Elle a notamment pu travailler sur Les Saisons de Jacques Perrin et Jacques Cluzaut, mais aussi sur 120 battements par minute de Robin Campillo, Grand Prix du Jury au Festival de Cannes en 2017 ou plus récemment sur Sibyl de Justine Triet, mais aussi sur Profession du Père de Jean-Pierre Améris et Paradis Sale de Bertrand Mandico qui sortiront prochainement. Elle nous livre sa jeune mais riche expérience ainsi que de précieux conseils pour appréhender ce métier…
Moovee : Pouvez-vous tout d’abord revenir sur votre parcours ? Pourquoi avoir choisi l’image ?
Julie Bureau : Je suis sortie de l’ESRA en 2016 du département image. En arrivant à l’école, je savais que je voulais travailler à la caméra mais je ne connaissais pas trop les différents métiers liés à l’image… Il y en a beaucoup ! Petit à petit, entre le plateau et la postproduction, je me suis rendu compte que c’était le plateau qui me plaisait. Il est synonyme de voyages, de différents décors et de rencontres. Sur un clip, j’ai même pu travailler avec des toreros !
À l’inverse en postproduction, mon ressenti, pour une semaine d’étalonnage par exemple, c’est que nous restons enfermés dans un bureau. Et à la sortie, dehors, je voyais tout en couleurs avec un début de migraine !
En deuxième année d’ESRA, j’ai effectué un stage en régie sur Les Saisons de Jacques Perrin et Jacques Cluzaut. Mon père est ornithologue et conseillait l’équipe du film à ce moment-là. Ils m’ont proposé ensuite de faire troisième assistante caméra sur des tournages allant de trois jours à une semaine. J’ai eu beaucoup de chance de faire ce premier stage. Cela m’a permis d’avoir l’occasion de travailler avec différentes équipes selon les décors. Et puis le thème du film centré sur la nature, les animaux et l’écologie était merveilleux pour moi. C’est un sujet qui me touche.
Cette expérience m’a vraiment confirmée dans l’envie de faire ce métier. J’y ai d’ailleurs consacré mon mémoire de fin d’études : « La technique au service du défi visuel d’un film militant, Les Saisons ». Je conseille aux personnes qui veulent travailler autour de la caméra de voir le film car Jacques Perrin et Jacques Cluzaut ont un réel souci de l’image en imaginant de nouvelles techniques pour filmer les animaux au plus près, à hauteur de leurs yeux.
L’objectif était de faire entrer le spectateur dans leurs mondes, dans une position d’équité. Ce n’est pas un documentaire où des animaux sont filmés de loin ; sur Les Saisons ils sont imprégnés, habitués au contact de l’homme. Les réalisateurs ont vraiment travaillé leur projet, il y a eu une très longue préparation.
Vous parliez de plusieurs tournages et d’équipes différentes sur ce film. Avez-vous pu expérimenter également plusieurs dispositifs techniques, plusieurs caméras ?
Le tournage du film était organisé comme plusieurs courts-métrages successifs avec diverses équipes et donc autant de manières de fonctionner. J’ai pu travailler sur deux caméras, la Sony F55 et F65. La F65 venait de sortir à l’époque. Elle a une très belle image, elle était idéale à cause de son très beau dégradé dans les verts, de sa grande gamme de couleurs : nous tournions beaucoup en forêt. Son image rend très bien la sensation de matière pour avoir une belle cohérence de couleurs. Elle respecte la texture de l’animal et faisait donc ressortir leurs pelages ou leurs plumes.
Chaque film comporte ses propres configurations, souvent assez différentes les unes des autres. Sur Paradis Sale de Bertrand Mandico, nous tournions en Aaton Penelope 35 mm. C’était assez génial car nous utilisions plein de matériels originaux. Par exemple les filtres kaléidoscopiques, ou les optiques à décentrement qui modifient les perspectives de l’image et la profondeur de champ. C’est toujours très excitant d’être sur un film où le travail sur l’image est aussi singulier !
