne vers la surface « il ne faut pas que ça crame ». Pour ce film, nous avons collaboré au développement des caissons sous-marins, d’une torpille de prises de vues et d’un microscope à plateau télécommandé pour cadrer les micro-organismes comme de vrais comédiens.

O. G. : Deux frères a été le point de départ. Il nous a permis d’accompagner les producteurs dans l’exploitation du matériel issu de la télévision et utilisé pour le cinéma, avec des boîtes à outils et des systèmes de gamma box, cela pendant sept à huit ans. Les DIT font aujourd’hui ce métier avec leurs roulantes, mais à l’époque les caméras n’avaient pas du tout les mêmes capacités dynamiques qu’aujourd’hui, avec 5 diaph. et demi à comparer aux 15 diaph. de dynamique des caméras actuelles. Il nous fallait donc mettre en œuvre un vrai savoir-faire.

Le tournage de Deux frères nous avait apporté une grande proximité avec les ingénieurs japonais de Sony ; nous les avions même invités sur le tournage. On a commencé à créer des courbes de gamma très spéciales pour les caméras HD, notamment sur le film Dogora de Patrice Leconte. On obtenait ainsi énormément plus de latitude que les 5 diaph. et demi.

À cette époque on pouvait agir sur le capteur lui-même, sur ce qu’on appelle le substrat-opération, maintenant impossible. On pouvait gonfler la sensibilité des caméras au détriment de leur durée de vie afin d’obtenir une dynamique d’environ 8 diaph. Sur les caméras HDW-F900 on rentrait des courbes de gamma sur 1 024 points pour éviter que le process de la caméra prenne le dessus et interpole les valeurs à partir des 64 points de base. Cela nous permettait d’obtenir une finesse beaucoup plus grande en haute et en basse lumière.

N. P. : Nous avons fait de nombreux films de cette manière, comme Un secret de Claude Miller avec Cécile de France où il y avait un plan assez particulier où elle monte un escalier la nuit sous l’éclairage unique d’un candélabre. Aujourd’hui, ce serait un plan assez facile à faire, mais à l’époque on avait passé plusieurs jours à travailler avec Claude Miller et Gérard de Battista le chef opérateur. On a tourné une centaine de films suivant ce principe.

O. G. : Je me souviens qu’à l’époque nous nous étions fait mal voir par Sony parce qu’on réduisait la durée de vie de leurs caméras, même si on a constaté que ce n’était, au final, pas vrai. On a en effet fait partir des caméras préparées par nos soins pour des tournages d’un an, elles sont revenues totalement opérationnelles. À cette époque, on avait (grâce au film Deux frères) la possibilité de communiquer avec la caméra. Nous travaillions directement avec Sony Japon, le fabricant s’étant servi de ce film pour communiquer sur les capacités cinématographiques de ses caméras.

N. P. : Ensuite, nous avons eu une période plus orientée « DIT », essentiellement sur des tournages en multicaméra ou avec des équipes éclatées. Cela nous a permis de comprendre les nouveaux capteurs et les systèmes de démosaïquage. Nous nous sommes en effet rendu compte que les laboratoires historiques n’avaient pas la culture des process de tournage en numérique. Il y avait alors un besoin qui a été ensuite partiellement comblé par l’arrivée des DIT (Digital Imaging Technician).

O. G. : On se déplaçait également sur les tournages pour installer des solutions de gestion des rushes, en utilisant des graveurs de DVD professionnels sur les plateaux (pour le montage et pour les équipes de production et le réalisateur) ; à l’époque du tournage de Deux frères, on travaillait en HDCAM SR et on faisait également des dubs (copies) dans des environnements hostiles grâce à nos compétences en maintenance.

