Les impacts du Covid-19 sur les médias

Lors du confinement, le secteur des médias a vécu une période totalement paradoxale : d’un côté une surconsommation des médias TV et vidéo et de l’autre une déstructuration complète de la filière. Peut-on en tirer des leçons ?...

Depuis le premier jour du confinement, les professionnels de l’audiovisuel se sont posés et reposés mille fois la question de l’avenir de leur métier… Destructuration complète de la filière liée à la fermeture et à une réouverture timide  des salles de cinéma, arrêt puis reprise compliquée des tournages, effondrement des recettes publicitaires… La ligne d’horizon parait bien sombre… Peut-on reconstruire un après-Covid-19 pérenne ? Peut-être mais a la condition de tirer des enseignements de ces événements et en mesurant les impacts réels des changements d’habitudes constatés. Ensuite, en tentant d’imaginer un avenir qui pourrait se décliner en trois échéances : rebondir, redémarrer et se réinventer.

 

Les impacts à multiples dimensions sur les médias

Le Covid-19 a un triple effet sur la télévision : audience, publicité, création. Dans les situations exceptionnelles, la télévision est le média de référence. Avec le confinement, elle est devenue incontournable, du matin au soir, battant tous les records d’audience depuis sa création. Le public a passé chaque jour environ une heure et douze minutes de plus qu’un an auparavant devant la télévision. Pendant les six premières semaines de confinement (du 17 mars au 26 avril 2020), la durée d’écoute individuelle de la télévision (DEI) s’est élevée en moyenne à 4h41 quotidiennes, contre 3h29 un an auparavant, soit une augmentation de plus d’un tiers.

Alors qu’en temps normal, les jeunes se détournent progressivement de la télévision, c’est auprès d’eux que l’augmentation du temps dédié à la télévision est la plus marquée : + 65 % pour les 15-24 ans avec 1h47 quotidienne. Ils sont également plus nombreux : plus de 58 % des 15-24 ans ont regardé la télévision chaque jour pendant le confinement. Soit une hausse de 18 points en un an. Les catégories socio-professionnelles supérieures (CSP+) ont, elles aussi, beaucoup plus regardé la télévision : leur DEI a augmenté de 56 % en un an.

Les chaînes thématiques ont, elles aussi, vu leurs audiences grimper : entre le 16 mars et le 26 avril 2020, 5 millions de téléspectateurs supplémentaires les ont regardées chaque jour, une augmentation de 35 % en un an. Elles ont rassemblé 18,8 millions de téléspectateurs au total sur la journée.

Mais cette envolée des audiences n’a pas eu les effets escomptés sur les recettes publicitaires, bien au contraire. Dès le début du confinement, les grands annonceurs ont annulé leurs campagnes, provoquant un vent de panique dans les régies : pour M6, la deuxième quinzaine de mars a vu une baisse de 30 % des durées publicitaires quand TF1 voyait son chiffre d’affaires publicitaire reculer de 9 % sur le premier trimestre. Les deux grands groupes privés, TF1 et M6, ont alors pris des décisions très impactantes : mise en place d’un plan d’économies de 100 millions d’euros pour M6, généralisation du télétravail pour 90 % des effectifs de TF1 et économie de 23 millions d’euros sur le coût des programmes.

Avec l’annulation de tous les tournages de fiction et de flux, les chaînes ont été contraintes de remodeler leurs offres pour divertir un public toujours plus nombreux : redécoupage des émissions en cours de diffusion, récupération du phénomène de visio-conférence pour redynamiser des émissions, adaptation des formats, lancement de nouveaux concepts. Les chaînes ont misé sur des programmes de divertissement, déconnectés d’une actualité pesante et alimentée en permanence par les chaînes d’information en continu et par les JT.

C’est ainsi qu’on a revu les grands classiques du cinéma français : la Grande Vadrouille, Rabbi Jacob, les Tontons Flingueurs et la 7ème Compagnie. Quarante-deux millions de personnes ont regardé ne serait-ce qu’en partie l’un ou plusieurs des dix-neuf films français parmi les vingt films ayant réalisé la meilleure audience sur la période ; huit de ces films affichent Louis de Funès à leur générique et quatorze sont antérieurs aux années 80.

À côté du divertissement, France 4 a joué la carte de la scolarité avec La Maison Lumni, offrant des programmes éducatifs dispensés par des professeurs à destination des jeunes. Près de 20 millions de Français ont regardé les cours Lumni à la télévision, dont 3,7 millions de 4-14 ans. L’audience moyenne des cours de primaire est de 203 000 téléspectateurs, le record ayant eu lieu le 30 mars avec 493 000 téléspectateurs.

 

L’explosion du streaming à la demande

Le grand bénéficiaire du confinement, c’est évidemment le streaming. Légal et illégal, malheureusement. Les trois modes de distribution en streaming ont tous connu un succès foudroyant : la TVOD (vidéo à la demande transactionnelle à l’acte et locative), l’EST (vidéo à la demande transactionnelle à l’acte et en achat) et l’incontournable SVOD (vidéo à la demande par abonnement). D’après l’étude réalisée par Médiamétrie, depuis le confinement, c’est en moyenne 18,4 millions d’internautes (34 %) qui regardent au moins un contenu en SVOD chaque semaine, soit 6 millions de plus qu’avant le confinement (12,4 millions, 23 % des internautes).

