Les futurs enjeux du broadcast?

C'est aujourd'hui une évidence pour tous : la révolution numérique poursuit sa marche et modifie profondément les comportements comme les équilibres en place entre les médias de masse. Au centre de cet écosystème, la télévision a occupé une place privilégiée sur le terrain du commerce des équipements grand publics et de la distribution des programmes audiovisuels. Comme pour le cinéma et la radio, les deux autres industries médias de référence, c'est le même vocable unique et générique, « télévision », qui désigne des notions distinctes : application technologique avancée, type de réseau de distribution, appareil domestique familier, offre de contenus, propositions commerciales, programmes et, bien sûr, une économie qu'on sait complexe.
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L’essor des technologies numériques a grandement profité au secteur de la télévision, avec des innovations d’usage et des bénéfices notables en termes de nombre de canaux, de qualité photographique des images, de fidélité du son, de disponibilité des versions linguistiques sonores ou sous-titrées, de services d’information associés (guide de programmes), de portage sur des écrans variés dont la taille s’adapte à la paume de la main comme au grand mur du salon. La télévision numérique en haute définition, sur de grands écrans plus plats et plus fins, constitue un pas de géant qualitatif en comparaison à ce qu’elle proposait au public 25 années en arrière. Si les notions originelles de services centrés sur l’information, le divertissement et la culture sont toujours d’actualité pour les grandes chaines nationales gratuites, ces dernières évoluent désormais dans un environnement pluriel et concurrentiel.

 

En novembre 2011, les principales instances de régulation du secteur se sont réunies à l’échelle mondiale, à Shanghaï, à l’occasion d’un colloque intitulé : FoBTV (Future Of Broadcast TeleVision). Un événement qui traduit la préoccupation partagée par tous ses acteurs : quels équilibres sont menacés, quels nouveaux positionnements sont nécessaires pour garantir l’avenir de la télévision ? Quels facteurs influencent aujourd’hui la destinée de la TV, média audiovisuel de masse ? Quels sont les futurs enjeux du broadcast ? C’est cette question que MediaKwest a choisi de soumettre à plusieurs acteurs référents du domaine de la télévision en France, en allant à la rencontre de directeurs techniques et dirigeants de chaines et de sociétés de prestation. Ceux qui ont répondu favorablement à notre invitation ont montré leur conscience de l’évolution des pratiques, et une large culture des avancées numériques, se livrant à l’exercice de réflexion prospective avec naturel et simplicité. Leur contribution à ce dossier original vous permettra de découvrir ce qui les rassemble, et ce qui les différencie parfois, à travers quelques questions dans l’air du temps digital présent.

 

Convergence entre Direction Technique et Direction des Systèmes d’Information ; dématérialisation des process : quels sont vos bilans et perspectives ?

Hervé PAVARD, directeur technique du groupe TF1 : la convergence DT/DTSI fonctionne plutôt bien depuis des années à TF1. Je ne parlerai pas de fusion entre l’informatique et le broadcast mais plutôt de domaines d’expertise partagés. Les informaticiens, aujourd’hui, dans tous les domaines de l’entreprise (finance, RH, gestion, ou cœur de métier comme la TV) apportent des solutions logicielles, matérielles, de réseau et de sécurité… C’est un composant indispensable: nous avons besoin d’informaticiens dans nos équipes, et nous nous appuyons sur les équipes SI de la maison, dont les compétences se spécialisent pour mieux comprendre le langage et la culture de la télévision. Concevoir une régie de production ou de diffusion, même si elles sont remplies d’informatique, ça reste l’affaire de quelqu’un de métier, qui doit créer une symbiose, mettre en place un langage commun. Nous devons collaborer efficacement entre ceux qui produisent, diffusent, et adaptent les contenus sur le web, pour les PC ou Mac, applis sur tablettes et Smartphone, IPTV via les boxes ou OverTheTop. Ces nouveaux modes, de consommation ne sont pas concurrents mais complémentaires. Ils permettent d’amener nos programmes aux téléspectateurs de façon non linéaire, avec des enrichissements; une autre façon de regarder les mêmes contenus. La complémentarité peut également aller plus loin et le meilleur exemple, ce sont les applications de second écran : il y a une interaction, un indicateur est inséré dans le signal broadcast qui synchronise une appli iOS ou Androïd et présente des informations sur le second écran. Le monde IP ne concurrence pas le broadcast, ils collaborent. Il existe toutefois des cultures, des habitudes, des règles qui aujourd’hui encore sont assez différentes. L’enjeu, pour nous, c’est de réussir à travailler efficacement ensemble.

