Les secrets du cadrage

Qu’est-ce qui fait une belle image ? Voilà une question digne d’un sujet de philo, sur laquelle on pourrait disserter pendant des heures avec autant d’avis [...]
La cadreuse. L’œil suit naturellement les lignes directrices qui partagent le cadre en neuf parties égales et est attiré par les points de rencontre entre elles. © Antoine Gruber

Qu’est-ce qui fait une belle image ? Voilà une question digne d’un sujet de philo, sur laquelle on pourrait disserter pendant des heures avec autant d’avis que d’intervenants. Le sujet bien sûr, la lumière, les couleurs, la composition… Pourtant notre avis n’est pas si subjectif qu’il y paraît. Nous baignons dans une culture de l’image qui modèle nos goûts en la matière et influence la lecture que nous en avons. Il est donc bon de connaître les règles du cadrage pour composer des images qui soient facilement lisibles par ceux qui les regarderont.

Tout art graphique (peinture, photographie…) obéit à la règle des tiers, qui vient de la manière dont l’œil lit une image, de la trajectoire qu’il emprunte pour l’étudier. En effet, l’œil suit naturellement les lignes directrices qui partagent le cadre en neuf parties égales et est attiré par les points de rencontre entre elles. Il est donc recommandé de placer nos sujets sur celles-ci pour que l’attention du spectateur y soit directement focalisée. Sur cette image, les informations essentielles, à savoir les yeux, car c’est ce que nous regardons en priorité chez quelqu’un, le sourire et l’objet tenu, la caméra, sont placées sur les points de rencontre et sont donc facilement identifiées car l’œil se dirige naturellement dessus.

De manière générale, quand on filme un personnage on ne place pas sa tête au milieu de l’image, mais dans un tiers. Cela vaut pour la composition horizontale comme verticale. Si on positionne la tête sur la ligne centrale, comme dans l’exemple 1, notre personnage se retrouve avec beaucoup trop d’air au-dessus de lui et il paraît rapetissé et écrasé. À l’inverse, attention aussi à ne pas trop le coller sur le bord supérieur de l’image comme dans l’exemple 2 car cela crée un sentiment d’étouffement. On voit sur ces exemples tirés d’une même image que la composition donne une impression différente sur le sujet, elle n’est pas anodine.

Le rendu est plus agréable si on laisse de l’air dans l’axe du regard que l’inverse. C’est-à-dire si on place le sujet dans un tiers de l’image, tourné vers les deux-tiers lui faisant face, comme dans l’exemple 3. Cela donne la sensation que notre regard accompagne celui de l’alpiniste et laisse plus facilement imaginer ce qui est autour du cadre, à savoir les crevasses au milieu desquelles notre personnage vient de passer et le hors-champ en général. Sur l’exemple 4, on est gêné par le manque de visibilité sur ce qui fait face à notre sujet, on manque d’informations.

Dans l’exemple de la cadreuse, on voit clairement ce qu’elle regarde, l’écran de sa caméra, alors que si son visage était bord cadre avec de l’air derrière on ne comprendrait pas la scène. La manière dont on positionne le sujet dans le cadre influe donc sur la perception qu’en a le spectateur. Nous faisons de l’image animée, notre sujet bouge et notre caméra aussi. Il faut donc sans cesse recomposer le cadre, en gardant bien en tête cette règle des tiers.

Dans une vidéo, les plans s’enchaînent les uns à la suite des autres. À la lecture d’une image, l’œil est focalisé sur une zone précise, par exemple les yeux d’un personnage. Lors du passage au plan suivant l’attention est d’abord portée sur cette même zone du cadre, avant que l’œil ne se mette en mouvement pour lire le reste de l’image. Bien entendu, on ne compose pas tous les plans d’un film de sorte que l’œil reste immobile, mais dans le cas d’une interview à deux caméras par exemple, le passage d’une vue à l’autre est bien plus fluide si la personne se trouve placée dans la même partie de l’image.

Pour que le spectateur comprenne une scène, il a besoin de se représenter la géographie du lieu et de visualiser les personnages. Pour amener ces informations, on part de cadres très larges et on se rapproche au fur et à mesure du sujet. C’est comme à l’écrit, quand on commence un texte par une introduction pour situer le contexte avant d’entrer dans le détail. Encore une fois, pour donner la meilleure impression de notre sujet, en général un personnage, on respecte certaines règles concernant les échelles de plans (voir illustration).

Le cadre le plus large sera celui du plan général, qui présente globalement le lieu de l’action, mais dans lequel on ne voit pas encore nos protagonistes. Ici, il s’agirait d’une vue de glacier. En se rapprochant un peu, on commence à apercevoir le(s) personnage(s) dans le site, mais sans en distinguer les détails. C’est le plan d’ensemble. On arrive sur notre sujet, que l’on présente des pieds à la tête par le plan pied, ou plan moyen. On resserre un peu pour arriver au plan américain, qui tire son nom des westerns car il faut imaginer qu’on voit le revolver porté à la ceinture, remplacé ici par la broche à glace, et donc le haut des cuisses. Si on coupe les jambes au niveau des genoux l’impression est complètement différente, le personnage paraît bizarrement proportionné et n’est pas du tout mis en valeur, c’est pourquoi on place le bord du cadre légèrement plus haut. On arrive ensuite au plan taille, puis au plan poitrine. Ces deux derniers sont très utilisés sur les plateaux télévisés et dans les interviews. On se rapproche du visage qui, vu en entier, donne le gros plan, qui devient un très gros plan si on resserre encore davantage le cadre.

