Un projet de loi audiovisuelle pour riposter à la domination des GAFAN

Le ministre de la Culture, Franck Riester, a présenté le 27 septembre dernier son projet de loi « relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique ». Il vient compléter le projet de loi de finances 2020 qui comporte également de nouvelles dispositions qui prennent en compte la montée en puissance des GAFAN (Google, Apple, Facebook, Amazon, Netflix).
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Après des années d’immobilisme et une loi audiovisuelle « analogique » datant de 1986, il aura fallu attendre le passage de Franck Riester à Rue de Valois pour voir enfin un projet de loi « à l’ère numérique ». Son grand projet de refonte de tout le marché audiovisuel se déroule en deux temps : une partie se loge dans le plan de finances 2020 et une autre partie est dans le projet de loi et ses 87 articles.

 

L’audiovisuel public à la diète et hausse de la taxe sur la vidéo

Le budget 2020 comporte deux grands volets que le ministre justifie ainsi : « pour conserver notre modèle de financement de la création audiovisuelle et cinématographique, nous devons par ailleurs nous adapter à la concurrence que font peser les nouveaux acteurs du numérique en rétablissant des règles de financement plus équitables. »

L’audiovisuel public va se regrouper au sein d’une nouvelle entité baptisée France Médias. À cette fin, France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, et l’Institut national de l’audiovisuel seront réunis dans cette nouvelle structure. Les ressources affectées à l’audiovisuel public seront de 3,8 milliards d’euros, intégrant un effort d’économie de 50 millions d’euros « conformément à la trajectoire quinquennale définie en 2018 », précise le Ministère.

Dans le même temps, la redevance sera symboliquement abaissée de 1 euro, soit 138 euros, ce qui n’a pas manqué de faire réagir de nombreux acteurs de l’audiovisuel dont Simone Harari-Baulieu, productrice, dans les colonnes du journal Les Echos : « Derrière un geste a priori anodin d’une fausse générosité, un brin condescendante (oh merci, monsieur le Ministre, pour cette piécette de 1 euro !), se cache en réalité un renoncement politique majeur, une décision à contresens total des enjeux culturels comme des évolutions économiques du secteur. »

La Rue de Valois met par ailleurs l’accent sur le fait que la réorganisation du service public « doit permettre aux sociétés de l’audiovisuel public d’accompagner l’évolution des technologies et des usages, tout en réaffirmant sa spécificité et ses missions de service public : l’information, la culture, l’offre de proximité, la jeunesse et l’action audiovisuelle extérieure. 150 M€ supplémentaires seront ainsi investis dans le numérique par l’audiovisuel public d’ici à 2022. »

Reste à savoir si ce vœu ministériel sera effectivement suivi d’effets et si ce nouveau service public saura s’adapter à un environnement concurrentiel numérique, international et nettement plus avancé sur la maîtrise des nouvelles technologies, que ce soit la publicité adressée ou l’usage des algorithmes de programmation.

Comme il est délicat de se battre à armes égales avec les GAFAN sur le terrain, compte tenu de leur puissance financière, la solution la plus simple pour les freiner dans leur domination du marché est de les obliger à participer au financement et à l’exposition de la création française. Pour conserver l’excellence du modèle français de financement de la création audiovisuelle et cinématographique, il est indispensable que la fiscalité qui finance le fonds de soutien du Centre national du cinéma (CNC) soit plus équitable entre les acteurs historiques nationaux et les nouveaux acteurs internationaux du numérique. Dans cette perspective, le projet de loi de finances, en pleine cohérence avec le projet de loi audiovisuel, prévoit d’établir une fiscalité plus équitable entre les différents diffuseurs, linéaires ou à la demande, français ou étrangers, payants ou financés par des recettes publicitaires.

Le financement de la création audiovisuelle et cinématographique repose sur le principe selon lequel les diffuseurs (l’aval) contribuent au financement des créateurs (l’amont) qui enrichissent la qualité de leurs programmes. Ainsi, le fonds de soutien du Centre national du cinéma (CNC) est jusqu’à présent financé par quatre taxes affectées : la taxe sur les entrées en salles de cinéma (TSA), la taxe sur les services de télévisions (TST), qui a une composante « éditeurs » (TST-E) et une composante « distributeurs » (TST-D), et la taxe sur les services vidéo (TSV).

La fiscalité affectée au fonds de soutien au cinéma et à l’audiovisuel fait aujourd’hui face à un défi d’équité entre les différents acteurs qui éditent des contenus audiovisuels, qui est aussi un défi de neutralité économique : alors que les éditeurs linéaires, notamment hertziens, acquittent la TST-E au taux de 5,65 %, les nouveaux services de médias à la demande acquittent la taxe sur les vidéos à un taux près de trois fois inférieur (2 %).

Le projet de loi de finances pour 2020 met fin à la taxation différenciée entre les diffuseurs linéaires historiques et les nouveaux acteurs, en particulier les plates-formes de vidéo à la demande en harmonisant les taux de TST-E et la TSV sur un taux unique de 5,15 %. Cette mesure permet de rééquilibrer le modèle de financement du cinéma au profit des éditeurs historiques nationaux. Elle s’inscrit dans la continuité de la suppression en 2019 de trois petites taxes sur les revenus publicitaires, qui avait déjà bénéficié aux éditeurs historiques nationaux, avec la création en juillet 2019 de la taxe sur les services numériques, qui permet de normaliser la situation fiscale des acteurs du numérique, notamment étrangers, et enfin avec le projet de loi audiovisuelle qui prévoit de renforcer leurs obligations d’investissement dans la création.