Stéphane HIEZ, directeur technique de EUROMEDIA-France : J’ai une vision issue de plusieurs entreprises sur l’apport des équipes SI : nous sommes en présence d’une vrai convergence des technologies, et ils ont une expertise en réseau, en connectivité, en distribution, en administration des systèmes. Reste la problématique de la culture du risque, de la criticité, de l’urgence et parfois de l’exigence : en broadcast, on vise le 100 %, car le 0,1 % toléré peut se traduire dans l’instant par un « noir antenne » avec des impacts lourds. On capitalise des savoir-faire techniques avec la capacité de mise en œuvre en temps réel des gens du broadcast. Le rapprochement se poursuit. Certaines activités, notamment les services associés aux contenus vidéo, supposent une implication plus forte des équipes informatiques : c’est vrai pour le streaming sur internet et le second écran. On est attentif aux innovations de certains industriels qui entrainent l’émergence de nouveaux usages : c’est l’ iPad qui a lancé l’engouement actuel pour l’utilisation du second écran. Notre métier reste la production de contenus en vidéo, la couverture d’événements et la notion de direct, qui restent liées à la diffusion linéaire.

Alain SCHANK, Directeur Adjoint des Technologies d’ARTE : Aujourd’hui, Arte dispose d’une installation tapeless en haute définition, avec des processus d’échange de fichiers en production comme en diffusion ; toutes les opérations reposent sur des fichiers, et on ne retrouve des signaux qu’en fin de chaine pour la diffusion. En termes d’organisation, nous cherchons à rapprocher les techniques informatiques et le monde broadcast ; jusqu’alors, nous voulions renforcer les équipes d’ingénierie par des compétences IT. Nous engageons désormais une démarche de rapprochement des gestions de projets d’infrastructure et des services clients internes comme les hotlines. Il reste encore aujourd’hui des équipements propres au domaine broadcast mais, avec le temps, cela évoluera. Nous avons un département qui développe les services des nouveaux médias, avec une synergie pour que les équipes broadcast alimentent le monde broadband. Arte souhaite être présent sur les nouveaux modes de diffusion et les services complémentaires à la télévision, de type HBBTV. Avec l’aide de standardisations à venir, nous espérons être présents sur tous les types de tablette et Smartphone.

Mathias BEJANIN, directeur technique du groupe M6 : Depuis 2008 et le projet de régie finale numérique du groupe M6, la direction des systèmes d’information est devenue incontournable dans la plupart des projets broadcast. La DSI apporte non seulement son expertise sur les  infrastructures réseau & serveur aux projets d’aménagement technique de M6, mais aussi sur les SI périphériques (asset management, conduites) et leur intégration avec les systèmes broadcast, notamment pour la diffusion et la post-production. Par une répartition opportuniste, le projet de Media Asset Management de diffusion (MAM) est géré par la DSI, alors que celui du Digital Archive Management (DAM) pour l’archivage est piloté par l’ingénierie broadcast ; dans les deux cas les équipes projets sont transverses broadcast / DSI. Ce sont des projets très semblables, dont les grandes tâches (spécifications logicielles, définitions de workflows et de mediaflows, intégration avec les SI, reprise de données…) se distinguent bien de celles des projets d’équipement audio/vidéo traditionnels. 

Le projet DAM est l’aboutissement de la dématérialisation pour les chaines du groupe M6 ; les archives étaient jusqu’alors réparties dans les services et utilisaient le support cassette. Le système, mis en production dans les semaines qui viennent, va centraliser, mutualiser et sécuriser les contenus audiovisuels dans un serveur commun aux différentes entités du groupe. Nous procédons à une reprise du fonds d’archives existant, par la numérisation en masse d’une sélection préalable. Pour contenir l’investissement et rationnaliser le patrimoine, les services de documentation ont fait un tri de leurs archives existantes, et acceptent que certaines séquences sans intérêt avéré ne passent pas en numérisation. L’élimination de la cassette est une préoccupation centrale de nos projets de modernisation : nous avons diminué par 4 nos achats de supports magnétiques en quelques années, engendrant des économies substantielles.