N. P. : Nous travaillions sur deux films simultanément, dont un film tourné en Amazonie en vrai 3D. Sur ce film, nous avons été confrontés à un problème dû à Fukushima, les cassettes vidéo étaient totalement indisponibles. En un mois et demi, il nous a fallu trouver une solution pour enregistrer les signaux 3D issus des caméras F35 de Sony, et cela en pleine Amazonie, les synchroniser et préparer les rushes sur place avec des looks. On a alors commencé à s’équiper avec des ordinateurs très puissants et de grosses baies de disques durs, le tout en Fly : c’était le début du laboratoire mobile.

O. G. : Plus récemment, nous avons travaillé sur le film Le dernier loup (Wolf Totem) de Jean-Jacques Annaud (sorti en 2015) tourné en Mongolie chinoise. C’était un tournage en Raw avec des Arri Alexa et des caméras Red, et un tournage en relief (quantité double de rushes).

Lorsque Jean-Jacques Annaud et son chef opérateur Jean-Marie Dreujou m’ont appelé, je finissais le film Une promesse de Patrice Leconte en Belgique. Ils avaient commencé les repérages et, après quelques heures de tournage, n’arrivaient pas à obtenir une image correcte. J’ai donc fini le film de Patrice Leconte car j’étais engagé et je suis fidèle ; je suis ensuite parti directement sur le tournage du Dernier loup pour mettre en place les calibrations, commander les machines et les intégrer.

Le producteur français nous a également demandé de tout coder pour sécuriser les allers-retours en France. Les rushes étaient traités sur place et mis à disposition de Reynald Bertrand, le monteur. Après six mois de tournage nous sommes revenus pendant un mois et demi, j’ai été chargé d’intégrer une station de montage et de permettre à Reynald de poursuivre le montage chez Jean-Jacques. Nous avons renforcé nos compétences du workflow complet.

N. P. : Olivier s’occupait de la Chine et moi de la France. Avec Jacques Perrin, la préparation d’un film dure deux ans ; nous avons donc travaillé sur Les saisons deux ans avant le tournage du film, suivis de deux ans de tournage et d’un an de montage. Les films de Jacques Perrin sortent donc en salle cinq à six ans après le début de l’aventure. Cela signifie que le travail sur Les saisons a débuté simultanément au film de Jean-Jacques Annaud qui est pourtant sorti beaucoup plus tôt.

Le tournage des Saisons a été moins difficile car le tournage a eu lieu en Europe occidentale avec six ou sept chefs opérateurs et des équipes qui partaient parfois séparément, d’autres fois simultanément. Nous ne disposions pas encore de nos salles et de notre service d’étalonnage.

N. P. : À l’issue de cette période, nous avons décidé de préparer une nouvelle ère pour HD Systems. Nous avions accumulé beaucoup de matériel. Olivier était parti en Chine pendant un an et cela commençait à être difficile de travailler séparément et d’être en permanence en déplacement. Nous avons décidé de construire une salle d’étalonnage haut de gamme, une salle de montage et une salle de préparation des rushes, ainsi qu’un nodal et de sortir tout le matériel des Fly. Cela correspondait également à une période où Jacques Perrin allait débuter des séries TV issues du long-métrage Les saisons. Nous avons donc fait les séries TV et les plans VFX ont été validés sur notre grand écran.

Depuis, nous travaillons du documentaire jusqu’au long-métrage. Nous aimons suivre des projets un peu atypiques, avec des gens passionnants et de belles aventures. On se compare à un artisan bottier, nous aimons faire du sur-mesure. Mais on peut également travailler sur des projets et des films complètement traditionnels avec des fictions que l’on va étalonner sur deux semaines et demi ou trois semaines. Grâce à la taille de notre structure et à la localisation de notre société à Aubervilliers, nos prix restent raisonnés.

O. G. : Nous continuons à nous différencier de nos concurrents par notre travail de développement des images en suites DPX ou Open EXR préalablement au travail d’étalonnage. Dès le début du travail en Raw, nous avons investi sur des machines qui permettent de traiter le signal dans un temps correct ; nous maîtrisons les outils informatiques et avons fait des laboratoires partout dans le monde. Pour pouvoir gagner le temps passé à faire le développement, nous avons préparé des machines de très grande puissance.