Sur le plateau de Paradis Sale, j’avais l’impression d’évoluer sur une autre planète tellement les décors, les costumes, tout l’univers étaient « barrés ». Sur presque chaque plan, l’air était saturé de paillettes et de fumée, et quand ce n’était pas le cas, nous avions la pluie (la vraie !). Sur ce tournage, j’ai aussi passé beaucoup de temps à épousseter la caméra et ses filtres…
En termes d’insertion professionnelle, avez-vous été stagiaire sur d’autres projets ensuite, avez-vous travaillé directement ? Chaque année, des jeunes sortent de fac ou d’écoles de cinéma et rêvent de pouvoir travailler sur des longs-métrages… Que conseilleriez-vous pour pouvoir être assistant caméra sur des longs-métrages ?
Il n’y a pas de secret, il faut essayer de faire le plus de stages tant que l’on bénéficie de conventions. C’est vraiment le moment où cela nous lance. Un tournage de long-métrage, c’est dix heures par jour sur plusieurs semaines dans des conditions difficiles. Il faut être tellement rapide et rigoureux, c’est compliqué de prendre quelqu’un que l’on ne connaît pas. Les équipes techniques préfèrent choisir un stagiaire ou un(e) troisième avec qui elles ont déjà travaillé.
Après Les Saisons, j’ai fait de la captation caméra en spectacle vivant et notamment en danse où j’ai appris également beaucoup au niveau de la caméra. Je me suis aussi rapprochée de l’AOA, Association française des assistants opérateurs de prise de vues. J’ai envoyé des e-mails personnalisés pour chaque assistant ! Une assistante m’a répondu pour faire des essais caméra trois jours pour aider à la préparation du film L’Insulte de Ziad Doueiri qui allait se tourner à Beyrouth.
En général, pour un long-métrage, le premier assistant caméra intervient un mois avant le tournage, le deuxième assistant caméra, deux semaines et le troisième assistant, une semaine environ. On peut compter une semaine et demie d’essais chez les loueurs, même si cela dépend beaucoup des tournages.
J’ai pu participer à la préparation du matériel, sa configuration, voir s’il y a de la caméra accrochée à une voiture ou autre, un combo plus ou moins lourd etc. J’ai juste mis du scotch sur des bagues de point, vérifié les batteries… Ce sont les tâches les plus simples, cela peut être long et répétitif, il n’y a pas de responsabilité, mais c’est important de passer par là.
Les essais se sont bien passés et cette première assistante m’a rappelée par la suite pour 120 battements par minute de Robin Campillo. J’ai aussi travaillé trois semaines sur La Surface de réparation réalisé par Christophe Regin en répondant à une annonce de stage sur Internet.
D’autres préfèrent faire du court-métrage ou du clip avec un plus haut poste en commençant directement par être chef opérateur. Il y a plusieurs techniques, les deux peuvent aussi se combiner. Ce n’est pas la stratégie que j’ai adoptée. Commencer en étant troisième assistante, puis seconde… cela permet de savoir ensuite ce que l’on peut demander de faire à quelqu’un en étant soi-même passé par là. C’est important de faire ce chemin-là.
Vous avez travaillé en documentaire et en fiction… Quelles sont pour vous leurs grandes différences ?
Jacques Perrin n’aime pas que l’on dise que son film est un documentaire, et je comprends très bien pourquoi. Tout est préparé deux ans à l’avance, le scénario est précis et écrit très en amont. C’est de la fiction de long-métrage, une configuration de long-métrage avec les mêmes caméras. Au final, du documentaire, je n’en ai jamais fait.
Néanmoins, la grosse différence que j’ai pu ressentir en arrivant ensuite sur le tournage de 120 battements par minute, c’est qu’il y avait des comédiens qui arrivaient à l’heure ! Sur Les Saisons, nous pouvions attendre des heures qu’une huppe fasciée se décide à déployer ses ailes et prenne son bain de soleil. En cela, c’était une toute autre configuration. S’il pleuvait, nous ne tournions pas. Sur 120 battements par minute, nous nous rabattions sur un plan en intérieur pour ne pas perdre de temps.