 

Gilles GAILLARD, MIKROS Images : Mikros est positionné sur deux marchés : celui de la communication, de la publicité, et celui du divertissement audiovisuel en cinéma & TV. Pour la pub, la dématérialisation est achevée, même si la question centrale du format n’est toujours pas réglée pour la livraison des broadcasters. La question des formats pivots en production et en archivage est un enjeu important. De fait, les acteurs industriels ont imposé une famille de formats d’usage. Dans ce secteur concurrentiel, la difficulté présente vient d’une remise en cause de la chaine de valeur ; les nouveaux processus techniques raccourcissent la chaine de production et jettent la confusion sur les coûts associés. On peut envisager de nouvelles équation, mais en considérant l’importance de la sécurisation des processus. Le monde de la télé est resté longtemps très normalisé et centré sur l’exigence de qualité technique ; il découvre le monde de la SSII, avec un dynamisme et une inventivité technique qui passe obligatoirement par une version Beta. En tant que pipeline industriel pour les contenus, les diffuseurs doivent réfléchir leur capacité à produire au mieux l’intégralité des médias qui leurs sont demandés dans les délais impartis. Avec une priorité éditoriale de type Broadcaster centric plutôt que technologique de type Transmetter centric.

 

Quelles innovations technologiques récentes du marché broadcast vous semblent déterminantes ?

Hervé PAVARD, TF1 : L’innovation véritable, c’est le nouveau mode de consommation via l’internet mobile sur tablette et Smartphone. Par ADSL ou par satellite, la réception TV sur une set-top-box ne diffère pas tant que ça. Alors que la recevoir sur son iPad ou iPhone : là, il y a un enjeu de mobilité qui est vraiment nouveau. La mobilité est une vraie nouveauté en termes de consommation : pour les jeunes, regarder la télé en voiture à travers une liaison 3G, ce n’est pas une révolution, c’est juste… habituel. On continue à beaucoup regarder la télé dans ce mode là : au moins autant que Youtube, en regardant des programmes de flux en replay qui est devenu un usage normal, autant grâce à la mobilité que par la capacité des décodeurs à faire du PVR facilement. Il devient inenvisageable de ne pas pouvoir regarder le lendemain l’émission qu’on a ratée la veille. Ces technologies donnent une nouvelle chance à la télé, abolissent la frustration du téléspectateur qui a raté la diffusion et donnent aux programmes plus d’occasions d’être vus. Comme au cinéma, un programme peut profiter du bouche à oreille après une première diffusion qui peut passer inaperçue. TF1 conserve sa durée moyenne d’écoute individuelle : on continue à regarder la télé, avec une consommation répartie entre foyer et mobilité. La délinéarisation a un impact positif sur la télévision en forme de complément d’usage. C’est totalement différent avec le second écran présent sur les genoux en regardant la TV. Nous essayons de définir ce qu’il peut apporter aux programmes et aux usagers. Comment apporter de l’information, de l’échange, du partage avec un réseau social ; c’est un enjeu à venir fondamental pour le groupe TF1. En tant que groupe média, TF1 vit positivement ce type d’innovation qui renforce la puissance de ses programmes. Lors des premières expériences menées par TF1 pour le second écran en publicité, l’utilisateur devait faire une opération de check-in au moment du passage du spot. Désormais la synchronisation devient automatique à partir de l’application MyTF1 qui est à l’écoute de l’écran principal grâce à un watermarking audio. La première application pour l’émission The Voice donne la possibilité de voter pour déterminer le choix d’un 5ème coach, puis d’autres applications suivront rapidement pour le sport et l’information.

Alain SCHANK, ARTE : Il y a la Ultra Haute Définition, nous en parlons en interne, nous nous y intéressons, mais on la voit plutôt se développer à échéance 2018/2020. La 4K suppose de refondre intégralement les infrastructures techniques. Il reste quelques années pour compléter le parc des téléspectateurs qui ne sont pas encore équipés, et pour amortir les investissements réalisés par les chaines de TV pour la HD. Il y a eu un engouement pour le relief, avec des initiatives des diffuseurs : on diffuse ponctuellement des programmes en relief, 2 ou 3 fois par an. Mais il faut attendre des solutions innovantes de la part des industriels, notamment pour se passer des lunettes qui restent un frein important. Nous sommes vigilants et nous sommes présents dans des groupes de travail sur ce sujet. Actuellement, le marché n’est pas mûr.