Ces valeurs de plans fonctionnent bien pour la compréhension de la scène et mettent en valeur le sujet, c’est pourquoi on se retrouve généralement à les utiliser dans chaque séquence. On varie les échelles pour présenter le lieu et les personnages et quand la scène gagne en intensité dramatique on rapproche la caméra des yeux, car c’est là que se lisent les émotions.

Le placement du cadreur par rapport à son sujet joue considérablement sur l’impression que le spectateur en aura. S’il se place au même niveau que lui, dans un axe frontal, la vision est objective, sans intention particulière. Si la caméra est au-dessus du sujet, en plongée, celui-ci se trouve diminué car il apparaît comme vulnérable. Le cas typique est le plan du personnage enfermé dans le coffre d’une voiture et qu’on regarde par-dessus avec le point de vue de son agresseur. La situation inverse est celle dans laquelle le sujet se trouve au-dessus de la caméra, la contreplongée. Il apparaît grandi, en parfaite maîtrise de la situation. Un axe idéal pour donner une impression héroïque.

Dans notre exemple de séquence (voir illustration), il s’agit du même personnage en train de gravir une montagne : le sujet, le lieu et le moment sont similaires entre les trois plans. Pourtant l’impression qui se dégage des trois images est différente. Filmé en plongée, le skieur paraît en difficulté, peinant à monter une arête qui apparaît très raide et dangereuse. En vue frontale l’impression est neutre, presque factuelle. La contreplongée donne une sensation différente, de conquérant à l’attaque du sommet qui fait cette ascension en toute confiance et sans encombre. Simplement avec ces trois images on peut raconter l’histoire d’un alpiniste en train de grimper, qui connaît un moment de tension et de doute qu’il surmonte pour atteindre son but.

Un film est une succession de plans, on enchaîne diverses vues pour raconter une histoire, mais il faut garder en tête que l’impression ressentie par le spectateur va être différente en fonction des angles de prise de vue. Un opérateur très grand doit ainsi veiller à ne pas tout filmer en plongée, car ce n’est pas le confort du cadreur qui prime, mais bien le rendu.

En Occident, on lit de gauche à droite. Notre lecture des images se fait aussi naturellement dans ce sens car nous sommes habitués à lire ainsi. Il est du coup plus facile de regarder une image dans laquelle le sujet emmène de la gauche vers la droite plutôt que l’inverse. Par exemple, un panoramique est plus doux quand il va dans ce sens, surtout s’il accompagne un élément : un personnage qui marche, une rivière, un flot de voitures… Si on a cette possibilité, mieux vaut traverser une route ou un pont pour obtenir le panoramique voulu.

Sur un personnage, l’impression est légèrement différente selon qu’il regarde vers la gauche de l’image ou vers la droite. Dans le premier cas, qui est celui de notre cadreuse, la lecture s’arrête sur elle, alors que si l’image était tournée dans l’autre sens son regard nous accompagnerait vers le hors-champ et on imaginerait plus facilement ce qu’elle est en train de filmer. Parfois on peut retourner l’image en postproduction, mais il faut faire attention à ne pas se faire démasquer par certains indices, comme ici le Nikon de la caméra. C’est du détail bien sûr, et on ne va pas cadrer tous les plans à l’identique, mais ce sont parfois ces petites choses qui peuvent faire la différence et rendre plus fluide la lecture de nos images.

Pour enrichir une composition on peut jouer sur la profondeur de champ, la zone de netteté de l’image. Plus on tourne avec un grand capteur, une pleine ouverture de diaphragme et une longue distance de mise en point et plus courte est la plage nette. Cela permet de focaliser l’attention du spectateur sur une partie précise de l’image, par exemple les yeux du personnage, ou d’enrichir un cadre avec une amorce, un premier plan flou. En adaptant la distance de mise au point, on peut effectuer un rattrapage de point pour passer d’un sujet à un autre, à condition bien sûr que cela fasse sens et ne soit pas uniquement choisi à des fins esthétiques.

Chaque plan doit donc être composé avec soin, en gardant en tête ces quelques règles qui facilitent la lecture pour le spectateur, lui permettent une bonne compréhension de l’action, que le sujet soit mis en valeur et que le ressenti soit celui souhaité par la narration. Dans notre cas, qui est celui de l’image animée, la composition doit être adaptée en permanence pour suivre le sujet et les mouvements de caméra. De plus, l’histoire ne se raconte pas avec une image, mais avec une succession de plans, c’est pourquoi il faut garder en tête de varier leurs valeurs pour donner une bonne perception de l’espace, créer du rythme et faire évoluer l’intensité dramatique. Les choix de cadrage ne sont pas anodins, car ils influencent considérablement la perception de la scène. Le sens se crée dès la phase de prise de vue, selon l’intention donnée par le cadreur.

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #1, p.82/85. Abonnez-vous à Moovee (4 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.