Selon la durée du tournage, ce n’est pas non plus la même endurance. Un long-métrage classique en fiction dure entre six et dix semaines. Sur Les Saisons, nous tournions de manière plus courte et plus épisodique.
Y a-t-il une caméra en particulier que vous préférez utiliser ?
Je travaille sur 80 % des longs-métrages avec l’Alexa Mini de Arri, donc j’y suis le plus habituée. C’est bien aussi d’être confrontée à une nouvelle caméra pour tout réinventer au niveau de sa configuration. C’est moins rassurant, plus stressant mais plus challengeant !
Comment s’est déroulé votre passage de troisième à seconde assistante ?
Petit à petit, on m’a proposé de faire des missions de seconde en renfort, c’est-à-dire décharger les cartes essentiellement, faire les back-up. Le passage n’est pas forcément facile. En tant que troisième, il faut rester près du combo, vérifier qu’il n’y a pas de souci à l’image, installer le système HF. En tant que deuxième, la préparation est plus importante, le lien avec les autres départements et le laboratoire, plus fort. C’est une grosse responsabilité des rushes. Souvent c’est lorsqu’un second passe premier assistant qu’une place se libère et ainsi de suite…
Choisissez-vous les projets sur lesquels vous travaillez ?
J’accepte généralement le projet qu’on me propose si je suis disponible. Quand je dis non à un projet, c’est que je suis déjà engagée par ailleurs.
Il y a souvent beaucoup de stress sur un tournage dans les équipes, y a-t-il une bonne attitude à avoir ? Que diriez-vous à quelqu’un qui souhaiterait faire votre métier ?
Parfois, toutes les équipes sont stressées en même temps, parfois le département image est plus tranquille… ou plus sous pression. Tout dépend encore une fois de la configuration du tournage. Si l’on change de décor deux fois par jour, c’est très fatigant, cela accentue le stress. Un long-métrage, c’est un petit marathon.
Côté conseils : il faut être dynamique, volontaire, et aussi avoir une certaine retenue. La bonne humeur est également appréciable. Il faut aussi être attentif, toujours savoir où se trouvent les personnes avec qui vous travaillez.
Il faut savoir se préserver, bien prendre le temps de la pause du midi même si c’est difficile. On peut être tenté de vouloir s’avancer, être minutieux pour les prochaines séquences. Il faut anticiper les demandes, les prioriser pour ne pas se retrouver sous l’eau. C’est compliqué mais nécessaire. Il y a des manières très différentes de travailler selon les personnes ; pour ma part je note sur un carnet les configurations typiques, je prends beaucoup de photos pour conserver tout en mémoire sous la main, comment telle personne travaille… Ces informations resserviront plus tard sur un autre tournage. Il ne faut pas hésiter à poser des questions, en choisissant le moment opportun.
Pour ceux qui commencent comme troisième assistant, je conseille le Manuel de survie à l’usage de l’assistant vidéo qui est écrit par des assistants caméra et disponible sur le site de l’AOA. Ce qui est aussi très formateur est de faire un stage chez un prestataire, un loueur de matériel.
Je ne peux pas m’empêcher de vous poser une question à propos de la place de la femme au sein des équipes techniques… Au-delà du fait que ce soit un sujet très en vogue, quel est votre ressenti à ce sujet en tant que femme technicienne ?
Nous ne sommes pas nombreuses ! Encore moins pour les chefs de poste. Je n’ai travaillé qu’avec deux directrices de la photographie. Je ne sais pas comment l’exprimer, mais c’est un métier qui repose beaucoup sur le réseau et je trouve qu’en étant un homme, c’est plus facile. Je n’ai pas vécu un seul tournage où je n’ai pas entendu ou reçu de remarques misogynes. Heureusement il ne s’agit pas de tout le monde mais cela existe. Je dirais qu’en tant que femme technicienne, il faut savoir répondre. J’avais du mal à le faire au début. C’est en train de changer car nous sommes plus nombreuses à nous former aux métiers de l’image, mais il y a encore du chemin… Les remarques misogynes ont commencé de la part de nos propres collègues de promotion !
Article paru pour la première fois dans Moovee #4, p.76/79. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.