Stéphane HIEZ, EUROMEDIA : Aujourd’hui, je n’ai pas d’outil simple pour mettre à disposition des fichiers médias dans des formats et résolutions variés à destination des plateformes de distribution. Les outils sont trop complexes, et je ne trouve pas de nouveauté qui apporte le service attendu. Pour adresser les nouveaux médias, nous ne pouvons pas envoyer le même contenu sur tous les écrans : l’habillage et la nature des plans présentés doivent s’adapter à un écran de petite taille. En termes d’encodage, l’interopérabilité existe mais il faut systématiquement procéder à des tests fonctionnels complets pour valider le fonctionnement de bout en bout d’une chaine de transmission numérique. Les capacités et l’ergonomie des outils utilisés par le grand public peuvent parfois brouiller les pistes. Quand il le faut, nous intégrons certains outils non broadcast lorsque l’exigence est moindre ou que le temps réel n’est pas requis. Nous aimerions retrouver des interfaces aussi intuitives sur des équipements professionnels. Dans le passé, les constructeurs capitalisaient sur la R&D du broadcast sur des solutions grand publics. Aujourd’hui la tendance est inversée : c’est l’électronique grand public qui tire en avant l’innovation. Et le consommateur décide : s’il n’accepte pas de devoir porter des lunettes pour voir des images en relief, la marche vers la TV stéréoscopique s’interrompt. Avec la 4K, on peut envisager un autre mode de consommation des images en combinant l’intérêt de la très haute définition avec l’interactivité de l’utilisateur : à partir d’un magnifique plan large en UHD, le téléspectateur peut zoomer et choisir un cadrage HD personnalisé, y compris en plaçant un tag de suivi dynamique sur un joueur dans un match de foot. Même si des moyens de captation 4K existent, les bandes passantes nécessaires à la transmission ne sont pas encore au rendez-vous. Et l’arrivée des nouveaux codecs peut parfois amener la création de chaines supplémentaires plutôt que l’amélioration de celles qui existent.

Mathias BEJANIN, M6 : De nombreuses innovations arrivent sur le marché. On parle bien sûr beaucoup d’Ultra Haute Définition, et nous surveillons le sujet en participant aux groupes de travail sur le sujet. L’UHD n’est pas pour tout de suite, elle n’est pas encore complètement normalisée, et pour l’instant la HD donne une qualité d’image très satisfaisante avec un déploiement non achevé. Côté téléspectateur, tout le monde n’a pas la possibilité d’acheter un grand écran de plus de 50 pouces pour bénéficier pleinement de l’UHD. Il faut néanmoins se préparer à des projets d’infrastructures UHD à un horizon de 2 à 3 ans.  

En tournage, des possibilités nouvelles s’offrent avec les caméras de haute qualité à très faible encombrement (type GoPro, C300), ces caméras connaissent un grand succès chez nos productions magazines internes. En revanche, d’un point de vue technique, la diversité des formats utilisés complexifie l’ingest et la post-production.

Autre point, la transmission des news. Nous utilisons régulièrement des moyens de transmission légers, utilisant les réseaux 3G pour envoyer les sujets depuis le terrain. Nous expérimentons actuellement les nouvelles technologies de transmissions sur réseaux numériques 4G avec Orange. Ce moyen de transmission encore plus rapide nous intéresse, bien sûr. Nous utilisons aussi des moyens de transmission par satellite très compacts : le système satellite Bgan, avec sa petite antenne qui tient dans une valise et se déploie en quelques minutes, nous permet même d’établir des liaisons en direct quand les contraintes du terrain et le contenu exclusif priment sur la qualité technique des images.

Enfin, les avancées technologiques du cloud, couplées à la baisse des coûts sur les liaisons telecoms haut-débit, permettent d’envisager aujourd’hui son application au broadcast, pour la sécurisation des archives media, les services de transcodage et de publication ou même permettre des PRA…nous avons un projet à l’étude dans ce domaine.

En revanche, pas d’efforts particulier de développement sur la 3D, notre expérience de mai 2010 sur un direct de la Nouvelle Star ayant permis de nous rendre compte des contraintes et des coûts de production : sans modèle économique, pas de chaine M6-3D à l’horizon, mais pourquoi pas des évènements ponctuels, comme la diffusion récente, en mars, sur les réseaux DSL Orange et Free, de « Alice au pays des merveilles » de Tim Burton.

 

 

Quels progrès pourraient, selon vous, révolutionner les pratiques ? Quelles attentes en tournage ? En post-production ? En diffusion ?