 

Mediakwest : Pouvez-vous parler plus précisément de votre travail de développement de l’image numérique ?

N. P. : Quand une société de postproduction traite des films en Raw, les rushes sont généralement ingérés directement dans la machine dédiée à l’étalonnage. C’est cette machine qui gère la débayerisation. Notre particularité c’est de traiter la débayerisation avec des solutions dédiées. La plupart du temps les fabricants de caméras fournissent ces logiciels (mais pas tout le temps), mais très peu de personnes utilisent ces solutions qui nécessitent une longue expérience.

O. G. : Nous avons déjà fait des tests à l’aveugle avec des chefs opérateurs, qui sont toujours ébahis de la qualité des sources obtenues après notre développement, et avant même la phase d’étalonnage. Nous partons donc d’un tirage positif, issu de la débayerisation des images Raw, à partir duquel on effectue l’étalonnage. Cette procédure est notre marque de fabrique. Sans cette technique, on bride énormément les possibilités d’étalonnage. Nous disposons de machines très puissantes avec de très gros débits pour travailler du 4K temps réel ou du 8K. Nous avons également été parmi les quatre premiers à nous équiper en projecteur 4K Sony (avec la carte 4K – quatre flux SDI). Nous avions visité quelques salles équipées de ce projecteur, dont la salle privée du Publicis Cinema

N. P. : Nous avons également fait un autre pari : connaissant bien les écrans Sony, dont les Oled, nous étions frappés de voir des noirs identiques à ceux délivrés par le projecteur ; on a donc choisi de tout étalonner sur le projecteur. Il était important d’avoir des noirs cohérents par rapport aux TV grand public Oled pour étalonner nos films, ce que permet ce projecteur. On fait des vérifications des produits prévus pour la TV sur des écrans traditionnels, mais on gagne en confort de travail d’opérer sur un grand écran, plutôt que de s’abîmer les yeux sur des petits écrans. Nous possédons également des caméras Sony F65 à capteur 8K (pour une vraie sortie 4K), depuis le tournage des Saisons. Jacques Perrin souhaitait disposer d’un matériel cohérent en prévision de la date de sortie de son film, le 4K a été le choix.

 

M. : Quels sont les projets de développement d’HD Systems ?

N. P. : Aujourd’hui nous proposons l’intégralité de la chaîne de production, depuis l’arrivée des rushes et les copies sauvegarde, jusqu’à l’étalonnage. Pour le montage, nous disposons de deux salles fixes et nous pouvons installer des unités de montage en rack chez les clients avec une connexion à distance nous permettant de prendre la main sur les stations. Nous traitons les imports et les exports jusqu’à la livraison des masters et les DCP 2K et 4K master. Nous développons actuellement notre activité de restauration et d’upscaling en adaptant nos outils et les différents logiciels utilisés pour obtenir les meilleurs résultats. Nous restaurons en moyenne deux films par mois.

 

Notre conclusion

Un très grand merci à Olivier et Nicolas ; votre passion est communicative ! L’expérience acquise par la société HD Systems depuis les débuts de l’exploitation de la vidéo pour le cinéma, sur les projets les plus ambitieux est impressionnante et irremplaçable. Grâce à un appétit insatiable pour les nouvelles technologies et l’informatique, ces artisans de l’image ont su perpétuellement mettre à jour leurs compétences et leurs connaissances pour proposer une offre inédite dans le traitement des images et la postproduction. Ils ont également su tirer le meilleur de cette évolution très rapide des techniques vidéo du cinéma et ont pris le risque de faire évoluer leur offre en conséquence. Nous ne saurions que conseiller à tout producteur ou réalisateur souhaitant valoriser au mieux leurs images, à toute étape de leur projet, de consulter HD Systems.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #32, p.16/18. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.