En termes de contenus, le public continué a privilégier les séries. Il a toutefois regardé davantage de films pendant le confinement : ils représentent 30 % des contenus regardés contre 20 % auparavant. La pratique de la SVOD, en progression depuis 2015, s’est accélérée pendant le confinement. Un phénomène qui concerne tous les profils : les 15-34 ans sont toujours au rendez-vous, et depuis le début du confinement, on observe une nette augmentation du nombre de femmes, des 50 ans et plus et des enfants avec notamment l’arrivée de Disney+ et l’offre jeunesse gratuite d’Amazon Prime Vidéo. En fin mars, le baromètre du CNC fait état d’une hausse du chiffre d’affaires de la VOD dans son ensemble de 36,5 % par rapport au premier trimestre 2019, soit 323,6 millions d’euros.

 

Écrans noirs pour les salles de cinéma

Les salles de cinéma ont été les premières impactées par les mesures de distanciation entre les personnes. Et personne ne sait ce que devront faire les salles pour faire revenir pleinement leur public…

 

La chronologie des médias déboussolée

Devant une situation aussi dramatique, les ayants droit qui avaient des films programmés en salles de mars à mai ont eu le choix entre trois stratégies : reprogrammer immédiatement les films à la rentrée, ne pas céder et maintenir une hypothétique sortie salle avant l’été ou bien tenter de limiter la casse en exploitant au mieux et le plus rapidement possible les films prévus en salle pendant le confinement. À travers un mécanisme d’autorisation accordé par le CNC, beaucoup de ces films sont devenus disponibles en VOD et/ou en SVOD sans passer par la salle.

Parmi  la soixantaine de films qui ont obtenu un avis favorable du CNC, un certain nombre de producteurs ont choisi de sortir directement en SVOD pour une raison simple : alors que les recettes de la VOD transactionnelle s’étalent dans le temps et peuvent s’avérer aléatoires, la cession des droits d’exploitation à une plate-forme de SVOD permet d’éponger plus rapidement les dépenses d’édition engagées avant la sortie. Deux exemples de films dans ce cas, achetés par Amazon et mis en ligne sur Amazon Prime Video : Forte (Quad) et Pinocchio (Le Pacte).

 

La réglementation étouffée

Face à une la situation d’urgence, il n’a pas fallu longtemps pour comprendre que la réglementation était inadaptée. Si bien que le gouvernement a dû modifier temporairement les règles de la chronologie des médias pour redonner une dynamique à l’exploitation des œuvres cinématographiques. Mais c’est toute la réglementation qui a pris un sérieux coup de vieux en quelques semaines : à quoi bon maintenir des jours interdits pour la diffusion des films à la télévision, pourquoi ne pas lever l’interdiction du replay pour les films de cinéma, pourquoi continuer d’imposer une chronologie aussi paralysante quand on sait que le piratage continue de se développer. Les films ont besoin d’être vus et revus, légalement et sur des services sécurisés.

 

La filière en danger de mort

La pandémie a provoqué un effet domino pour toute la profession. Auteurs, réalisateurs, ingénieurs du son, cameramen, laboratoires, acteurs, exploitants, distributeurs, éditeurs, chaînes : tous sont à l’arrêt ou en grande difficulté économique. Le meilleur exemple est celui de la société Ymagis, spécialisée dans les technologies du cinéma, dans l’équipement des salles et dans la conservation du patrimoine cinématographique avec Eclair ; sans activité depuis deux mois, la société s’est retrouvée au bord du gouffre.

Dans un autre registre, le groupe Altice (SFR et NextRadioTV) a communiqué le 19 mai, sonnant la fin des espoirs pour sa stratégie média : « Malgré la très grande qualité éditoriale et les audiences records du groupe, la réalité économique est bouleversée, depuis plusieurs années, par les évolutions du secteur, et désormais par l’écroulement des recettes publicitaires dû à la crise du Covid-19 (…) Ce plan, qui se traduira sur le volet social par une adaptation du volume des effectifs, débuterait par une phase de volontariat ; les licenciements contraints n’interviendraient que si le nombre de volontaires était insuffisant. »

 

Face à ce chaos, l’avenir reste à inventer avec la nécessité de mesures fortes pour encourager la modernisation du secteur, notamment avec de vraies réponses à la lutte contre le piratage et avec une remise à plat attendue de la chronologie des médias. Cette deuxième mesure devrait fluidifier la circulation des programmes et qui donner aux acteurs historique de la diffusion l’opportunité de tirer leur épingle du jeu face à la concurrence des plateformes américaines. C’est maintenant ou jamais : l’audiovisuel a une opportunité unique de se réformer et de s’aligner avec la révolution numérique !