Alain SCHANK, ARTE : Nous sommes attentifs aux développements de moyens d’échange dématérialisés, et nous avons mis en place des solutions avec des prestataires proches. Il faudra des structures capables de supporter de très hauts débits pour globaliser les échanges à l’échelle mondiale, et éviter le recours à la cassette. Il existe actuellement des solutions comme Aspera ou Globecast, mais nous recherchons des systèmes pour pouvoir travailler avec tout le monde. Pour l’archivage, on a vu apparaître des solutions à base de disque il y a quelques années, mais sans suite. Le support LTO est omniprésent, mais les volumes de données sont en constante augmentation, avec la HD et la future UHD ; nous avons une véritable attente d’innovation industrielle dans ce domaine. Nous sommes confrontés aux problèmes liés à la standardisation des codages : nous avons choisi AVC-HD quand d’autres ont retenu le XDCAM 50 ou d’autres formats, et nous rencontrons parfois des difficultés à être livrés selon nos spécifications. Il reste des efforts à faire : pour un même format, de petites différences d’encodage peuvent perturber le fonctionnement de certains lecteurs. Pour le sous-titrage, nous attendons une évolution du standard d’échange car nous sommes contraints par le format de fichier STL qui est ancien et limité, et par l’existence de divers formats propriétaires non compatibles utilisés par une quarantaine de prestataires en Europe. Espérons que l’UER, qui a présenté des premiers travaux l’année dernière, avancera dans une utilisation de XML pour aboutir à un format d’échange performant.

Hervé PAVARD, TF1 : Nous suivons l’évolution TV 4K, qui sera, non pas une révolution, mais une innovation incontournable de la télévision. Il faudra attendre 3 à 4 ans avant que ça touche le foyer grand public, mais ça répond à une vraie attente d’un grand écran de 60 à 70 pouces à la maison. Une de nos tâches, en 2013, sera de vérifier l’effet qualitatif à partir d’une image de 50 pouces sur un produit grand public. L’avantage de 4 fois plus de pixels s’explique assez facilement au grand public. On aurait pu aller vers une autre évolution en augmentant la cadence d’image, mais c’est plus compliqué d’expliquer au téléspectateur l’amélioration de qualité avec 120 images par seconde qu’avec 4 millions de pixels. Une convergence de format est nécessaire entre le Digital cinema et la télévision. La vraie révolution sera plutôt le 8K : l’échéance est plus lointaine, ce sera 2025/2030 en Europe mais, là, ce sera une révolution car on verra une autre forme d’écriture : on ne commutera plus les images de la même façon, dans un écran qui sera bien plus immersif, avec un angle de vision élargi de 90 à 100° comme en salle de projection, avec des technologies d’écran à LED, flexibles ou autres, et des mouvements de la tête et des yeux iront chercher l’information détaillée plutôt que d’avoir un réalisateur qui commute l’image d’une autre caméra. Le 8K amènera les murs-images dans les foyers, avec une véritable sensation d’être dans le stade quand on regardera un match de foot. L’effet produit par l’image 8K sur un écran de 80 pouces à la NHK est une expérience vraiment impressionnante ; mais il faudra du temps. Dans 10 ans, c’est la 4K qui sera présente dans les foyers, même si la livraison physique de tels grands écrans sera périlleuse, à moins qu’ils puissent s’assembler en modules !

Stéphane HIEZ, EUROMEDIA : Les liaisons sur fibre optique nous apportent des bénéfices, mais des progrès sont encore attendus. Le besoin existe : pour tirer moins de câbles en multiplexant des signaux divers. Nous essayons de réduire au maximum les temps d’installation pour des raisons de coût et de disponibilité des lieux. Avec le pré-câblage des configurations de captation en téléréalité, comprenant des dizaines de caméras, le temps d’installation est de 5 jours là où il fallait précédemment 4 semaines. Les fonctionnalités des liaisons s’enrichissent avec le temps, grâce aux exigences des signaux HD, et l’offre des fabricants est maintenant diversifiée. Globalement, la qualité technique des programmes TV en France est très bonne. Les besoins lourds demandés par les chaines premiums historiques existent toujours, et de nouveaux modèles économiques apparaissent avec les nouvelles chaines. Il nous faut désormais réfléchir à d’autres solutions techniques pour répondre à moindre coût aux besoins des nouveaux entrants qui pèsent désormais dans la balance de nos marchés. Nous voulons adresser ce marché propice à des décisions plus rapides, porté sur des choix innovants et prenant une part de risque que les grandes chaines n’assument pas. En post-production, les clients veulent travailler de chez eux. Plus que de la simple consultation distante, ils veulent monter leur programme depuis leurs bureaux à partir d’éléments disponibles en ligne, avec une qualité d’image professionnelle permettant de détecter un défaut de mise au point.

 

Expériences de délinéarisation des contenus et « cross-média » : quel positionnement pour la TV ?

Mathias BEJANIN, M6 : La stratégie du groupe M6 est de mettre à disposition ses programmes sur une offre élargie de supports et de réseaux, mais aussi d’enrichir ces contenus avec des services à valeurs ajoutées. M6 Web, en charge du déploiement de nos services auprès de partenaires techniques extérieurs, gère les projets dans ce domaine en étroite collaboration avec la Direction Technique.