Pour le gouvernement, cette taxation est forcément vertueuse : « les nouvelles plates-formes de vidéo à la demande devront davantage participer au financement et à l’exposition de la création française. »

 

Mais quand on lit entre les lignes, cette nouvelle taxation comporte trois effets :

• les streamers internationaux seront donc taxés à hauteur de 5,15 % au lieu de 2 %, premier effet visé par la hausse de la taxe. Compte tenu de la très rapide évolution du chiffre d’affaires de la SVOD et de la prochaine arrivée de nouveaux acteurs, ce volet de la taxe devrait être très contributeur. Sur la base d’une estimation de plus de 800 millions d’euros de recettes TTC en 2020, la contribution de la seule SVOD serait supérieure à 30 millions d’euros ;

• les chaînes de télévision voient le taux de la TST-E passer de 5,65 % à 5,15 %. Pour information, cette taxe a rapporté 296,8 millions d’euros au CNC en 2018 sur un total de 500 millions d’euros en 2018. Une économie plus symbolique qu’efficace, histoire de calmer des chaînes qui sont passées à travers la SVOD depuis 10 ans et qui réclament en permanence un allégement de leurs obligations ;

• les plates-formes de VOD et de SVOD françaises ainsi que les éditeurs de DVD voient le taux de la TSV grimper de 2 % à 5,15 % (et de 10 % à 15 % pour les programmes pornographiques ou d’incitation à la violence). Soit plus qu’un doublement de la taxe qui a rapporté 25,7 millions d’euros en 2018 (incluant les streamers internationaux).

 

Pour le CNC, la taxation des streamers est une bonne nouvelle, comme le rappelle le Bilan 2018 du CNC : « Le produit de la taxe vidéo et VàD (25,7 M€) a fortement progressé (+58,7 %) par rapport à 2017. Dans un contexte de baisse continue du marché de la vidéo physique (DVD et Blu-ray), l’assujettissement à compter du 1er janvier 2018 des plates-formes étrangères de vidéo à la demande, payantes (comme Netflix) ou gratuites (comme YouTube) a permis d’enrayer la baisse du produit de la TSV. Ainsi, les encaissements de TSV sont en progression de 9,5 M€ par rapport à 2017. Ce dynamisme s’explique par le niveau de croissance très important du marché de la vidéo à la demande par abonnement. » Au dynamisme des acteurs locaux, le CNC préfère le dynamisme de la taxe.

 

Desserrer l’étau des chaînes privées

En marge de la loi de finances et du projet de loi, le ministre de la Culture a décidé de desserrer l’étau réglementaire des chaînes privées dès le 1er janvier 2020 en ouvrant la possibilité de faire de la publicité segmentée et géolocalisée, en supprimant les jours interdits pour le cinéma à la télévision (mercredi et samedi), en autorisant de la publicité TV pour le cinéma sous conditions et enfin en permettant une troisième coupure publicitaire pour les films de plus de 90 minutes (article 17 du projet de loi) : « Par dérogation à l’alinéa précédent, le nombre maximal d’interruptions publicitaires peut être porté à trois pour la diffusion par un service de télévision d’une œuvre cinématographique ou audiovisuelle qui comporte au moins quatre tranches programmées de trente minutes. »

 

Un projet de loi pour moderniser la filière audiovisuelle

Le projet de loi présenté par Franck Riester, et qui à date, n’a pas encore été discuté devant la représentation nationale, se décompose en trois grandes parties : une première partie consacrée au « développement et diversité de la création et de la communication audiovisuelle », une deuxième partie qui présente « l’adaptation de la régulation de la communication audiovisuelle » et une troisième partie consacrée à « la transformation de l’audiovisuel public à l’ère numérique ».

Parmi les éléments clés de ce projet de loi, on retient en premier lieu le rapprochement entre l’Hadopi et le CSA – qui deviendra l’Arcom (Autorité de la régulation de la communication audiovisuelle et numérique) – qui comprendra sept membres nommés par décret et son président nommé par le président de la République.

Du côté de France Médias, la structure holding qui pilotera le nouvel ensemble du service public, on note la nomination d’un commissaire du gouvernement et le changement du mode de nomination de son président. En effet, l’Arcom (ex-CSA) perd son pouvoir de nomination du président du service public conformément à la nouvelle disposition : « le président-directeur général de la société France Médias est nommé pour cinq ans sur proposition du conseil d’administration par décret du président de la République, après avis conforme de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique et après avis des commissions parlementaires compétentes. »

Le projet de loi se penche aussi sur les pouvoirs étendus de la nouvelle autorité, l’Arcom, qui pourra ajouter les plates-formes de partage vidéo à son périmètre de contrôle, (article 59) : « L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique établit et tient à jour une liste des services de plate-forme de partage de vidéos relevant de la compétence de la France en indiquant le critère sur lequel est fondée cette compétence en application du présent article. »

 

L’heure des négociations

Mais le vrai sujet de ce projet concerne la production pour laquelle les chaînes sont en attente d’une grande réforme. Nicolas de Tavernost, président du groupe M6, lors de Médias en Seine le 8 octobre 2019, déclarait : « il y a beaucoup d’efforts à faire. La France a été masochiste dans sa réglementation puisque cette dernière avait pour conséquence d’affaiblir ses acteurs nationaux et de laisser perdurer sans règles les acteurs internationaux. Changer les règles de détention des mandats, de détention des droits est essentiel. »

Enfin, un gros sujet reste à traiter pour boucler la boucle : la transposition de la directive SMA qui comporte un volet très sensible sur les quotas d’œuvres européennes. Désormais, s’ouvre une phase de négociation qui va passer par des discussions interprofessionnelles, des rencontres entre le régulateur et les acteurs, et la valse des amendements autour du projet de loi. 

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #34, p.96/97. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.