Pour les services replay, nous faisons des efforts importants pour que les programmes de M6, W9, 6Ter, Paris Première et Teva soient présents sur un maximum de supports : les smartphones et tablettes, les plateformes de jeux, les TV connectées et les opérateurs ADSL. Les solutions techniques déployées en interne s’appuient sur la plateforme de diffusion broadcast. Une fois numérisés en haute résolution pour la diffusion, les programmes diffusés sur les chaines sont ensuite encodés dans tous les formats attendus pour être publiés en catch-up TV sur les différents supports.

Pour l’enrichissement des programmes, nous avons lancé en novembre dernier le service Devant Ma TV, première application de second écran en France. Au moment de la diffusion antenne, des signaux nécessaires à la synchronisation du second écran sont programmés et insérés dans la composante audio du signal par le système de diffusion. Ces signaux sont ensuite reconnus par la tablette ou le smartphone au moment de la diffusion, déclenchant des liens vers des contenus complémentaires informatifs, interactifs. En revanche, le groupe M6 n’est pas moteur dans le développement de services HbbTV, même si nous pourrions être amenés à en développer de manière opportuniste. Nous préférons mettre nos efforts sur le second écran, qui offre plus de possibilités sans perturber l’expérience visuelle principale sur le téléviseur. 

 

Alain SCHANK, ARTE : L’existence durable de la TNT s’accompagne d’une montée des nouveaux usages. Aujourd’hui, nous avons constitué des unités de programmes qui travaillent à la fois pour la diffusion linéaire broadcast et pour les nouveaux médias. Techniquement, la variété des codecs utilisés par les différents services et CDN rend parfois les choses complexes. Les traitements successifs de transcodage affectent la qualité pour des médias codés en bas débit numérique.

Gilles GAILLARD, MIKROS : Mikros participe à un effort de normalisation et d’exclusivité pour la livraison de la publicité aux chaines TV en Belgique : nous développons le dispositif DEMAT pour le compte de l’Association des Médias Belges, qui déporte le contrôle qualité chez les prestataires fournisseurs de contenus. En France, les diffuseurs imposent des spécifications diverses, obligeant les prestataires avals à développer un savoir-faire pour satisfaire toutes les exigences. Pour les programmes à destination de la TV et du cinéma, qui sont pour beaucoup des programmes longs, un gros effort doit être fait pour unifier les pratiques et modéliser des process industriels sécurisés. Il faut tenir compte de la problématique de standardisation des formats d’échange, et sur un autre plan de l’évolution majeure qu’est la métadonnée. La donnée d’accompagnement est une valeur monnayable. À court terme, l’enjeu de la dimension sémantique doit permettre une traçabilité totale du flux de production et une meilleure exploitation à long terme des contenus. Collecte et transmission des données techniques et éditoriales doivent permettre un meilleur pilotage éditorial. Il faut travailler à la détection automatique des métadonnées intrinsèques basée sur la reconnaissance intra-image. Autre enjeu, axé sur le business model : l’interopérabilité, le stockage et la mise à disposition des contenus numériques. Dans le domaine bancaire, des acteurs concurrents se sont entendus pour harmoniser des processus d’échange dématérialisés : c’est l’exemple à suivre. Il faut désormais penser les contenus comme des actifs qui doivent circuler ; regarder un film se conçoit comme un service plutôt qu’au fait d’avoir un DVD dans sa poche. Ce besoin de simplifier et de globaliser les échanges devrait soutenir la tendance de fond émergente du cloud.

Stéphane HIEZ, EUROMEDIA : Notre contribution au service de second écran, Ccast de CANAL+, est un bon exemple pour illustrer la délinéarisation : afin d’assurer la retransmission des matches de football pour l’antenne HD de CANAL+, nous enregistrons en continu les images des caméras dans des serveurs EVS. Toutes ces images ne sont pas utilisées pour la réalisation ; avec un dispositif mis au point par EVS, elles sont donc encodées et poussées vers une plateforme de services pour que les abonnés aient la possibilité de sélectionner la vue de leur choix (orientation, axe, plan serré…) sur leur tablette. L’économie des productions en HD a accéléré la délinéarisation : pour les émissions de jeux, la réalisation directe et les images des caméras divergées sont enregistrées sur des serveurs vidéo mobiles. Pour la post-production, les serveurs sont transportés et reconnectés à des stations de montage non linéaire qui peuvent démarrer les opérations sans aucun délais de transfert des médias. Une tour de disques durs coûte moins cher qu’un magnétoscope HDCAM, et elle permet d’éliminer ce type de contraintes. Euromédia livre des programmes en mode fichier : pour les PAD, la livraison est doublée et sécurisée par un support physique cassette. Pour les tournages dans nos studios de certaines émissions régulières qui sont montées ailleurs, nous poussons les fichiers médias vers les serveurs de la structure de post-production. Nous n’effaçons les fichiers qu’après acquittement de bonne réception par la production. Chaque diffuseur ayant ses spécificités PAD, il est difficile pour nous d’organiser à large échelle la livraison des régies finales pour les chaines en l’absence d’un format pivot unifié. Comme de nombreux prestataires, nous sommes en attente d’une standardisation. La dématérialisation a aussi des impacts sur les métiers et l’organisation : pour un opérateur, assurer l’enregistrement sur magnétoscope ou sur serveur vidéo demande une adaptation. Pour être garant des encodages spécifiques demandés par les nouveaux médias, c’est une autre compétence, et une responsabilité pour répondre à une exigence technique comparable à celle de la télévision.

 

Qualité technique : quel ajustement du niveau d’exigence professionnelle pour les contenus, métiers, organisations ?

Hervé PAVARD, TF1 : Le niveau de qualité technique de la télé s’est beaucoup amélioré dans le temps. On dispose d’algorithmes de compression numérique qui permettent de livrer au téléspectateur une image d’excellente qualité : l’image HD TNT MPEG4 donne un très bon résultat… et le SECAM 625 lignes n’est pas si ancien. En termes de fiabilité, les incidents sont plus rares ; c’est vrai pour les liaisons news en provenance du bout du monde, et aussi pour les continuités d’antenne. L’exigence de qualité s’accroit, le moindre petit incident devient inacceptable et complique la vie des directions techniques. Ce qu’on a du mal à améliorer, c’est le son : avec la HD, le son est 5.1, mais la complexité du dispositif multicanal le réserve aux technophiles, et la plupart des réceptions restent stéréo. Le son, c’est toujours plus compliqué que l’image à mettre en œuvre, et il reste une marge de progrès sur ce point.

Alain SCHANK, ARTE : Arte a été sensible de tout temps à la qualité de l’image et du son. Nous maitrisons mieux les choses avec de nouveaux outils de mesures, comme pour la norme R128 du loudness qui améliore le confort du téléspectateur. Nous envisageons de développer l’utilisation du son multicanal, et nos expériences nous ont montré l’avantage du format AVC-intra100 que nous avons sélectionné. Nous préservons la qualité en réduisant les transcodages dans des chaines de traitement cohérentes, et en documentant nos recommandations techniques pour les partenaires qui livrent nos programmes. Nous diffusons sur toute l’Europe, avec deux principaux bassins d’audience 1080i en France et 720p en Allemagne. Nous avons fait des tests pour choisir les meilleurs convertisseurs et garantir une qualité optimale dans les deux modes.

 

Quels sont vos projets techniques majeurs pour les deux années à venir ?

Hervé PAVARD, TF1 : Le projet majeur du groupe TF1 est de constituer une infrastructure technique multi-chaine. Dans ce bâtiment, nous diffusons depuis 20 ans, la chaine historique TF1. Avec le temps, des chaines thématiques sont créées, et à l’été 2013, 6 autres chaines seront diffusées depuis le siège : LCI, HD1, Stylia, Histoire, TV-Breizh et Ushuaia qui seront rapatriées en interne. Autre projet pour le domaine news : l’utilisation des réseaux 3G/4G pour les transmissions. Aujourd’hui, l’agrégation 3G nous permet déjà de transmettre des sujets, lives et duplex avec une qualité aléatoire, mais aussi un service appréciable. Avec l’arrivée de la 4G en 2013/2014, on s’attend à une rupture d’usage : un débit montant de 10Mbps sur un modem 4G peut changer complètement la nature de nos opérations, et on aura peut-être la bande passante d’un car SNG avec un petit boitier modem. En milieu urbain, où la mise en œuvre de liaison satellite est toujours compliquée, une caméra ENG à l’épaule, avec un modem 4G embarqué, peut alors être utilisée en direct. C’est la mobilité dont on rêve en télévision pour l’actualité. L’émergence de la 4G ouvre un nouveau marché au monde pro, et nous sommes optimistes au vu de nos premières expérimentations.

Stéphane HIEZ, EUROMEDIA : Euromedia est à la fois proactif et à l’écoute de ses clients pour engager des projets et faire évoluer ses systèmes. En plus de nos studios répartis sur de nombreux sites, nous mettons régulièrement en place des régies délocalisées sur des lieux choisis, comme le Moulin Rouge ou le Palais des Congrès, servant de studios d’enregistrement pour des émissions régulières. Nous allons adapter nos offres pour continuer à répondre aux demandes des grandes chaines tout en proposant des prestations adaptées au marché des autres diffuseurs. En trouvant par exemple l’organisation permettant de filmer plus de matches de volley avec les uns, en continuant à filmer les grands matches de foot à 20 caméras pour les autres. Nous sommes en mesure de proposer une gamme de prestations mettant en œuvre des dispositifs techniques simplifiés et des équipes allégées sur le terrain. Nous pouvons imaginer le déport de certaines activités opérées à distance, dans les limites de ce que les équipes éditoriales peuvent accepter. En vidéo mobile, nous devrons arbitrer entre la polyvalence de gros systèmes, ou la rationalisation de dispositifs mieux ciblés.

Mathias BEJANIN, M6 : Hormis le DAM et l’étude sur la sécurisation des archives en mode cloud dont nous avons déjà parlé, nous terminons le déploiement à la rédaction de caméras Sony au format SxS qui tourneront en SD dans une première phase, avant de basculer la fabrication des sujets d’actualité du 12.45 et du 19.45 intégralement en HD avant la fin de l’année.

Pour replay, nous faisons évoluer notre système interne chargé de la production des fichiers, en raison de volumes croissants (15 000 fichiers par mois), et de l’augmentation du nombre de plateformes destinataires.

Nous travaillons également sur la livraison des produits destinés à la diffusion en mode fichier. Les éléments courts sont livrés depuis 2 ans en mode fichier : intégralement pour l’autopromotion et le parrainage, fabriqués en interne, et 90 % des publicités, livrées par des intermédiaires comme Adstream et IMD. Pour les programmes longs en revanche, il reste du travail. Nous avons un système d’échange de fichiers en HD avec BCE (une société du groupe RTL), Movie2Me, qui nous permet d’échanger des programmes longs avec d’autres entités du groupe comme RTL TVI en Belgique qui diffuse certaines de nos productions. La généralisation de ce mode de livraison est un axe de progrès prioritaire à court terme. Il nous faut prévoir l’adaptation de la logistique de réception, avec des processus de validation et de prise en charge optimisés jusqu’à la diffusion et l’archivage en passant par le contrôle qualité.

Enfin, côté studios, nous avons globalement achevé la modernisation et l’optimisation de nos 2 studios de productions internes. Au cours de l’année nous apporterons des innovations sur certaines productions. Vous les découvrirez à l’antenne !

Gilles GAILLARD, MIKROS : Mikros souhaite proposer à ses clients des solutions innovantes de gestion de catalogue pour les contenus fabriqués : nous avons des projets de R&D pour la conservation et l’exploitation des actifs sur le long terme. Pour les métadonnées, nous nous dirigeons vers des descripteurs automatiques pour un usage sémantique des contenus : pourquoi claper une prise en tournage alors que les acteurs disent un texte référencé lié à une séquence identifiée ? En se libérant autant que possible de ces tâches rébarbatives, on peut réallouer le temps et l’énergie à l’émergence d’idées originales. Si Mikros a toujours opéré des systèmes complexes, notre différence est notre capacité à les rendre accessibles aux gens qui travaillent avec nous.

Alain SCHANK, ARTE : 2013 est une année de transition, car nous sortons du projet HD-tapeless qui s’est terminé l’année dernière après 4 années consacrées à la rénovation de nos infrastructures. Notre solution repose sur des outils Avid en production, et Arte a été le premier utilisateur de la nouvelle solution MAM proposée par le constructeur. On espérerait que les processus fichiers en HD allaient permettre des traitements 2 à 4 fois plus rapides, mais en pratique on est juste mieux que le temps réel, à 0,8 x la durée du média : c’est insuffisant, et on attend une amélioration significative. En diffusion, nous avons développé notre propre traffic-system en interne pour répondre à des besoins spécifiques, car nous gérons constamment plusieurs versions audio, et 80 % de nos programmes sont sous-titrés. On vient de mettre en place le sous-titrage malentendant en direct. Pour offrir aux services éditoriaux la possibilité de visionner des médias en basse résolution sur les ordinateurs de bureau, nous avons dû développer un lecteur logiciel permettant de sélectionner la langue pour le son et le sous-titre. Après avoir un peu délaissé des institutions comme le HDforum, en raison de l’implication de nos équipes dans ce projet, Arte devrait pouvoir participer à nouveau aux réflexions présentes sur le développement de nouveaux services associés à la télévision.

 

Ce dossier à été mis à jour par rapport à la version du magazine papier, et comprend de nouvelles informations